J-12-182
DROIT DE L’ARBITRAGE — CONTRAT DE GARDIENNAGE — CLAUSE D'ARBITRAGE — REQUETE AUX FINS D'ARBITRAGE — TRIBUNAL ARBITRAL — DECISION D’INCOMPETENCE — RECOURS EN ANNULATION —
JURIDICTION SAISIE — ARTICLE 25 AUA — COUR D’APPEL — JURIDICTION DE SECOND DEGRE COMPETENTE (OUI)
RECEVABILITE DU RECOURS EN ANNULATION — CONDITIONS — ARTICLE 26 AUA — PIECES JUSTIFICATIVES DE LA CREANCE — NON COMMUNICATION — VIOLATION DE L’ARTICLE 5 CPC — VIOLATION DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE — MONTANT RECLAME — DEFAUT DE PRECISION — DEFAUT DE MOTIVATION DU JUGE ARBITRAL — RECEVABILITE DU RECOURS EN ANNULATION (OUI) — ANNULATION DE LA SENTENCE
CONTRAT DE PRESTATION DE SERVICES — DEBITEURS — RECONNAISSANCE DE LA CREANCE — OBLIGATION DE PAYER (OUI) — DEMANDE D'INTERET DE DROIT — PAIEMENT DE LA CREANCE — RETARD DANS L'EXECUTION — DROIT A DES INTERETS (OUI).
A défaut de désignation du juge compétent par la législation nationale au Burkina Faso il apparaît judicieux, au regard de la doctrine et de la législation d’autres Etats-parties au traité OHADA, de reconnaître en la Cour d’appel du ressort dans laquelle la sentence arbitrale a été rendue la juridiction compétente visée à l'article
25 AUA comme juridiction de second degré des décisions rendues par le Tribunal arbitral et dont les décisions sont susceptibles de pourvoi en cassation.
Aux termes de l'article
26 AUA, le recours en annulation n'est recevable que dans les cas où, notamment, le principe du contradictoire n'a pas été respecté, ou si la sentence arbitrale n'est pas motivée … Et l'article 5 CPC dispose que : « nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé ». En ne communiquant pas au créancier les pièces justificatives de la créance dont se prévalent les débiteurs et en faisant droit à leur demande, le juge du Tribunal arbitral a méconnu les termes de l'article 5 sus cité. Non seulement il n'a nullement appuyé sa décision sur des pièces débattues contradictoirement, mais aussi, le défaut de précision dans le montant retenu à la charge du créancier constitue un défaut de motivation. Il convient donc de déclarer le présent recours en annulation de la sentence arbitrale recevable et en conséquence annuler ladite sentence.
La créance en principal du créancier correspond à différentes prestations en vertu d’un contrat de service le liant aux intimées. Ladite créance n'est pas contestée ni dans son principe ni dans son montant par les débiteurs. Dès lors, en application des dispositions contractuelles, il y a lieu de les condamner à payer la somme réclamée. Quant à la demande d'intérêt de droit du créancier, elle est pleinement justifiée par le retard accusé dans le paiement de sa créance.
Article 5 CODE DE PROCEDURE CIVILE BURKINABÈ
(COUR D’APPEL DE OUAGADOUGOU, Chambre commerciale (BURKINA FASO), Arrêt n° 043 du 16 avril 2010, Société Services Universels c/ Société SOGEA-SATOM)
LA COUR,
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par jugement rendu le 13 février 2008 le Tribunal de grande instance de Ouagadougou dans la cause opposant les sociétés Services Universels et SOGEA-SATOM, donnait acte de ce que le dossier soit renvoyé devant le CAMC-O;
En vertu de ce jugement et de la clause d'arbitrage contenue à l'article 12 du contrat de gardiennage convenu entre les parties le 26 décembre 2005, la société Services Universels a introduit le 03 mars 2008 une requête aux fins d'arbitrage du CAMC-O;
L'arbitre désigné rendait le 25 novembre 2009 une sentence arbitrale dont le dispositif suit :
« Le Tribunal se déclare incompétent à connaître du litige entre le sieur TALL Hamadou et DTP Terrassement et SOGEA-SATOM et rejette en conséquence la demande en intervention forcée;
Le Tribunal arbitral décide que :
1) la créance en principal de dix millions cent soixante deux mille six cent quarante huit (10.162.648) francs CFA de la société Services Universels contre les sociétés DTP Terrassement et SOGEA-SATOM est fondée;
2) la créance de huit millions trois cent quarante trois mille deux cent (8.343.200) francs CFA au profit de SOGEA-SATOM à l'endroit de la société Services Universels est fondée;
3) la créance de six millions vingt trois mille deux cent quatre vingt neuf (6.023.289) francs CFA au profit des sociétés DTP Terrassement et SOGEA-SATOM à l'endroit de la société Services Universels est fondée;
4) la compensation entre les créances ci-dessus établies doit être prononcée de sorte que le solde de la compensation s'établit à une créance de quatre millions deux cent trois mille huit cent quarante un (4.203.841) francs CFA, moins les intérêts de droit dus par la société Services Universels au profit des sociétés DTP Terrassement et SOGEA-SATOM;
