J-12-174
DROIT COMMERCIAL GENERAL — BAIL COMMERCIAL — CONTRAT A DUREE INDETERMINEE — CONGE DU BAILLEUR — OPPOSITION DU PRENEUR — ACTION EN REGLEMENT DE L’INDEMNITE D’EVICTION — ACTION RECEVABLE — FIXATION DE L’INDEMNITE — RESILIATION DU BAIL — EXPULSION DU PRENEUR — APPEL — RECEVABILITE (OUI)
MONTANT DE L’INDEMNITE D'EVICTION — DEFAUT D'ACCORD — ARTICLE
94 AUDCG — ELEMENTS D'APPRECIATION — INVESTISSEMENT DANS LE LOCAL — DEFAUT DE PREUVE — CHIFFRE D'AFFAIRE REALISE — ABSENCE DE DOCUMENT — SITUATION GEOGRAPHIQUE DU LOCAL (OUI) — DEGRADATIONS DU LOCAL — FAIT DU PRENEUR — QUANTUM DE L’INDEMNITE — REFORMATION DU JUGEMENT.
L’article
94 AUDCG prévoit que « le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée indéterminée en réglant au locataire une indemnité d'éviction. A défaut d'accord sur le montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du montant du chiffre d'affaires, des investissements réalisés par le preneur et la situation géographique du local ». En l’espèce, à défaut de preuves sur le montant du chiffre d'affaire et des investissements réalisés par le preneur, il y a lieu de fixer l'indemnité en tenant compte non seulement de la situation géographique du local, mais aussi des frais que le bailleur devra supporter pour la remise en état du local qui a subi de sérieuses dégradations du fait du preneur.
Article 332 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 394 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 536 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
Article 550 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
COUR D'APPEL DE OUAGADOUGOU, Chambre commerciale (BURKINA FASO), Arrêt n° 056 du 04 décembre 2009, SAWADOGO Pelga Boukary c/ Madame DIOP Awa
LA COUR,
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL
Par acte d'huissier en date du 28 février 2007, SAWADOGO Pelga Boukary a déclaré relever appel contre le jugement n° 20 rendu le 14 février 2007 par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou en ces termes : « Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en premier ressort;
Déclare SAWADOGO Pelga Boukary recevable en la forme en son action;
Fixe l'indemnité d'éviction à la somme de cinq millions de francs CFA (5 000 000);
Prononce la résiliation du bail existant entre les parties;
En conséquence, ordonne l'expulsion de DIOP Awa, tant de sa personne, de ses biens que de tout occupant de son chef de l'immeuble appartenant à SAWADOGO Pelga Boukary;
Dit que l'expulsion de DIOP Awa prendra effet seulement après paiement intégral de l'indemnité d'éviction;
Condamne DIOP Awa aux dépens »;
Attendu que l'article 536 du code de procédure civile prévoit que le délai d'appel est de deux mois pour les jugements contradictoires et ce à compter du prononcé du jugement; que l'article 550 du même code prévoit que l'appel est formé par acte d'huissier, signifié à l'intimé et déposé au greffe de la juridiction d'appel;
Attendu que la décision a été rendue le 14 février 2007 et l'appel interjeté le 28 février 2007 par acte d'huissier; qu'il convient donc de le déclarer recevable pour avoir été formé dans les délais et forme requis;
AU FOND
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
SAWADOGO Pelga Boukary expose qu'il a donné à DIOP Awa un immeuble à usage commercial à titre de bail à loyer; que DIOP Awa exploitait des activités de restauration dans l'immeuble depuis le 1er juillet 1994; que le bail était à durée indéterminée et que par la suite il a voulu mettre fin au bail en donnant congé au preneur le 02 novembre 2004 par exploit d'huissier; que par la même forme, DIOP Awa a fait opposition au congé le 16 décembre 2004; qu'il s'engageait alors à lui offrir de lui payer une indemnité d'éviction par exploit d'huissier du 21 février 2005; qu'elle s'en oppose encore une fois; que c'est pourquoi il a saisi le tribunal pour voir arbitrer le montant de l'indemnité d'éviction; que le tribunal a fixé une indemnité en violation de la loi en fixant l'indemnité à cinq millions (5 000 000) de francs CFA; que pourtant DIOP Awa n'a pu produire le montant de son chiffre d'affaire ni la valeur des investissements qu'elle aurait réalisé sur les lieux; que le jugement a violé l'article 94 alinéa 2 de l'Acte uniforme OHADA sur le doit commercial général; que les deux parties ont relevé appel et entre temps DIOP Awa a quitté les lieux sans avoir été évincé par le bailleur; qu'en quittant ainsi, elle a acquiescé à la demande du bailleur; que l'article 332 du code de procédure civile prévoit que « l'acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action »; qu'elle n'est plus fondée à solliciter quelque somme d'argent que ce soit; que si la Cour passe outre cette demande, il demande que l'indemnité d'éviction soit fixé à un millions cinq cent mille (1.500 000) francs CFA;
