J-09-362
DROIT DE RETENTION – CONDITION D’EXERCICE – CREANCE CERTAINE, LIQUIDE ET EXIGIBLE – LIEN DE CONNEXITE – EXERCICE REGULIER (OUI).
DROIT DES SOCIETES – DROIT DE RETENTION – RESILIATION – MISE EN DEMEURE DES PERSONNES CONCERNEES (NON) – NON PAIEMENT DE LA CREANCE – ATTRIBUTION DU BIEN RETENU AU CREANCIER RETENTEUR (OUI).
Le créancier rétenteur est fondé à retenir le véhicule déposé à ses ateliers, dès lors que la créance est certaine, liquide et exigible, et qu’il existe un lien de connexité entre la somme réclamée et le véhicule retenu.
Le créancier qui ne reçoit pas paiement peut, comme le créancier gagiste auquel il est assimilé, solliciter après mise en demeure adressée aux personnes concernées, l’attribution à son profit du bien retenu; il y a donc lieu d’autoriser le créancier rétenteur à s’attribuer le véhicule dont s’agit en cas de non paiement par le débiteur de la somme correspondant au prix de vente de celui-ci dès lors que la procédure de réalisation du bien retenu a été en tous points respectée par le rétenteur.
COUR D’APPEL D’ABIDJAN, 4ème CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE, ARRET N 971 DU 18 NOVEMBRE 2005, AFFAIRE SOCIETE SCIMI c/ STE DALYNA TRAVAL AGENCY.
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Oui les parties en leurs conclusions.
Par exploit en date du 08 juillet 2005 de Maître THERESE DIELOU FECLEZI, huissier de justice à Abidjan, la Société SCIMI a relevé appel du jugement civil N 2854 rendu le 23 décembre 2004 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan qui a statué ainsi qu’il suit :
– « Reçoit tant la Société DALYNA TRAVEL AGENCY que la Société SCIMI en leurs différentes actions.
Dit la Société DALYNA TRAVEL AGENCY partiellement fondée.
Ordonne la restitution du véhicule abusivement détenu par la Société SCIMI sous astreinte comminatoire de 200 000 F par jour de retard.
Condamne en outre la Société SCIMI à lui payer la somme de 20 millions de francs CFA à titre de dommages-intérêts.
Déboute la Société SCIMI en sa demande de réalisation de gage.
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
Condamne la Société SCIMI aux dépens de l’instance.
Au soutien de son appel la société SCIMI expose qu’elle est créancière envers la Société AFRIC BUS COMPANY INDUSTRIES dite ABC de la somme de 16.800 000 F représentant le prix d’un véhicule autocar de marque IVECO qu’elle lui a vendu en 1999.
Elle fait savoir que ledit véhicule ayant été déposé dans ses ateliers courant juin 2002 pour des réparations par la Société DALYNA TRAVEL AGENCY, intimée, qui s’en prétendait nouveau propriétaire, elle a, après mise en demeure faite auxdites sociétés, opéré un droit de rétention sur ce bien jusqu’à payement de sa créance.
Elle indique qu’en réaction, la Société DALYNA TRAVEL AGENCY l’a assigné le 12 février 2003 en restitution dudit véhicule et en payement de dommages-intérêts devant le Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau, tandis qu’elle-même (la Société SCIMI ) attrayait le 21 mai 2003 les deux sociétés devant la même juridiction pour obtenir la condamnation de la société ABC à lui payer la somme de 16.800 000 F CFA et l’attribution à son profit du véhicule litigieux.
C’est donc, poursuit-elle après jonction des deux actions qu’a été rendu le jugement querellé qui a fait droit aux prétentions de la Société DALYNA TRAVEL AGENCY après avoir estimé que celle-ci avait régulièrement acquis le véhicule entre les mains de la Société ABC qui le lui avait vendu, qu’il n’y avait aucun lien juridique entre le nouveau propriétaire du véhicule et sa créance (celle de la société SCIMI) qui selon lui, ne rapporterait pas la preuve de ce qu’elle bénéficiait d’un droit de suite relativement audit engin; de sorte qu’au total la rétention était injustifiée.
Contestant ces énonciations, la Société SCIMI soutient que le droit de rétention qu’elle a exercé est conforme aux dispositions des articles 41,42 et 43 de l’Acte Uniforme OHADA relatif aux sûretés qui prescrivent que le créancier impayé qui détient légitimement un bien de son débiteur peut le retenir jusqu’au remboursement de son dû lorsque sa créance est liquide, certaine, exigible, et présente, un lien de connexité avec la chose retenue.
Elle explique en effet que sa créance réunit les conditions ci-dessus énumérées puisqu’elle résulte de lettres de change revenues impayées pour défaut de provision que lui avait signé la Société ABC lors de la vente passée entre eux et que par ailleurs la connexité est incontestable entre ladite créance et le véhicule retenu.
Elle ajoute qu’en vertu de l’article 43 précité le créancier peut après signification au débiteur ou au nouveau propriétaire, comme elle l’a fait en l’espèce, exercer relativement au bien concerné un droit de suite et un droit de préférence qui rendent opposable erga omnes la rétention du véhicule en cause.
Poursuivant, elle critique également le rejet de sa demande en réalisation dans la mesure où, avance-t-elle, de la lecture combinée des articles 43 et 56 dudit acte uniforme OHADA, il ressort que le créancier rétenteur est habilité à solliciter l’attribution du bien retenue jusqu’à due concurrence ou d’après estimation suivant les cours ou à dire d’expert.