5) liquide les frais de l'arbitre à cinq cent soixante seize mille deux cent trente trois (576.233) francs CFA (30000 F + 100000 F + 0,8% du montant du litige + 250.000 F) et dit que les dépens seront supportés par moitié par la demanderesse et les défenderesses »;
Par acte d'huissier de justice en date du 28 janvier 2009, la société Services Universels assignait la société SOGEA-SATOM devant la chambre commerciale de la Cour d’appel de Ouagadougou à l'effet de :
EN LA FORME :
S'entendre déclarer recevable sa requête;
L'y déclarant bien fondée, annuler purement et simplement la sentence arbitrale attaquée;
S'entendre condamner les sociétés SOGEA-SATOM et DTP Terrassement à lui payer la somme de dix millions cent soixante deux mille six cent quarante huit (10.162.648) francs CFA outre les intérêts de droit à compter du jour de la demande;
Les condamner aux entiers dépens, notamment au remboursement de tous les frais exposés par Services Universels dans le cadre de cette affaire;
Au soutien de son recours la société Services Universels déclarait que son action doit être déclaré recevable en application des articles 25, 26 et 27 de l'Acte uniforme sur le droit de l'arbitrage de l'OHADA et a été introduite devant la juridiction compétente;
Au fond, Services Universels demandait à la Cour de censurer les graves manquements par l'annulation pure et simple de la sentence arbitrale entreprise aux motifs que :
Le Tribunal arbitral a violé le principe du contradictoire parce que la motivation de la sentence repose sur des éléments de preuve n'ayant pas été portés à sa connaissance, ce qui est un motif d'annulation au sens de l'article
26 de l'AUA;
Il y a absence de motivation dans la fixation du montant de la créance portant sur la somme de six millions vingt trois mille deux cent quatre vingt neuf (6.023.289) francs CFA qui ne fait état d'aucune pièce comptable et des bons d'entrée en stock et de sortie en stock; qu'il est de notoriété jurisprudentielle que l'absence de motivation dans la fixation du montant de la créance constitue un motif d'annulation de la sentence (Arrêt n° 028/2007 du 19 juillet 2007 de la CCJA);
Il y a violation de l'ordre public interne de l'Etat burkinabè par l'arbitre saisi qui a trouvé dans la présente cause la source de la créance litigieuse dans les dispositions de l'article 5 alinéa 1 du contrat de prestation de service liant les parties à l'instance ce qui fixe deux conditions pour que la responsabilité de Services Universels dans les manquements allégués soit établie :
– responsabilité reconnue : Services Universels déclarait avoir toujours contesté le bien fondé de telles allégations telle que matérialisée par ses conclusions en réplique;
– responsabilité prouvée : aucune pièce probante susceptible de justifier la responsabilité contractuelle de Services Universels dans le manquant de matériels en stock;
La SOGEA-SATOM malgré l'injonction de conclure à elle notifiée le 07 août 2009 n'a pas conclu ni déposé de pièces;
Le conseiller de la mise en état rendait une ordonnance de clôture le 15 décembre 2009;
MOTIFS DE LA DECISION
EN LA FORME
De la juridiction saisie
Attendu qu'aux termes de l'article
25 de l'AUA : « la sentence arbitrale n'est pas susceptible d'opposition, d'appel, ni de pourvoi en cassation;
Elle peut faire l'objet d'un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent dans l'Etat partie;
La décision du juge compétent dans l'Etat partie n'est susceptible que de pourvoi en cassation devant la CCJA »;
Que selon la doctrine, le Pr Paul Gérard POUGOUE, « En, disposant que la décision du juge compétent n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation devant la CCJA l'article 25 alinéa 3 de l'AU de l'OHADA sur le droit de l'arbitrage semble plus favorable à la compétence de la Cour d’appel. En effet, les décisions rendues par le premier juge sont d'ordinaire susceptibles d'appel au second degré de juridiction. L'arbitre constitue le premier degré, et le recours en annulation exercé au second degré... »; qu'à défaut de désignation du juge compétent par la législation nationale au Burkina Faso il apparaît judicieux de reconnaître en la Cour d’appel du ressort dans laquelle la sentence a été rendue la juridiction compétente visée à l'article 25 alinéa 3 précité comme juridiction de second degré des décisions rendues par le Tribunal arbitral et dont les décisions sont susceptibles de pourvoi en cassation; que par ailleurs, les Etats-parties tels la Côte d'Ivoire et le Sénégal dont la loi nationale sur l'arbitrage organise un tel recours, ont désigné la Cour d’appel dans le ressort de laquelle la sentence avait été rendue, comme juridiction compétente; qu'il convient de déclarer la chambre commerciale de la Cour d’appel de Ouagadougou compétente pour connaître du présent recours;
