J-12-125
DROIT COMMERCIAL GENERAL — BAIL D’UN LOCAL A USAGE COMMERCIAL — CONTRAT DE BAIL COMMERCIAL — RESILIATION — PREAVIS DU BAILLEUR — ASSIGNATION EN PAIEMENT D’UNE INDEMNITE D’EVICTION — ACTION BIEN FONDEE — DOMMAGES ET INTERETS (OUI) — APPEL — RECEVABILITE (OUI)
EXCEPTION DE NULLITE — EXPLOIT INTRODUCTIF D'INSTANCE — HERITIERS DE FEU… — SUCCESSION AUX BIENS — SUCCESSION AUX ACTIONS RELATIVES A SES BIENS — APPELANTS — QUALITE ET INTERETS POUR AGIR (OUI) — FIN DE NON RECEVOIR (NON) — INDEMNITE D'EVICTION — PAIEMENT — ARTICLE 94 ALINEA 1 AUDCG — OPPOSITION DU BAILLEUR — VIOLATION DES CONDITIONS DES ARTICLES 95 ET 96 AUDCG — RUPTURE ABUSIVE DU CONTRAT (OUI) — CONFIRMATION DU JUGEMENT — ESTIMATION DU PREJUDICE — RAPPORT D'EVALUATION DES DOMMAGES ET INTERETS — MONTANT DE L’INDEMNITE ALLOUEE — REFORMATION DU JUGEMENT.
La succession aux biens d'une personne opère aussi une succession aux actions relatives à ses biens. Dans le cas d'espèce, la question qui se pose est de savoir non pas si les appelants « constituent un regroupement de personne ayant la personnalité juridique », mais de dire s’ils remplissent les conditions pour figurer comme partie à l'instance. En tant qu'héritiers, ils ont incontestablement qualité et intérêts. La fin de non recevoir soulevée par les appelants doit donc être rejetée.
En matière de bail commercial, seuls les cas énumérés aux articles 95 et 96 AUDCG peuvent justifier l'opposition du bailleur au droit au renouvellement du bail sans avoir à régler l'indemnité d'éviction. Après constat que les ayants droit avaient méconnu les dispositions impératives de l'AUDCG relatives aux conditions et formes du renouvellement du bail commercial, c'est à bon droit que le premier juge a déclaré abusive la rupture du contrat de bail. Par conséquent, les appelants ne peuvent échapper à l'application des dispositions de l'alinéa 1er de l'article 94 AUDCG.
Relativement au montant de l’indemnité d'éviction, il parait plus équitable de prendre en compte l'estimation du préjudice faite sur la base d'une fourchette de valeur fonction de la première hypothèse du rapport d'évaluation, c’est-à-dire l’hypothèse où le preneur est dans une incapacité totale de trouver un local et de l'aménager pendant le délai de congé de trois mois donné par le bailleur.
Article 69 AUDCG
Article 71 AUDCG
Article 94 AUDCG
Article 95 AUDCG
Article 96 AUDCG
Article 13 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 141 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 145 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 147 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 439 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 536 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 550 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
(COUR D’APPEL DE OUAGADOUGOU, Chambre commerciale (BURKINA FASO), Arrêt n° 002 du 18 janvier 2008, Ayants droit de feu TRAORE Seydou c/ SODIPAL)
LA COUR,
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par actes d'huissier en date du 21 avril 2006, les ayants droit de feu TRAORE Seydou représentés par dame FOFANA née TRAORE Fatimata ont interjeté appel du jugement n° 144 du 22 mars 2006 rendu par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou en ces termes;
« Statuant publiquement contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort;
Reçoit en la forme l’action intentée par la Société SODIPAL;
Au fond la déclare bien fondée;
Condamne en conséquence les ayants droit de feu TRAORE Seydou à payer à la SODIPAL la somme de trente quatre millions quatre cent trois mille cent soixante cinq (34.403.165) francs CFA à titre de dommages-intérêts;
Condamne en outre les ayants droit de feu TRAORE Seydou à payer la somme de deux millions neuf cent cinquante cinq mille deux cent trente sept (2.955237) francs CFA au titre des frais irrépétibles en application de l'article 06 nouveau de la loi n° 02812004 AN du 0810912004, et celle de cent cinquante trois mille quatre cent (153.400) francs CFA au titre des frais d'expertise;
Dit n’y a voir lieu à exécution provisoire :
Condamne les ayants droits de feu TRAORE Seydou aux dépens »;
Les appelants exposent que le 11 août 1999 ils donnaient en location à la Société de Distribution de Produits Alimentaires (SODIPAL) l'immeuble formant la parcelle C du lot 78, sise à la zone commerciale de Ouagadougou; qu'au cours de l'année 2005, ils manifestaient leur intention de reprendre l'immeuble et, en application du l'article 5 du contrat de bail, ils donnaient au preneur un préavis de résiliation; que cependant, la SODIPAL continua, a l'expiration du délai de congé, d'occuper l'immeuble malgré plusieurs sommations d'huissier à lui faites et les assigna devant le Tribunal de grande instance en paiement de la somme de 34.403.165 F CFA à titre de dommages et intérêts.
