J-12-169
DROIT COMMERCIAL GENERAL — BAIL COMMERCIAL — CONTRAT A DUREE DETERMINEE — RUPTURE — ASSIGNATION EN PAIEMENT D’UNE INDEMNITE D’EVICTION — ACTION BIEN FONDEE — APPEL — RECEVABILITE (OUI)
CESSATION DU CONTRAT DE BAIL — PREMIERS JUGES — MAUVAISE APPRECIATION — VIOLATION DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 101 AUDCG (OUI) — INFIRMATION DU JUGEMENT — CONTRAT DE BAIL — RECONDUCTION TACITE — ARTICLE 97 ALINEA 1 AUDCG — NOUVEAU BAIL DE TROIS ANS (OUI) — BAILLEUR — NOTIFICATION DE RESILIATION — ABSENCE D'UN MOBILE LEGITIME — RUPTURE ABUSIVEMENT — DROIT A REPARATION — ARTICLE 1382 CODE CIVIL — DOMMAGES ET INTERETS (OUI).
En cas de renouvellement du bail accepté expressément ou implicitement par les parties, l'article 97 alinéa 1er AUDCG précise que la durée du nouveau contrat est fixée à trois ans, le nouveau bail prenant effet à compter de l'expiration du bail à durée déterminée. En l'espèce, le bail a été tacitement renouvelé par deux fois pour une durée d'un an. C'est en cours d'exécution de ce nouveau contrat de bail de trois ans que le preneur a reçu notification d'une lettre de résiliation du contrat prenant effet pour compter du même jour. On ne saurait dès lors apprécier la cessation du contrat de bail en se plaçant, ainsi que l'ont fait les premiers juges, sur le terrain de l'article 94 AUDCG relatif au droit au renouvellement du bail dont bénéficie le preneur sous certaines conditions qui, lorsqu’elles sont remplies, entraîneraient le paiement d'une indemnité d'éviction à la charge du bailleur. En l’espèce, le preneur dont le contrat de bail a été abusivement rompu en violation des dispositions d'ordre public de l'article 101 AUDCG, ne peut obtenir réparation que sur le fondement de l'article 1382 du code civil, siège de la théorie de l'abus des droits.
L’objectif de la réparation est « de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ». Outre les indications données à l'article 94 alinéa 2 AUDCG pour la fixation par le juge du montant de l'indemnité d'éviction, il convient d'ajouter des éléments tels que les frais de déménagement et de réinstallation, une indemnité pour perte sur le stock et une indemnité pour trouble commerciale pour évaluer le préjudice subi du fait de la brusque rupture.
Article 91 AUDCG
Article 92 AUDCG
Article 94 AUDCG
Article 97 AUDCG
Article 101 AUDCG
Article 1134 CODE CIVIL BURKINABÈ
Article 1382 CODE CIVIL BURKINABÈ
Article 536 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 550 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
COUR D'APPEL DE OUAGADOUGOU, Chambre commerciale (BURKINA FASO), Arrêt n° 43 du 19 juin 2009, CHAMBRE DE COMMERCE D'INDSUTRIE ET D'ARTISANAT du BURKINA c/ DlA HAROUNA
LA COUR,
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par exploit en date du 06 mai 2005 signifié à Monsieur DIA Harouna et déposé au greffe de la Cour d’appel de Ouagadougou la Chambre de Commerce d'Industrie et d'Artisanat du Burkina (CCIA-B) a relevé appel du jugement rendu le 04 mai 2005 par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou en ces termes : « statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et premier ressort;
En la forme, déclare l'action introduite par DIA Harouna recevable;
Au fond, la déclare bien fondée. Condamne par conséquent la Chambre de Commerce, d'Industrie et d'Artisanat du Burkina (CCIA/B) à payer à DIA Harouna la somme de quatre vingt douze millions quatre cent mille (92.400 000) francs CFA à titre d'indemnité d'éviction.