En réplique, DIOP Awa par la plume de son conseil expose que les prétentions du bailleur tendant à dire qu'elle aurait acquiescé à sa demande ne saurait prospérer; qu'elle n'a pas acquiescé et n'a posé aucun acte qui prouve sans équivoque qu'il acquiesce; qu'elle a même formé appel incident pour demander que l'indemnité d'éviction soit revue à la hausse; qu'elle n'entend donc pas renoncer à son action; que le tribunal a manqué d'asseoir sa décision sur l'article 94 de l'Acte uniforme relatif au droit commercial général; qu'elle n'a pas tenu compte des gros investissements qu'elle a réalisé pour répondre aux attentes de ses clients; que le lieu d'implantation devait aussi guider le tribunal; qu'elle sollicite que le jugement soit reformé et que le montant de l'indemnité d'éviction soit fixé à dix huit millions (18 000 000) francs CFA; que SAWADOGO Pelga Boukary soit débouté de l'ensemble de ses prétentions comme étant mal fondées; qu'il soit condamné aux dépens outre la somme de quatre cent mille (400 000) francs CFA au titre des frais exposés en application de l'article 6 nouveau de la loi portant organisation judiciaire au Burkina Faso;
En réplique SAWADOGO P. Boukary déclare que DIOP Awa ne prouve nullement qu'elle a effectué des investissements dans les lieux; qu'elle ne prouve pas non plus son chiffre d'affaire; que DIOP Awa a détérioré les bâtiments par manque d'entretien tel qu'il ressort du procès-verbal de constat versé au dossier; qu'il sollicite qu'elle supporte les frais de remise en état du bâtiment qu'elle a détérioré; que l'indemnité d'éviction soit ixée à un million (1 000 000) de francs CFA en tenant compte des frais de réparation des défectuosités causées par elle;
MOTIVATION
Sur l'indemnité d'éviction
Attendu que les parties ont saisi la juridiction pour voir fixer une indemnité d'éviction à DIOP Awa;
Attendu que l'article 94 de l'Acte uniforme OHADA relatif au droit commercial général prévoit que « le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée indéterminée en réglant au locataire une indemnité d'éviction. A défaut d'accord sur le montant de cette indemnité, celle-ci est fixée par la juridiction compétente en tenant compte notamment du montant du chiffre d'affaire, des investissements réalisés par le preneur et la situation géographique du local »;
Attendu que le preneur prétend avoir fait des investissements au local; que malgré les invitations du bailleur et du tribunal, DIOP Awa n'a pu fournir aucune preuve d'investissement dans le local ni aucun document prouvant le chiffre d'affaire qu'elle réalise;
Attendu que ce sont des éléments qui permettent au juge de fixer l'indemnité d'éviction; qu'à défaut de ces éléments d'appréciation, il y a lieu de fixer l'indemnité en tenant compte de la situation géographique;
Attendu que le local est situé aux abords de l'Avenue Kwamé N'KRUMAH; que cette avenue abrite des commerces d'un standing supérieur;
Mais attendu que le bailleur a prouvé par un rapport de constat d'expertise des lieux que le local a subi de sérieuses dégradations du fait du preneur; que la remise en état nécessite des frais que le bailleur va supporter; qu'il serait inéquitable de laisser ces frais à la charge du bailleur; qu'il convient de fixer l'indemnité d'éviction à trois millions (3 000 000) de francs CFA et débouter DIOP Awa du surplus de sa demande;
Sur les frais
Attendu que DIOP Awa demande que SAWADOGO P. Boukary soit condamné à lui payer la somme de quatre cent mille (400 000) francs CFA au titre des frais exposés en vertu de l'article 6 nouveau de la loi portant organisation judiciaire au Burkina Faso;
Attendu que la demande n'est pas motivée; qu'il y a lieu de l'en débouter;
Sur les dépens
Attendu que l'article 394 du code de procédure civile prévoit que la partie qui succombe supporte les dépens; qu'en l'espèce aucune partie n'a totalement succombé; qu'il y a lieu de faire masse des dépens et dire qu'ils seront supportés par les parties chacune pour moitié;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare l'appel interjeté recevable en application des articles 536 et 550 du code de procédure civile;
AU FOND
Réforme le jugement n° 20/2007 rendu le 14 février 2007 par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou quant au quantum alloué au titre de l'indemnité d'éviction;
Fixe ledit montant à la somme de trois millions (3 000 000) de francs CFA;
Confirme les autres dispositions du jugement;
Déboute DIOP Awa du surplus de ses demandes;
Fait masse des dépens qui seront supportés pour moitié par chacune des parties.