Les ADF TRAORE Seydou font valoir que l'exploit introductif d'instance initié par la SODIPAL encourt nullité; qu'en effet l'article 141 du code de procédure civile (CPC) prévoit comme irrégularités de fonds affectant la validité de l'acte, le défaut de qualité et de capacité du requérant ou du destinataire de l'acte, et l'article 145 du même code de préciser que « constitue une fin de non recevoir, tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêts, la prescription... »; qu'il est de principe qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir; que les ayants droit de feu TRAORE Seydou bien que constituant un regroupement de personnes ne saurait être considérés comme une entité dotée de la personnalité juridique; qu'il s'agit d'un regroupement purement sociologique qui ne peut valablement faire l'objet d'une procédure judiciaire; que c'est donc à bon droit que l'action de la SODIPAL sera déclarée irrecevable en application des articles 13, 141 et 145 du code de procédure civile et ce sans qu'il ne soit besoin, contrairement aux affirmations du premier juge, de faire la preuve de l'existence d'un préjudice, l'article 147 du même code ayant précisé à ce propos que les « fins de non recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un préjudice et alors même que l'irrecevabilité ne résulterait d'aucune disposition expresse ».
Au fond, les appelants soutiennent que c'est à tort que le premier juge à fait droit à la demande de la SODIPAL, le bail ayant été rompu conformément aux dispositions de l'article 5 du contrat qui liait les parties; que partant le locataire est mal venu à invoquer une quelconque responsabilité contractuelle du bailleur, encore moins solliciter des dommages intérêts.
Les ayants droits de feu TRAORE Seydou réclame qu'il leur soit alloué la somme de 10 000.000 F CFA à titre de dommages et intérêts.
En réplique la SODIPAL conclut au rejet de la fin de non recevoir soulevée par les appelants en expliquant que ceux-ci ont eux-mêmes opté de s'identifier tantôt sur le vocable de "héritier de feu TRAORE Seydou", tantôt sous celui de ayants droit de feu TRAORE Seydou; que si le terme ayants droit de feu TRAORE Seydou désigne un regroupement sociologique qui ne peut faire l'objet d'une procédure judiciaire, il est alors surprenant que cette même entité, dépourvue de la personnalité juridique, puisse relever appel d'une décision de justice; qu'il convient de relever qu'en première instance les appelants avaient la position de défendeur et que s'agissant de leur identification, le législateur leur fait obligation de s'identifier aux termes l'article 439 du code de procédure civile qui dispose : « le défendeur doit, à peine d'être déclaré, même d'office, irrecevable en sa défense faire connaître, s'il s'agit d'une personne physique ses nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance; s'il s'agit d'une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui le représente. »; que si irrégularité il y a, c'est seulement celle qui leur ait imputable et qui résulte des dispositions de l'article 439 suscitées, nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude.
Au fond, l'intimé conclut à la confirmation du jugement attaqué et demande que les appelants soient condamnés à lui payer la somme de 700 000 F CFA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens prévus à l'article 6 nouveau de la loi 10/93 portant organisation judiciaire au Burkina Faso; qu'en effet il a été contraint par les appelants à saisir la justice, exposant ainsi des frais d'avocats et d'expert.