Déboute DIA Harouna du surplus de sa demande. Condamne la CCIA/B aux dépens. »
La CCIA-B expose que pour faire droit aux prétentions de Monsieur DIA Harouna, les premiers juges se sont fondés de manière erronée sur les dispositions de l'article 94 de l'Acte uniforme OHADA portant droit commercial général (AUDCG) qui prévoient que : « le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée on indéterminée en réglant au locataire une indemnité d'éviction. A défaut d'accord sur le montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant notamment compte du chiffre d'affaire, des amortissements réalisés par le preneur et de la situation géographique du local »; qu'en effet le solutionnement en l'espèce est subordonné aux réponses à donner aux questionnements juridiques suivants :
La fin du contrat de bail liant les parties s'analyse-t-elle en un refus de renouvellement ou une résiliation pure et simple ?
Au cas où il s'agit d'un refus de renouvellement Monsieur DIA Harouna a-t-il satisfait aux conditions et formes du droit au renouvellement ?
La CCIA-B estime que le renouvellement n'est opérant que pour un contrat de bail arrivé à terme; qu'alors que dans le cas d'espèce, Monsieur DIA Harouna lui-même affirme que par application des dispositions de l'article 97 de l'AUDCG, le contrat de bail qui les lie a acquis une durée de 3 ans du fait de sa tacite reconduction à l'expiration du premier terme allant du 1er juin 1998 au 31 mai 1999; qu'en d'autres termes le contrat de bail querellé a une durée de 3 ans, arrivant à expiration le 31 mai 2002; qu'une telle affirmation de la part de ce dernier signifie que le contrat de bail dont s'agit n'était pas arrivé à terme et n'était pas susceptible de faire l'objet d'un autre renouvellement; qu'il est dès lors évident qu'un terme non expiré ne peut faire l'objet d'une reconduction; qu'en conséquence on ne saurait reprocher à la Chambre de Commerce d'avoir refuser de renouveler le contrat de bail et de s'exposer ainsi au paiement d'une indemnité d'éviction;
La CCIA-B fait valoir que c'est dans cette logique de résiliation du bail que Monsieur DIA lui a adressé une correspondance en date du 05 septembre 2000, lui rappelant les dispositions de l'article 101 alinéa 2 de l'AUDCG relatives à la procédure de résiliation après avoir sollicité et obtenu une ordonnance de référé (n°02/CAB/PR du 10 août 2000) lui accordant un délai de six (6) mois pour libérer les lieux loués; qu'en sollicitant un tel délai, Monsieur DIA Harouna s'est objectivement placé sur le terrain de la rupture pure et simple du contrat de bail, le délai congé étant totalement inopérant en cas de non renouvellement de bail.
La CCIA-B estime que même s'il s'était agi d'un refus de renouvellement, il demeure que Monsieur DIA Harouna ne remplissait pas les conditions du droit au renouvellement telles que prévues à l'article 91 de l'AUDCG; que non seulement Monsieur DIA ne peut justifier avoir effectivement exploité le fonds depuis au moins deux (2) ans, mais aussi le fonds n'a pas été exploité conformément aux stipulations du bail; qu'en effet, l'article 4.1 du contrat de bail précise que les lieux loués sont destinés exclusivement à la conservation de fruits et légumes et que le locataire ne pourra transformer la destination des lieux qu'avec l'accord du bailleur; qu'alors qu'il est constant que Monsieur DIA Harouna utilisait les lieux loués pour la commercialisation de poissons et fruits de mer; qu'il ne peut produire aucun avenant ou document fiable susceptible de matérialiser l'accord du bailleur pour les transformations entreprises de façon unilatérale; qu'en outre, le preneur n'a initié aucune demande de renouvellement dans le délai et la forme prescrits à l'article 92 alinéa 1er de l'AUDCG sous peine de déchéance; que la Chambre de Commerce n'ayant donc reçu de demande en ce sens, ne pouvait utilement en réserver une suite; que des lors on ne saurait lui reprocher un refus de renouvellement du droit au bail pour justifier une demande d'indemnité d'éviction.
