J-13-02
ARBITRAGE — DEMANDE DE RECUSATION D’UN ARBITRE AU DELA DU DELAI PREVU POUR LA RECUSATION PAR LE REGLEMENT D’ARBITRAGE DE LA CCI — DEMANDE IRRECEVABLE — NULLITE DE LA SENTENCE (NON)
Le défaut, pour une partie à un arbitrage CCI, de former une demande de récusation d’un arbitre dans le délai de trente jours suivant la révélation ou la découverte d’un fait allégué pour contester l’indépendance de l’arbitre, comme l’impose l’article 11 du Règlement CCI, la rend irrecevable à solliciter l’annulation de la sentence rendue par ledit arbitre, de quelque chef que ce soit, à raison de son défaut d’indépendance par suite du fait susmentionné.
Cour d’Appel de Reims, Arrêt du 02 novembre 2011; Entre S.A.J. & P. Avax et Société Tecnimont SPA. Revue Congolaise de Droit et des Affaires, n° 8 (avril - mai - juin 2012) – p. 65.
LA COUR
SUR LA RECEVABILITÉ
La société Tecnimont demande de :
« – Dire et juger que le défaut, pour une partie à un arbitrage CCI, de former une demande de récusation d’un arbitre dans le délai de trente jours suivant la révélation ou la découverte d’un fait allégué pour contester l’indépendance de (l’) arbitre, comme l’impose l’article 11 du Règlement CCI, la rend irrecevable à solliciter l’annulation de la sentence rendue par ledit arbitre, de quelque chef que ce soit, à raison de son défaut d’indépendance par suite du fait susmentionné;
– Dire et juger qu’en l’occurrence, Avax a connu, plus de trente jours avant sa demande de récusation du 14 septembre 2007, les faits qui y sont mentionnés, de sorte qu’elle est irrecevable à solliciter l’annulation de la sentence partielle en se prévalant desdits faits;
– Dire et juger que s’étant abstenue de toute demande de récusation à raison des faits communiqués par Monsieur Jarvin postérieurement à sa demande de récusation du 14 septembre 2007, alors même que l’arbitrage se poursuivait sous l’empire du même Règlement d’arbitrage, Avax est irrecevable à solliciter l’annulation de la sentence partielle en se prévalant desdits faits;
– en conséquence, dire irrecevable le recours en annulation d’Avax (... ) ».
Considérant que la société Avax a déposé le 14 septembre 2007 une demande de récusation doublée d’une demande de remplacement à l’encontre de Monsieur Jarvin, qui ont été rejetées le 26 octobre suivant par la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI;
Considérant que d’après l’article 11 paragraphe 2 du Règlement d’arbitrage de la CCI, la demande de récusation doit être envoyée par une partie, à peine de forclusion, soit dans les trente jours suivant la date à laquelle la partie introduisant la récusation a été informée des faits et circonstances qu’elle invoque à l’appui de sa demande de récusation, si cette date est postérieure à la réception de la notification susvisée;
Considérant que la récusation devant l’institution d’arbitrage et le contrôle de la sentence devant le juge de l’annulation sont des procédures distinctes qui n’ont pas le même objet et ne sont pas soumises à la même autorité;
Que le juge de l’annulation statuant sur la régularité de la sentence n’est pas lié par le délai de recevabilité de la demande de récusation auprès de l’institution d’arbitrage que la société Tecnimont soutient être dépassé au 14 septembre 2007, parce que la société Avax aurait eu au plus tard connaissance des événements motivant sa récusation, entre le 16 juillet, lorsqu’elle a commencé à interroger Monsieur Jarvin sur la conférence de Londres, et le 26 juillet 2007, date de la dernière réponse de Monsieur Jarvin;
Que l’absence de toute demande de récusation ultérieure contre Monsieur Jarvin devant la CCI pour d’autres faits découverts par la recourante, selon ce que dit la société Tecnimont, entre la demande de récusation du 14 septembre 2007 et la sentence partielle du 10 décembre 2007, puis après la sentence jusqu’au 1er avril 2008, quand Monsieur Jarvin a démissionné, n’interdit pas à la société Avax de critiquer la sentence, dans la mesure où elle n’a pas renoncé;