DISCUSSION
EN LA FORME
Attendu que l'appel a été interjeté dans le délai et la forme prescrits aux articles 536 et 550 du code de procédure civile; qu'il convient de déclarer l'appel recevable;
AU FOND
Sur la fin de non recevoir
Attendu qu'en matière de transmission des droits, celle-ci peut avoir lieu entre vifs ou à cause de mort;
Attendu qu'en l'espèce dame FOFANA/TRAORE Fatimata et autres se sont vus transmettre les droits de leur auteur TRAORE Seydou, à cause de mort et sont de ce fait des ayants-cause ou ayants droit, ces deux expressions étant dans la pratique usitées comme des synonymes;
Attendu qu'en principe l'action en justice se transmet entre vifs ou à cause de mort, avec la prérogative juridique dont elle permet la réalisation judiciaire; que c'est ainsi que la succession aux biens d'une personne opère aussi succession aux actions relatives à ses biens;
Attendu que dans le cas d'espèce, la question qui se pose est de savoir non pas si dame FOFANA et autres « constituent un regroupement de personne ayant la personnalité juridique » mais de dire si ils remplissent les conditions pour figurer comme partie à l'instance; qu'incontestablement ils ont qualité et intérêts en tant qu'héritiers de feu TRAORE Seydou;
Attendu qu'il suit de ce qui précède que la fin de non recevoir soulevée par les appelants ne peut prospérer et doit être rejetée;
Sur l'indemnité d'éviction
Attendu que le bail conclu entre les parties le 11 mars 1999 s'analyse comme un bail commercial au regard des dispositions de l'article 71 de l'acte uniforme OHADA sur le droit commercial général qui précisent qu’ »est réputée bail commercial toute convention même non écrite, existant entre le propriétaire d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble compris dans le champ d'application de l'article 69, et toute personne physique ou moral, permettant à cette dernière d'exploiter dans les lieux avec l'accord du propriétaire, toute activité commerciale, industrielle, artisanale ou professionnelle. »;
Attendu que seuls les cas énumérés aux articles 95 et 96 de l'acte uniforme suscité peuvent justifier l'opposition du bailleur au droit au renouvellement du bail sans avoir à régler l'indemnité d'éviction; que c'est donc à bon droit que le premier juge a déclaré la rupture du contrat de bail du fait des ayants droit de feu TRAORE Seydou abusive, après avoir constaté que ces derniers avaient méconnu les dispositions impératives de l'acte uniforme relatives aux conditions et formes du renouvellement du bail commercial consenti à la SODIPAL;
Attendu que par conséquent les ayants cause de feu TRAORE Seydou ne peuvent échapper à l'application des dispositions de l'alinéa 1er de l'article 94 de l'acte uniforme sus-dessus visé aux termes desquelles « le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, en réglant au locataire une indemnité d'éviction. »;
Attendu que le premier juge a alloué à la SODIPAL une indemnité d'éviction à hauteur de 34.403.165 en se référant au rapport d'évaluation des dommages et intérêts produit par un cabinet comptable qui a estimé le préjudice subi par le preneur « à un montant compris entre F CFA 13.700.899 et 34.403.165 F CFA », et ce en fonction des hypothèses formulées à savoir d'une part, celle « où SODIPAL pendant trois (03) mois est dans une incapacité totale de trouver un local et de l'aménager » et d'autre part celle « où ce délai est porté à cinq (05) mois compte tenu des difficultés réelles de trouver un local à usage commercial dans une zone proche de l'implantation actuelle de la boutique »;
Attendu que le préavis de rupture donné par le bailleur est de trois (03) mois; qu'il parait plus équitable de prendre en compte l'estimation du préjudice faite sur la base d'une fourchette de valeur fonction de la première hypothèse et allouer à la SODIPAL la somme de 13.700.899 F CFA au titre de l'indemnité d'éviction; qu'il convient par conséquent de reformer le jugement dans ce sens;
Sur les frais non compris dans les dépens
Attendu que dans toutes les instances, le juge, sur demande expresse et motivée, condamne la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
Attendu qu'en saisissant la justice, la SODIPAL a exposé des frais; qu'il convient de faire droit à sa demande en application de l'article 6 nouveau de la loi 1093 portant organisation judicaire au Burkina Faso et le lui allouer la somme de 300 000 F CFA, somme fixée en l'absence de pièces justificatives, en se référant au barème indicatif des frais et honoraires des avocats, adopté par l'Assemblée générale des avocats du 20 décembre 2003 en son article 37-2;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort;
Déclare l'appel recevable;
Reforme le jugement attaqué quant au montant des dommages-intérêts alloués;
Condamne en conséquence les ayants droit de feu TRAORE Seydou représentés par madame FOFANA/TRAORE Fatimata à payer à SODIPAL la somme de treize millions sept cent mille huit cent quatre vingt dix neuf (13.700.899) francs CFA au titre de l'indemnité d'éviction;
Confirme les autres dispositions du jugement;
Condamne les ayants droit de feu TRAORE Seydou à payer à la SODIPAL la somme de trois cent mille (300 000) francs CFA au titre de l'article 6 nouveau de la loi portant organisation judiciaire au Burkina Faso;
Les condamne aux dépens.