J-10-127
DROIT COMMERCIAL GENERAL – BAIL D’IMMEUBLE A USAGE COMMERCIAL – BAIL A DUREE DETERMINEE – CONVENTION DE LOCATION DE MATERIEL – IMMEUBLE ET MATERIEL – CHANGEMENT DE PROPRIETAIRE – RUPTURE DU CONTRAT DE BAIL – DECISION DE PAIEMENT D’INDEMNITE D’EVICTION – APPEL PRINCIPAL – APPEL INCIDENT – RECEVABILITE (OUI) – DEMANDE DE SURSIS A STATUER – INEXISTENCE DE LIEN ENTRE LES DEUX AFFAIRES – DEMANDE MAL FONDEE.
CONTRAT DE BAIL D’IMMEUBLE – CONTRAT DE LOCATION DE MATERIEL – IMMEUBLE PAR DESTINATION – ARTICLE 524 CODE CIVIL – CONTRATS DE NATURE DIFFERENTE (NON) – RENOUVELLEMENT DU BAIL – CONDITIONS DE L’ARTICLE 91 AUDCG – DROIT AU RENOUVELLEMENT (NON) – INDEMNITE D’EVICTION (NON) – INFIRMATION DU JUGEMENT – RUPTURE ABUSIVE DU CONTRAT DE BAIL – DOMMAGES-INTERETS (OUI) – DEMANDE RECONVENTIONNELLE – REJET.
Si en droit le criminel tient le civil en état et que l’article 316 du code de procédure civile autorise le juge à suspendre le cours d’une instance pour le temps ou jusqu’à l’évènement qu’il détermine, il est aussi vrai qu’il faut qu’il y ait un lien entre les deux affaires. Cette condition n’étant pas remplie dans le cas d’espèce, il y a lieu de rejeter le sursis à statuer demandé par l’appelante.
Selon l’article 524 du code civil, « les objets que le propriétaire d’un fonds y a placé pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination… Sont immeubles par destination, tous les effets mobiliers que le propriétaire a attaché au fond à perpétuelle demeure ». En l’espèce, aussi bien le contrat de bail que le contrat de location de matériel ont tous été signés par le propriétaire. Le matériel objet de la location était affecté à un pressing abrité par l’immeuble et à défaut de ce matériel, l’immeuble était inexploitable. Il s’agit donc d’un fonds de commerce et il ne peut être soutenu que les deux contrats sont de nature différente.
Concernant l’indemnité d’éviction, l’article 94 AUDCG stipule que » le bailleur peut s’opposer au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, en réglant au locataire une indemnité d’éviction ». Et pour l’article 91 AUDCG « le droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée est acquis au preneur qui justifie avoir exploité conformément aux stipulations du bail, l’activité prévue à celui-ci, pendant une durée minimale de deux ans ». La locataire n’ayant occupé l’immeuble que pendant un an, elle ne remplit pas les conditions de l’article 91 précité et n’a donc pas droit au renouvellement. Aucune indemnité d’éviction ne peut donc lui être allouée.
Cependant, il y a eu rupture abusive du contrat de bail puisque les contrats stipulaient une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction, et pourtant, avant l’expiration du 1er délai, le bailleur informait la locataire du non renouvellement des contrats. Ce qui a certainement causé un préjudice énorme à la locataire qui mérite réparation.
Article 517 CODE CIVIL BURKINABÈ
Article 524 CODE CIVIL BURKINABÈ
Article 316 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 530 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 536 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 550 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
(COUR D’APPEL DE OUAGADOUGOU, Chambre commerciale (BURKINA FASO), Arrêt n 059 du 21 novembre 2008, COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette c/ SIMPORE née GNINGNIN Téné Rasmata).
LA COUR,
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte d’huissier en date du 04 juillet 2002 signifié à madame SIMPORE née GNINGNIN Téné Rasmata et déposé au greffe de la Cour d’appel de Ouagadougou, madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette a interjeté appel du jugement n 667/2002 du 19 juin 2002 rendu par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou en ces termes : « Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort.
En la forme, reçoit les exceptions soulevées par dame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette et au fond les rejette comme étant mal fondées.