Considérant, en effet, que tout grief invoqué à l’encontre d’une sentence au titre de l’article 1520-2° du Code de procédure civile doit, pour être recevable devant le juge de l’annulation, avoir été soulevé, chaque fois que cela était possible, au cours de la procédure d’arbitrage;
Considérant que la société Avax a écrit, le 16 juillet 2007, au Président du tribunal arbitral, pour lui demander des explications sur les liens entre la société Tecnimont et le cabinet Jones Day, où il exerce, suite à une conférence organisée en mai 2007, où intervenaient des avocats de Jones Day et un représentant de la société Tecnimont (...);
Que la société Avax dit avoir mené en parallèle des investigations, durant l’été 2007, qui lui ont permis de découvrir que les sociétés Sofregaz et Tecnimont appartenaient au même groupe de sociétés, dépendant en 2005 d’Edison et depuis octobre 2005, du groupe Maire-Tecnimont; que Sofregaz était une filiale à 100 % de Tecnimont, les administrateurs de Sofregaz étant presque tous des employés de Tecnimont, l’un de ceux-ci, Monsieur Rossi, étant partie prenante dans l’arbitrage qui oppose les parties; que les sociétés Tecnimont et Sofregaz participaient régulièrement à divers projets, notamment en Chine, à Guangdong et à Fujian, la procédure de récusation ayant été engagée une fois les liens entre Sofregaz et Tecnimont établis;
Considérant qu’après le rejet de la récusation de la demande de remplacement par la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, le 26 octobre 2007, des décisions de nature administrative sans autorité de chose jugée, la société Avax a déclaré, dès le 31 octobre, « réserver ses droits de contester devant les juridictions françaises toute sentence à venir et de prendre toutes les mesures qui lui sembleront appropriées »; que le 20 novembre 2007, elle a interpellé Monsieur Jarvin sur l’état des liens entre le cabinet Jones Day et les sociétés appartenant au groupe Maire-Tecnimont, puis sollicité des informations complémentaires, les 22 et 25 janvier et 28 février 2008 (...);
Que la société Avax avait, une nouvelle fois, réservé ses droits le 28 février 2008 (...), puis le 1er avril 2008, lors de la démission de Monsieur Jarvin;
Considérant qu’il n’est pas interdit de se renseigner quand on n’obtient pas une information complète de la part de l’arbitre;
Qu’il n’est pas possible, comme le voudrait la société Tecnimont, qui évoque un harcèlement du Président du tribunal, d’empêcher à la fois la société Avax de rechercher des informations sur la situation du Président du tribunal arbitral et de prétendre à l’irrecevabilité, parce que Monsieur Jarvin n’a pas été récusé en temps voulu pour des faits de nature à mettre en cause son indépendance et son impartialité;
Considérant qu’il est manifeste que, les informations sur la situation de Monsieur Jarvin ont été évolutives, qu’il n’est pas permis de conclure à une renonciation de la société Avax à invoquer le grief du manque d’indépendance de Monsieur Jarvin, en raison du non-exercice de la procédure de récusation devant la CCI, alors que tous les faits démontrent le contraire;
Que le moyen unique du recours fondé sur l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral est recevable lorsque la relation répétée de cabinet à client, comme ici entre Jones Day et la société Tecnimont, va au-delà de ce qui a été déclaré en 2002 par Monsieur Jarvin, lors de sa nomination, et n’a pas été révélée en temps utile pour ce qu’elle était;
Que la société Avax, contrairement à ce que soutient la société Tecnimont, est ainsi recevable à solliciter l’annulation de la sentence du 10 décembre 2007.