La CCIA-B fait valoir que si par extraordinaire, la Cour venait à faire sienne la motivation des premiers juges, passant outre ses conclusions, il tient à faire relever, s'agissant du montant de l'indemnité d'éviction, les points suivants; qu'en effet s'il convient d'admettre l'importance du chiffre d'affaire dans la détermination de l'indemnité principal d'éviction, il y a lieu de s'accorder sur sa définition; que s'agissant d'une activité sujette à déclaration légale, le chiffre d'affaire ne peut être que celui contenu dans les déclarations; que cependant, les chiffres communiqués par Monsieur DIA Harouna sont fantaisistes; que c'est pourquoi elle a sollicité et obtenu de l'administration fiscale, après une ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Ouagadougou l'y autorisant, communication des chiffres d'affaires de Monsieur DIA Harouna pour les années 1999 et 2000, toutes choses qui ont révélé que ce dernier ne déclarait pas son chiffre d'affaire, son seul bilan datant de l'année 1991; que pour l'année 1991, la taxation d'office a porté sur la somme de deux cent mille (200 000) francs CFA ce qui correspond à un chiffre d'affaire de quarante millions (40 000.000) de francs CFA; que du reste les services des impôts n'ont connaissance que de sa boutique situées au secteur n08 de Ouagadougou, son commerce tenu au marché central de Ouagadougou, Rood Wooko, dont le bail est l'objet du présent litige, n'ayant pas été déclaré aux impôts; que Monsieur DIA Harouna ne peut « profiter de tant d'année d'incivisme et par enchantement faire cas de son chiffre d'affaire supposé réel pour le calcul de l'indemnité d'éviction; que les premiers juges tout en percevant le problème se sont refusés à en tirer toutes les conséquences; qu'ainsi pour marquer leur préférence pour les travaux du second expert, ils ont estimé que l'évaluation faite par ce dernier soit soixante sept millions quatre cent mille (67.400 000) francs CFA « s'est appuyé sur la méthode de calcul basée sur le chiffre d'affaire réel relevé dans les documents de l'entreprise et des données fournies par la Direction générale des impôts »; qu'en réalité la taxation d'office s'étant faite sur la base d'un chiffre d'affaire de quarante millions (40 000.000) de francs CFA, c'est sur ce montant que doit être calculée l'indemnité d'éviction si d'aventure celle-ci est due.
En réplique Monsieur DIA Harouna expose qu'il a pris en location auprès de la CCIA-B des locaux à usage de chambre froide positive sis au grand marché Rood Wooko, suivant contrat en date du 1er juin 1998, lesquels locaux, avec l'autorisation du bailleur, ont été transformés par ses soins en chambre froide négative pour la congélation et la commercialisation du poisson et de fruits de mer; que le bail ainsi signé a été renouvelé en 1999 puis en 2000; qu'un mois et dix jours après ce dernier renouvellement, la CCIA-B lui a adressé une lettre en date du 10 juillet 2000 portant résiliation pour compter du même jour, du contrat de bail les liant; que cette résiliation, brusque et anarchique, intervenue sans aucun motif et par conséquent abusive, a été immédiatement suivie de menaces d'expulsion, l'obligeant à saisir le juge des référés pour obtenir une ordonnance datée du 10 avril 2000 lui accordant un délai-congé de six (6) mois pour libérer les lieux loués; que l'urgence et la nécessité procédaient de ce qu'il avait un stock en chambre froide plus de cent millions (100 000.000) de francs CFA de poissions ainsi que des milliers de cartons non dédouanés à Ouaga-Inter; que le 17 janvier 2001, le bailleur revenait à la charge en le sommant de libérer les lieux, l'obligeant de nouveau à saisir le juge des référés qui, par décision n° 60 du 06 février 2001, a ordonné le sursis à toute mesure d'expulsion dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction; que passant outre cette décision, la CCIA-A l'expulsera en procédant au changement de toutes les serrures des locaux; qu'en réalité les locaux avaient déjà été cédés aux bouchers qui l'occupèrent immédiatement; que l'on mesure dès lors amplement le préjudice commercial, le dommage moral et l'humiliation à lui causé par son bailleur et qui est distinct de l'indemnité d'éviction; que c'est en raison de l'énormité de son préjudice et de l'intention manifeste de la CCIA-B de lui nuire qu'il a adressé à cette dernière le 05 septembre 2000 une demande de paiement d'une indemnité d'éviction sur le fondement de l'article 94 de l'AUDCG, lettre restée sans suite.