De la recevabilité du recours
Attendu qu'aux termes de l'article
26 de l'AUA : « le recours en annulation n'est recevable que dans les cas suivants :
– si le Tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l'arbitre unique irrégulièrement désigné;
– si le Tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée;
– si le principe du contradictoire n'a pas été respecté;
– si le Tribunal arbitral a violé une règle d'ordre public international des Etats signataires du traité;
– si la sentence arbitrale n'est pas motivée »;
Attendu que l'article 5 du code de procédure civile dispose que : « nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé »; que la défense étant un droit naturel, aucune partie ne doit être condamné sans avoir été interpellé et mise en demeure de se défendre; que la Société Services Universels fait état de la non communication des pièces qui ont fondé la décision du juge telles que les pièces justificatives de la créance de six millions vingt trois mille deux cent quatre vingt neuf (6.023.289) francs CFA dont se prévaut les sociétés DTP Terrassement et SOGEA-SATOM; que le juge du Tribunal arbitral n'a même pas fait cas des répliques de Services Universels à propos de la dite créance toute chose qui démontre à suffisance qu'elle n'a pas eu connaissance desdites pièces; que le juge du Tribunal arbitral a méconnu les termes de l'article 5 en faisant droit à la demande des sociétés DTP Terrassement et SOGEA-SATOM portant sur la créance de six millions vingt trois mille deux cent quatre vingt neuf (6.023.289) francs CFA; que sa décision mérite en conséquence infirmation;
Attendu que dans la réparation d'un dommage, il revient au juge d'apprécier le montant du dommage et d'en déterminer le mode de réparation; qu'il doit dans le cadre de l'évaluation démontrer les éléments sur lesquels il fonde sa décision; que le juge arbitral en retenant le montant de six millions vingt trois mille deux cent quatre vingt neuf (6.023.289) francs CFA n'a nullement appuyé sa décision sur des pièces débattues contradictoirement et avec des éléments chiffrés déterminant le détail du montant réclamé;
Qu'en outre il ressort du jugement du 17 juillet 2007 que le Tribunal correctionnel de Bobo-Dioulasso a condamné les auteurs des vols à la somme de huit millions cent quarante trois mille deux cent (8.143.200) francs CFA à titre de dommages et intérêts; que le défaut de précision dans le montant retenu à la charge de Service Universels constitue un défaut de motivation du premier juge sur ce point; qu'il convient au vu de ces éléments d'appréciation de déclarer le présent recours en annulation de la sentence arbitrale rendue le 25 novembre 2008 recevable et en conséquence annuler ladite sentence et de statuer à nouveau;
AU FOND
Attendu que la créance en principal de dix millions cent soixante deux mille six cent quarante huit (10.162.648) francs CFA de la société Services Universels correspond à différentes prestations principalement de gardiennage et accessoirement de nettoyage dues en vertu du contrat de service le liant la société SOGEA-SATOM, DTP Terrassement en date du 26 décembre 2005; que ladite créance n'est pas contestée ni dans son principe ni dans son montant par SOGEA-SATOM et DTP Terrassement; qu'en application des dispositions contractuelles et du fait de la créance est reconnue par les débiteurs, il y a lieu de les condamner au paiement de la somme réclamée par la société Services Universels;
Attendu que la demande d'intérêt de droit de la société Services Universels est pleinement justifiée par le retard accusé dans le paiement de sa créance; qu'il échet d'y faire droit pour compter de la date de l'assignation devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou;
Attendu que la société Services Universels ne justifie pas de sa demande tendant au paiement des frais exposés; qu'il convient de ne pas y faire droit;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort :
EN LA FORME
Déclare le recours en annulation de la sentence arbitrale de la société Services Universels recevable;
AU FOND
Annule la sentence arbitrale rendue le 25 novembre 2008;
Statuant à nouveau;
Condamne les sociétés SOGEA-SATOM et DTP Terrassement à payer à Services Universels la somme de dix millions cent soixante deux mille six cent quarante huit (10.162.648) francs CFA outre les intérêts de droit à compter du jour de l'assignation devant le Tribunal de grande instance;
Déboute Services Universels de sa demande de frais exposés;
Condamne les sociétés SOGEA-SATOM et DTP Terrassement aux dépens.