Sur le moyen unique d’annulation pour irrégularité de la constitution du tribunal arbitral (article 1520-2° du Code de procédure civile)
La société Avax soutient que la sentence partielle du 10 décembre 2007 doit être annulée, en raison de la violation par Monsieur Jarvin, de son obligation de révélation, qui résulte du droit français comme du Règlement d’arbitrage CCI. Elle souligne que, les systèmes informatiques des grands cabinets comme Jones Day permettent précisément de fournir la liste des dossiers en cours pour les clients ainsi que leurs sociétés mères et filiales. Or, Monsieur Jarvin, dit la recourante, aurait d’abord soumis une déclaration d’indépendance inexacte, omis ensuite de révéler spontanément, tant dans sa déclaration que pendant l’arbitrage, les relations existantes entre le cabinet Jones Day et Tecnimont, sa filiale Sofregaz et leurs sociétés mères, Edison puis EDF, et n’aurait enfin révélé avec réticence, sur interpellation de la recourante, les informations demandées, que de manière partielle et toujours inexacte.
La société Avax soutient aussi qu’indépendamment de la violation de son obligation de révélation par Monsieur Jarvin, les liens existant entre le cabinet Jones Day et le groupe Tecnimont constituent objectivement une cause de défaut d’indépendance conduisant à l’annulation de la sentence.
Considérant que, dans sa déclaration d’indépendance du 30 octobre 2002, Monsieur Jarvin avait indiqué que le cabinet Jones Day avait conseillé la société Edison, la société mère de Tecnimont, jusqu’en 2001 (...) mais que, souligne la société Avax, il a fallu huit mois, de multiples relances, et une demande de récusation du Président du tribunal arbitral, pour que Monsieur Jarvin communique, et encore de manière incomplète, d’après les investigations menées par la société Avax de son côté, les informations sur l’étendue des relations entre la société Tecnimont et le cabinet Jones Day;
Considérant que si rien ne s’oppose à la professionnalisation des fonctions d’arbitre, celle-ci n’atténue point les exigences d’information de la part de l’arbitre sur toutes les circonstances de nature à affecter son jugement et à provoquer un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance dans l’esprit des parties, c’est-à-dire non en raison de ce que l’arbitre pense, ce que la société Avax dans ses écritures appelle le caractère subjectif de la perception de l’arbitre, mais du point de vue des parties, en se mettant à leur place, ainsi que le reconnaît Monsieur Jarvin dans sa lettre de démission du 20 mars 2008;
Considérant que l’obligation d’information qui pèse sur l’arbitre, tout particulièrement quand il est président, ayant pour objet de conforter la confiance des parties dans les membres du tribunal arbitral, se poursuit pendant toute la procédure arbitrale jusqu’à la fin de mission de l’arbitre;
Que la société Tecnimont soutient que l’obligation de révélation de l’arbitre ne s’étend qu’aux faits dont il a connaissance, l’arbitre n’étant pas tenu de rechercher des faits qu’il ignore et qui donc, ne peuvent peser sur son indépendance ou son intégrité;
Mais, considérant que pour permettre aux parties de discuter et de consentir à sa situation, un minimum d’objectivité est exigé de la part de l’arbitre dans l’accomplissement de son obligation d’information, que l’arbitre doit révéler totalement, tant ce qui lui est strictement personnel que ce qui concerne le cabinet dont il fait partie, son degré d’association au sein de ce cabinet étant indifférent, mais qu’en l’espèce, sans remettre en cause la probité de Monsieur Jarvin, celui-ci n’a pas voulu interroger plus avant le cabinet Jones Day avec des problèmes qui ne concernaient qu’une mission personnelle d’arbitrage;
Considérant qu’il appartient au juge du contrôle de mesurer les effets de l’omission de révélation et d’apprécier si elle est de nature à susciter un doute raisonnable aux yeux des parties quant au défaut d’indépendance allégué;