Condamne madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette à payer à dame SIMPORE née GNINGNIN Téné Rasmata la somme de sept millions huit cent mille (7.800 000) francs CFA à titre d’indemnité d’éviction et déboute celle-ci du surplus de sa demande.
Reçoit la demande reconventionnelle de dame COMPAORE GRÜNER Hans Yvette mais la déclare mal fondée, par conséquent l’en déboute ».
Madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette par les écritures de son conseil maître LOMPO O. Frédéric avocat à la Cour expose que madame SIMPORE née GNINGNIN Téné Rasmata contractait le 15 novembre 2000 pour une année d’une part, un bail d’immeuble à usage commercial et d’autre part, une convention de location de matériel avec TAPSOBA S. Albert; que le 14 mai 2001, elle acquérait auprès de « NET A SEC » l’immeuble et le matériel objet de la convention du 15 novembre 2000; que l’immeuble fut muté à son profit le 13 septembre 2001; qu’elle a continué les contrats avec madame SIMPORE née GNINGNIN Rasmata jusqu’à leur terme et un avis de non renouvellement lui fut notifié le 08 novembre 2001; que malgré l’avis, madame GNINGNIN demeura dans les locaux, l’obligeant à l’assigner en expulsion pour non paiement des loyers de juin-juillet-août-septembre 2001; que lors des débats madame SIMPORE excipa un reçu de sept millions huit cent mille (7.800 000) francs CFA à titre de loyer annuel encaissé par « NET A SEC »; que par la suite, il s’est avéré que ledit reçu avait été établi par monsieur SIMPORE, époux de GNINGNIN Rasmata en complicité avec l’ex directeur de « NET A SEC » sans encaissement effectif; que le juge d’instruction a d’ailleurs été saisi de faux contre monsieur SIMPORE et autres et monsieur SIMPORE lors de l’enquête préliminaire a reconnu les faits; qu’elle sollicite dans la mesure où cette procédure pénale est toujours pendante, que la Cour sursoive à statuer
L’appelant soutient en plus que les deux contrats passés par madame SIMPORE sont de nature et de qualification juridique différente; que si pour le bâtiment il s’agit de location d’immeuble, pour le matériel, on ne peut dire qu’il s’agit d’immeuble par destination; que de ce fait aucune indemnité d’éviction ne saurait être servie à madame SIMPORE Rasmata.
Madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette fait valoir que le droit au renouvellement du bail est subordonné à l’exercice par le preneur de l’activité prévue pendant une durée minimale de deux (2) ans; qu’en l’espèce madame SIMPORE n’est restée dans les locaux que du 15 novembre 2000 au 14 novembre 2001 et ne pouvant donc bénéficier du droit au renouvellement du bail, elle ne peut par la même occasion bénéficier de l’indemnité d’éviction; qu’en conséquence la Cour annulera le jugement attaqué.
L’appelant sollicite enfin de la Cour qu’elle annule le jugement querellé en ce qu’il l’a débouté de sa demande reconventionnelle et par évocation qu’elle lui octroie la somme de deux millions (2.000 000) de francs CFA à titre de réparation du préjudice subi résultant de l’exercice de l’action malicieuse et dilatoire de madame SIMPORE et au titre des frais non compris dans les dépens qu’il lui soit versée la somme de cinq cent quatre vingt dix mille (590 000) francs CFA.
En réplique, madame SIMPORE née GNINGNIN Téné Rasmata, suite à son appel incident formé le 08 juillet 2002, soutient par la plume de son conseil maître Issa H. DIALLO, avocat à la Cour qu’il ne peut être sursis à statuer dans la mesure où en matière pénale l’infraction est individuelle et personnelle, qu’il n’y a donc pas communauté d’infraction fusse entre époux; que c’est monsieur SIMPORE d’ailleurs tiers à la présente procédure qui est inculpé et non elle; que plus seul TAPSOBA S. Albert dont la signature a été scannée pouvait, s’il estimait qu’elle avait été falsifiée, initier la procédure en saisissant le juge d’instruction; qu’ayant été initié par madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette, il ne peut être fait obstacle à une procédure de paiement d’indemnités d’éviction; que la Cour rejettera la demande de sursis à statuer formuler par madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette comme étant mal fondée.