Monsieur DIA Harouna fait valoir qu'il remplit les conditions pour bénéficier de l'indemnité d'éviction; qu'en effet au regard des dispositions de l'article 91 de l'AUDCG, il a exploité en tant que preneur, conformément aux stipulations du bail, l'activité prévue pendant une durée minimale de deux (2) ans; qu'ainsi il a exploité les locaux loués du 1er juin 1998 au 31 mai 1999 puis du 1er juin 1999 au 31 mai 2000, période suivie d'un nouveau renouvellement du bail pour une durée similaire; que s'agissant de l'exploitation conforme des lieux, il a discuté et conclu avec la CCIA-B pour l'exploitation du local à l'effet d'y vendre du poisson congelé et surgelé et les transformations nécessaires à cette exploitation ont eu lieu avec l'accord du bailleur ainsi que l'atteste le rapport de Monsieur OUEDRAOGO Aimé de la CCIA-B sur l'historique de la chambre froide depuis l'ouverture du marché central en 1989.
L'intimé soutient que dés lors que le droit au renouvellement est devenu acquis comme c'est le cas en l'espèce, le bailleur ne peut rompre le contrat qu'à deux conditions : une résiliation judiciaire pour manquement grave aux obligations légales ou conventionnelles ou le paiement de l'indemnité d'éviction; qu'aucun de ces manquements légaux (non paiement des lieux loués) ou conventionnels (article 8 du contrat de bail) ne peuvent lui être reprochés, il ne reste plus que la deuxième condition à savoir la rupture du droit au renouvellement par le paiement de l'indemnité d'éviction; que s'il a demandé un délai de grâce, c'est conformément à la doctrine et à la jurisprudence qui indiquent « qu'il est constant que ce droit au maintien lui permet de poursuivre la jouissance des locaux pendant la durée de l'instance jusqu'à ce qu'il soit statué sur le principe même de l'indemnité d'éviction et son montant » (cf. LAMY, Droit commercial 2d. n° 1285); que la CCIA-B, forte de sa puissance a bafoué ce droit au maintien, ajoutant au trouble commercial déjà subi; que la Cour constatera son droit à l'indemnité d'éviction et lui accordera l'ensemble des droits tels que figurent dans l'expertise du cabinet CAFEC-KA en lui accordant une indemnité évalué à trois cent quatre cinq millions six cent trente quatre mille six cent soixante huit (385.634.668) francs CFA outre la somme de cent millions (100 000.000) de francs CFA au titre du préjudice moral spécifique subi et qu'il continue de subir; que la CCIA-B sera condamnée aux dépens et à lui payer la somme de douze millions cinq cent mille (12.500 000) francs CFA au titre des frais et honoraires d'avocats non compris dans les dépens;
DISCUSSION
EN LA FORME
Attendu que l'appel interjeté par la CCIA-B est recevable pour avoir été fait dans la forme et le délai prescrits aux articles 536 et 530 du code de procédure civile;
AU FOND
1 - Sur la rupture du contrat de bail
Attendu qu'il n'est pas contesté que le contrat de bail commercial liant la CCIA-B à Monsieur DIA Harouna a été tacitement renouvelé par deux fois pour une durée d'un an; qu'en cas de renouvellement accepté expressément ou implicitement par les parties, l'article 97 alinéa 1er de l'AUDCG précise que la durée du nouveau contrat est fixée à trois ans, le nouveau bail prenant effet à compter de l'expiration du bail à durée déterminée, c'est-à-dire en l'espèce, à compter du 1er juin 1999; que c'est en cours d'exécution de ce nouveau contrat de bail de trois ans arrivant à terme le 31 mai 2002 que DIA Harouna a reçu notification, le 10 juillet 2000, d'une lettre de résiliation du contrat de bail de la part de la CCIA-B prenant effet pour compter du même jour;
Attendu qu'on ne saurait dès lors apprécier la cessation du contrat de bail ayant lié les parties en se plaçant, ainsi que l'ont fait les premiers juges, sur le terrain de l'article 94 de l'AUDCG relatif au droit au renouvellement du bail dont bénéficie le preneur sous certaines conditions qui, lorsqu’elles sont remplies, entraîneraient le paiement d'une indemnité d'éviction à la charge du bailleur; qu'en effet le refus de renouvellement n'intervient qu'à différents moments constitués par la fin du bail, les échéances triennales, pendant la tacite prorogation et doit procéder soit d'un congé du bailleur, soit d'une réponse du bailleur à la demande du preneur; qu'en l'espèce la cessation du contrat du bail ne s'inscrit dans aucune de ses périodes;