Pour toutes ces raisons elle plaide l’infirmation du jugement entrepris et sollicite après évocation de l’affaire la condamnation de la Société ABC à lui payer la somme de 16.800 000 F et l’attribution à son profit du véhicule en cause.
En réplique, la Société DALYNA TRAVEL COMPANY fait valoir que le véhicule litigieux lui a été régulièrement vendu courant mai 1999 par la Société ABC pour la somme de 22.377.600 F qui a été intégralement payée.
Elle indique que c’est en sa qualité de propriétaire qu’elle a déposé le véhicule en réparation dans les ateliers de la Société SCIMI.
Elle estime qu’au regard de ces circonstances, la rétention opérée par ladite société est irrégulière dans la mesure où l’article 41 précité n’autorise le créancier a retenir que les biens de son débiteur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque le véhicule dont s’agit n’appartient plus à la Société ABC mais à elle qui n’est nullement débitrice de la société SCIMI avec laquelle elle n’a aucune relation d’affaires.
Elle considère donc que c’est à bon droit que le premier juge a décidé que la rétention en cause était abusive et qu’il y a lieu en conséquence de confirmer sa décision.
DES MOTIFS
EN LA FORME
L’appel de la Société SCIMI est intervenu dans les forme et délai prescrits par la loi; il y a lieu de la déclarer recevable.
Par ailleurs il convient de se prononcer contradictoirement à l’égard de ladite appelante et de la Société DALYNA TRAVEL AGENCY qui ont comparu et conclu et par défaut à l’égard de la société ABC, laquelle assignée à Mairie, n’a pas comparu ni déposé d’écritures en l’espèce.
AU FOND
Concernant le droit de rétention exercé par la société SCIMI
Il ressort des dispositions des articles 41,42 et 43 de l’Acte Uniforme OHADA sur les sûretés que tout créancier qui détient un bien appartenant à son débiteur ou qui a été cédé par celui-ci à une tierce personne peut valablement retenir ce bien lorsque sa créance est certaine liquide, exigible et présente un lien de connexité avec le dit bien.
En l’espèce, la créance de la Société SCIMI présente les caractères de certitude de liquidité et d’exigibilité puisqu’elle résulte de lettre de change qui se sont avérées sans provision que lui a remis en payement la société ABC suite à la vente du véhicule litigieux, avec lequel elle a donc ainsi un indiscutable lien de connexité.
Par ailleurs, le droit de rétention lorsque les conditions en sont réunies est opposable à l’égard de tous, peu importait que le nouveau acquéreur du bien retenu n’ait pas de relations d’affaires particulières avec le créancier.
Il ressort de tout cela que la société SCIMI était fondée à retenir le véhicule en cause déposé à ses ateliers par la Société DALYNA TRAVEL AGENCY et que ‘c’est à tort que le premier juge en a décidé autrement en considérant que la vente dudit véhicule à la Société DALYNA TRAVEL AGENCY par la Société ABC faisait obstacle à l’exercice dudit droit de rétention.
Il y a lieu dès lors d’infirmer le jugement entrepris sur ce point.
Concernant la demande de la société SCIMI tendant à la condamnation de la Société ABC à lui payer la somme de 16.800 000 F représentant le prix de véhicule litigieux
En considération de ce qui vient d’être dit ci-haut, la créance de la Société SCIMI à l’égard de la société ABC ne fait l’ombre d’aucun doute de sorte qu’il y a lieu de faire droit à ladite demande.
Concernant la demande de la Société SCIMI tendant à obtenir l’attribution à son profit du véhicule retenu
En vertu des articles 43 et 56 de l’Acte Uniforme sur les sûretés, le créancier qui ne reçoit pas paiement peut comme le créancier gagiste auquel il est assimilé, solliciter après mise en demeure adressée aux personnes concernées, l’attribution à son profit du bien retenu.
En l’espèce, il résulte des productions que par exploit en date du 06 juin 2003 de Maître THERESE DIELOU FECLEZI servi aux deux sociétés intimées, la Société SCIMI a déféré à la formalité de mise en demeure.
La procédure de réalisation du bien retenu ayant été en tous points respectée par la Société SCIMI, il y a lieu d’autoriser ladite société à s’attribuer le véhicule dont s’agit en cas de non paiement par la Société ABC de la somme de 16.800 000 F correspondant au prix de vente de celui-ci.
Il convient en conséquence d’infirmer également le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté cette demande au motif que le véhicule retenu n’était pas la propriété du débiteur de la Société SCIMI à savoir, la Société ABC.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de la Société SCIMI et de la Société DALYNA TRAVEL AGENCY et par défaut à l’égard de la Société ABC, en matière civile et en dernier ressort.
Déclare la Société SCIMI recevable en son appel relevé du jugement civil N 2854 du 23 décembre 2004 rendu par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau.
L’y dit bien fondée.
Infirme le jugement querellé en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau.
Dit que le droit de rétention exercé par la Société SCIMI sur le véhicule litigieux est justifié et régulier.
Condamne la Société ABC à payer à la Société SCIMI la somme de 16.800 000 F CFA représentant le prix de vente dudit véhicule.
Autorise la Société SCIMI en cas de non paiement par la Société ABC, à s’attribuer le véhicule en cause.
Condamne la Société DALYNA TRAVEL AGENCY aux dépens distrait au profit de Maître KOUASSI HENRI YAO Avocat à la cour.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement, par la Cour d’Appel d’Abidjan, les jour, mois et an, que dessus.
Et ont signé le Président et Greffier
Approuvé : Mot rayé nul Renvoi