Madame SIMPORE poursuit en plaidant le bien fondée de l’indemnité d’éviction au motif d’une part que l’article 517 du code civil stipule que : « les biens sont immeubles par leur nature, ou par leur destination ou par l’objet auquel ils s’appliquent », d’autre part qu’au sens de l’article 524 alinéa 1 du code civil, les objets que le propriétaire d’un fond y a placé pour le service et l’exploitation de ce fond sont immeubles par destination; que les machines objet de la location servant à laver les vêtements et qui sont placées dans l’immeuble, objet du bail servaient nécessairement, utilement et obligatoirement à l’exploitation du fond de commerce (de pressing) de madame SIMPORE affecté dans l’immeuble; qu’il suffit de placer des biens meubles indispensables et nécessaires à l’exploitation d’un immeuble par nature pour que les premiers acquiert le caractère de biens meubles par destination; que l’argumentation de madame COMPAORE devra être rejetée comme étant mal fondée.
Se fondant sur l’article 94 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, madame SIMPORE sollicite de la Cour la condamnation de madame COMPAORE à vingt trois millions quatre cent mille (23.400 000) francs CFA à titre d’indemnité d’éviction représentant trois (03) années de loyers.
Elle sollicite en plus que la demande reconventionnelle de madame COMPAORE soit rejetée et qu’elle soit condamnée à lui payer au titre des frais non compris dans les dépens la somme de un millions soixante deux mille (1 062.000) francs CFA
DISCUSSION
EN LA FORME
Attendu que madame COMPAORE née GNINGNIN Hans Yvette a interjeté appel le 04 juillet 2002 contre un jugement rendu contradictoirement le 19 juin 2002; que cet appel remplit toutes les conditions de forme et de délai prévues par les article 536 et 550 du code de procédure civile et mérite d’être déclaré recevable.
Attendu que madame SIMPORE née GNINGNIN Rasmata a interjeté également appel incident le 08 juillet 2002 contre le jugement ci-dessus visé; que l’appel principal étant recevable il y a lieu de déclarer son appel recevable conformément à l’article 530 du code de procédure civile.
AU FOND
SUR LE SURSIS A STATUER
Attendu que madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette sollicite de la Cour le sursis à statuer au motif que le mari de madame SIMPORE née GNINGNIN Rasmata a été inculpé pour faux devant le juge d’instruction.
Attendu que si en droit le criminel tient le civil en état et que l’article 316 du code de procédure civile autorise le juge à suspendre le cour d’une instance pour le temps ou jusqu’à l’évènement qu’il détermine, il est aussi vrai qu’il faut qu’il y ait un lien entre les deux affaires; qu’en effet c’est le mari de madame SIMPORE tiers à la présente procédure qui a été inculpé; qu’en matière pénale l’infraction étant individuelle et personnelle c’est seulement l’auteur d’une infraction qui doit répondre de son fait.
Attendu d’ailleurs que s’agissant de faux, c’est la signature de TAPSOBA Albert qui aurait été falsifié et non celle de madame COMPAORE; que seul donc TAPSOBA Albert avait intérêt à saisir le juge d’instruction et non madame COMPAORE comme s’en est le cas; que de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter la demande de sursis à statuer formulée par madame COMPAORE.
SUR L’INDEMNITE D’EVICTION
Attendu que le premier juge sur le fondement de l’article 94 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général a condamné madame COMPAORE au paiement de la somme de sept millions huit cent mille (7.800 000) francs CFA à titre d’indemnité d’éviction.
Attendu que madame COMPAORE soutient non seulement que les deux contrats passés par madame SIMPORE sont de nature différente mais aussi qu’elle ne remplit pas les conditions lui permettant de bénéficier du droit au renouvellement du bail; qu’elle ne peut de ce fait bénéficier d’aucune indemnité d’éviction.
Attendu cependant que dans le cas d’espèce le matériel objet de la location était affecté à un pressing abrité par l’immeuble; qu’à défaut de ce matériel, l’immeuble était inexploitable.
Attendu que le matériel appartenait à TAPSOBA Albert; qu’il s’agit d’un fond de commerce; que l’article 524 alinéa 1 du code civil explique que : « les objets que le propriétaire d’un fond y a placé pour le service et l’exploitation de ce fond sont immeuble par destination »; que suivant l’alinéa 3 du même ARTICLE : « sont immeubles par destination, tous les effets mobiliers que le propriétaire a attaché au fond à perpétuel demeure ».