Attendu qu'il est constant que la rupture du contrat du bail à durée déterminée est intervenue du fait du bailleur de manière brusque, sans motif apparent et en violation des dispositions d'ordre public de l'article 101 de l'AUDCG relatives à la résiliation du bail; qu'en réalité à la même date la CCIA-B confirmait par lettre, sa promesse de louer le local à l'Association des bouchers du marché Rood Wooko tout en les invitant « à cet effet à prendre connaissance du contrat de location ci-joint en vue de sa signature prochaine »;
Attendu que selon une doctrine bien établie « les baux qui relèvent des lois particulières, tels que les baux d'habitation, ruraux et commerciaux, ne sont pas complètement affranchis du droit commun. Le code civil leur reste applicable pour toutes les questions laissées en suspens par les statuts spéciaux. Cette vocation interstitielle du droit commun se manifeste surtout au regard des obligations des parties » (cf. E. Collart-Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, n° 400, p. 353, Précis Dalloz, 6e éd.);
Attendu qu'aux termes de l'alinéa 3 de l'article 1134 du code civil « les conventions doivent être exécutées de bonne foi »;
Attend qu'en l'espèce la CCIA-B a rompu de manière brutale téméraire sans justification aucune le bail commercial qui la liait à Monsieur DIA Harouna dans des circonstances, qui frisent la voie de fait, le preneur ayant été sommé de quitter les lieux le jour même de la notification de la rupture;
Attendu que comme pour les autres prérogatives reconnues au bailleur, le droit pour ce dernier de résilier le contrat de bail ne saurait être exercé qu'à bon escient conformément à l'esprit du bail commercial; que l'usage d'un droit cesse d'être licite et engendre une action en dommages-intérêts lorsqu'il a pour unique mobile la volonté de nuire à autrui, ou à tout le moins lorsqu'il est constitué par l'absence d'un mobile légitime avéré chez le bailleur, en l'espèce la CCIA-B;
Attendu qu'au regard de ce qui précède, Monsieur DIA Harouna, dont le contrat de bail a été abusivement rompu, ne peut obtenir réparation que sur le fondement de l'article 1382 du code civil, siège de la théorie de l'abus des droits, aux termes duquel il nous est interdit de causer, par notre fait un dommage injuste à autrui, fût-ce en utilisant des droits qui nous sont confiés par la loi; que l'abus de droit peut entraîner, à la charge de son auteur une réparation en équivalent ou en nature;
2 - Sur les dommages-intérêts
Attendu que Monsieur DIA Harouna réclame à titre de réparation pour l'éviction dont il a été victime la somme de trois cent quatre vingt cinq millions six cent trente quatre mille six cent soixante huit (385.634.668) francs CFA en se fondant sur le rapport de la première expertise émanant du cabinet CAFEC- KA et auquel va sa préférence, outre la somme de cent millions (100 000.000) de francs CFA au titre du préjudice moral;
Attendu que l'objectif de la réparation est « de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit »;
Attendu qu'outre les indications données à l'article 94 alinéa 2 de l'AUDCG pour la fixation par le juge du montant de l'indemnité d'éviction, il convient d'ajouter des éléments tels que les frais de déménagement et de réinstallation, une indemnité pour perte sur le stock et une indemnité pour trouble commerciale pour évaluer le préjudice subi du fait de la brusque rupture;