Attendu qu’aussi bien le contrat de bail que le contrat de location de matériel ont tous été signés par TAPSOBA S. Albert propriétaire; que les arguments de madame COMPAORE née GRÜNER Hans Yvette en ce qu’il s’agit de deux contrats de nature différente ne peuvent donc prospérer.
Attendu que pour ce qui est de l’indemnité d’éviction proprement dite, l’article 94 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général stipule que : « le bailleur peut s’opposer au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, en réglant au locataire une indemnité d’éviction »; que l’article 91 du même Acte uniforme dispose que : « le droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée est acquis au preneur qui justifie avoir exploité conformément aux stipulations du bail, l’activité prévue à celui-ci, pendant une durée minimale de deux ans ».
Attendu cependant que madame SIMPORE ne l’a occupé que du 15 novembre 2000 au 14 novembre 2001 soit un an; qu’elle ne remplit pas les conditions de l’article 91 précité et n’a donc pas droit au renouvellement; qu’aucune indemnité d’éviction ne peut lui être allouée; que le jugement attaqué doit être infirmé.
Attendu cependant qu’il y a eu rupture abusive du contrat de bail; que les contrats signés le 15 novembre 2000 entre madame SIMPORE et TAPSOBA Albert stipulaient en effet une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction; que pourtant avant l’expiration du 1er délai, madame COMPAORE informait le 08 novembre 2001 madame SIMPORE de ce qu’elle ne renouvelait pas les contrats; que ceci a certainement causé un préjudice énorme à madame SIMPORE et madame COMPAORE doit le réparer; que madame SIMPORE déclare qu’elle réalisait un chiffre d’affaire très important dû à la situation géographique de l’immeuble objet du bail et sa clientèle.
Attendu qu’eu égard aux éléments d’appréciation dont dispose la Cour, il y a lieu de lui accorder la somme de deux millions six cent mille (2.600 000) francs CFA au titre des dommages-intérêts et condamner madame COMPAORE au paiement de ladite somme.
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE MADAME COMPAORE
Attendu que madame COMPAORE sollicite de la Cour qu’elle condamne madame SIMPORE à lui payer la somme de deux millions (2.000 000) de francs CFA à titre de dommages-intéréts pour action dilatoire et vexatoire.
Attendu cependant que la Cour a accueilli favorablement la demande de madame SIMPORE en condamnant madame COMPAORE à lui verser des dommages-intérêts; qu’il ne peut donc s’agir d’action dilatoire et vexatoire; qu’il y a donc lieu de la débouter de cette demande.
SUR LES FRAIS NON COMPRIS DANS LES DEPENS
Attendu qu’au titre des frais non compris dans les dépens, madame COMPAORE sollicite de la Cour qu’elle condamne madame SIMPORE à lui payer la somme de cinq cent quatre vingt dix mille (590 000) francs CFA; que madame SIMPORE sollicite aussi que madame COMPAORE lui verse la somme de un million soixante deux mille (1 062.000) francs CFA.
Attendu cependant qu’une telle possibilité n’est offerte par la loi qu’à la partie qui a gagné le procès.
Attendu que dans le cas d’espèce c’est madame SIMPORE qui gagne le procès.
Attendu que le quantum de sa demande est tout de même élevé; que conformément au barème indicatif des honoraires d’avocats, il y a lieu de lui accorder la somme de quatre cent mille (400 000) francs CFA.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en dernier ressort.
Déclare l’appel recevable.
Infirme le jugement attaqué.
Statuant à nouveau, dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer.
Déclare la rupture du contrat de bail abusive.
Condamne en conséquence dame COMPAORE/GRÜNER H. Yvette à payer à dame SIMPORE/GNINGNIN Rasmata la somme de deux millions six cent mille (2.600 000) francs CFA à titre de dommages-intérêts.
Déboute dame COMPAORE de sa demande de dommages-intérêts.
La condamne aux dépens.
La condamne à payer à dame SIMPORE la somme de quatre cent mille (400 000) francs CFA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.