Attendu que s'agissant du chiffre d'affaires réalisé par Monsieur DIA Harouna, il ressort des pièces du dossier, notamment de la correspondance du 09 mars 2001 du chef de la division fiscale Kadiogo IV que pour l'exercice 1999, son chiffre d'affaire annuel a été évalué à quarante millions (40 000.000) de francs CFA, celui de l'année 2000 n'ayant pas été encore déclaré, qu'il ressort en outre du dossier fiscal de l'intéressé que le siège principal de son activité consistant à l'import export de denrées alimentaires se trouve ailleurs, au secteur 08, rue 8-25, porte 132 de la ville de Ouagadougou, ainsi que l'atteste un contrat de bail du 05 janvier 2000;
Attendu que pour évaluer le préjudice réel subi par l’intimé il y a lieu de se référer aux résultats d'exploitation en retenant le chiffre d'affaires des deux dernières années ayant précédé la rupture du bail tout en lui appliquant des correctifs propres au cas d'espèce;
Attendu en effet que selon les propres affirmations de l'intimé « le seul fonds de commerce de poissonnerie moderne avec des installations de chambre froide » est celui exploité par ses soins à Ouagadougou et qui constitue « un fonds unique au Burkina »; qu'il s'agit donc d'un fonds de commerce qui, en raison de sa notoriété ou de son activité ne risque pas de perdre sa clientèle quel que soit son emplacement;
Attendu que pour ce qui concerne les investissements réalisés par le preneur avec l'accord tacite du bailleur, aucune pièce justificative n'a été produite au dossier;
Attendu que l'indemnité de déménagement correspond aux frais de déménagement et de reinstallation engagés par le locataire, en l'espèce pour transférer l'ancien fonds et rendre les locaux conforme à leur destination;
Attendu que l'indemnité de perte sur stocks est allouée lorsque la réalisation du stock à l'occasion de la rupture du contrat de bail a entraîné un préjudice complémentaire; qu'en l'espèce, ce préjudice n'existe plus dès lors que Monsieur DIA Harouna a obtenu du juge des référés un délai congé de 6 mois à compter de la date de rupture du bail pour organiser son déménagement, délai au cours duquel il a continué son exploitation;
Attendu que l'indemnisation du trouble commerciale est destinée à compenser la perte que le locataire va subir pendant la période où il cherche un nouveau fonds ou à se réinstaller;
Attendu qu'au regard des préjudices avérés et prenant en compte son chiffre d'affaire annuelle, il y a lieu de faire partiellement droit à sa demande de réparation en lui allouant 75% dudit chiffre d'affaire au titre du préjudice matériel subi;
Attendu qu'en outre il est incontestable que les circonstances de son expulsion, manu militari, changement immédiate des serrures des locaux loués, ont terni son image au sein de la communauté des commerçants au sein du marché central Rood Wooko, toutes choses qui méritent réparation; que la somme de dix millions (10 000.000) de francs CFA constitue un juste montant à ce titre;
Attendu qu'il convient dès lors de condamner la CCIA-B à payer à Monsieur DIA Harouna la somme de quarante millions (40 000.000) de francs CFA pour toute cause de préjudices confondus et de le débouter du surplus de sa demande;
3 - Sur les frais
Attendu qu'en application des dispositions de l'article 6 nouveau de la loi 10-93/ADP du 17 mai 1993 portant organisation judiciaire au Burkina Faso, il convient de faire partiellement droit à la demande de Monsieur DIA Harouna en condamnant la CCIA-B, partie perdante au procès, à lui payer la somme de quatre cent mille (400 000) francs CFA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en référence au barème indicatif des frais et honoraires des avocats du 20 décembre 2003, en son article 33;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en dernier ressort;
Déclare l'appel recevable;
Infirme le jugement attaqué;
Statuant à nouveau, condamne la Chambre de Commerce, d'Industrie et d'Artisanat à payer à DIA Harouna la somme de millions (40 000.000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de bail les liant;
Condamne la CCIA-B aux dépens;
La condamne à payer à DIA Harouna la somme de quatre cent mille (400 000) francs CFA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.