Considérant que la société Avax dit que le cabinet Jones Day a consulté et représenté pendant l’arbitrage, la société Tecnimont elle-même, deux de ses sociétés mères, Edison puis EDF, et une de ses filiales à 100 %, Sofregaz, dans six affaires différentes, dont une est toujours en cours, sans que cela soit révélé aux parties par Monsieur Jarvin;
Qu’ainsi Jones Day a représenté Tecnimont et le consortium formé de Tecnimont et Sofregaz, dans le cadre du projet de Fujian, pendant près de deux ans pendant la procédure arbitrale, qu’à cette occasion, Jones Day a donc conseillé la société Tecnimont elle-même (...);
Considérant que la société Tecnimont relève alors le caractère limité des revenus tirés par le cabinet Jones Day des affaires qu’elle a traitées pour Sofregaz (...);
Mais, dès lors qu’il existe une relation de clientèle, celle-ci implique une relation qui n’est pas seulement matérielle, l’indépendance de l’arbitre n’étant pas jugée en fonction de l’importance des honoraires perçus d’une partie par son cabinet;
Qu’il n’est pas sérieusement contesté que le cabinet Jones Day, agissant principalement par ses bureaux de Paris, où exerce Monsieur Jarvin, a compté parmi ses clients pendant la procédure d’arbitrage, la société Tecnimont, sa filiale Sogregaz et ses différentes sociétés mères, Edison puis EDF, le fait que Monsieur Jarvin n’ait pas, d’après la société Tecnimont, été informé de l’existence (des) différentes restructurations capitalistiques et de la brièveté de la prise de contrôle de Tecnimont par EDF étant indifférent, dans la mesure où la société Tecnimont n’a jamais cessé d’être la filiale d’un groupe client;
Que le défaut d’information de la société Avax pour ces faits, suivi d’une information incomplète et perlée de celle-ci, est de nature à faire raisonnablement douter de l’indépendance de Monsieur Jarvin et conduit à annuler la sentence du 10 décembre 2007;
Considérant que la société Tecnimont paye à la société Avax une somme de 70.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, auquel la recourante ne peut prétendre en supportant les dépens;
PAR CES MOTIFS
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2010;
– Dit le recours recevable;
– Condamne la société Tecnimont à payer à la société Avax, une somme de 70.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile;
– Rejette toute autre demande;
– Condamne la société Tecnimont aux dépens et accorde à la SCP Delvincourt-Jacquemet-Caulier-Richard, avoué, le bénéfice du droit prévu par l’article 699 du Code de procédure civile.
Commentaires : Le principe absolu de neutralité de l’arbitre
Cet arrêt important dans la jurisprudence française sur l’arbitrage international interpelle fortement sur la nécessaire indépendance des arbitres désignés pour trancher des litiges commerciaux, surtout quand ceux-ci sont issus de cabinets d’avocats ou de conseils.
L’interconnexion des affaires suivies par ces cabinets est source de conflit d’intérêt, comme l’a reconnu la Cour d’Appel de Reims dans cette affaire, bien que l’arbitre déclarait ne pas être informé dans le détail, des affaires suivies par le cabinet dont il relève.
Les juges ont estimé qu’il devait effectuer cette recherche avant de faire sa déclaration d’impartialité et d’indépendance, et surtout après que l’une des parties à l’arbitrage a émis des doutes relatifs à son indépendance.
L’arbitre est une personne physique qui exécute une mission indépendamment de ses fonctions au sein d’une institution ou d’un organisme privé ou public. Cependant, ses liens présents ou passés, directs ou indirects, connus ou non de lui avec l’une des parties en arbitrage, sont un obstacle à sa désignation comme arbitre ou à la poursuite de sa mission, ce qui a fini par pousser l’arbitre dans cette affaire à démissionner, et qui a valu l’annulation par la Cour d’Appel de Reims, de la sentence arbitrale prononcée par le tribunal arbitral irrégulièrement constitué, au regard du droit français de l’arbitrage (article 1520-2° du Code de procédure civile) et du Règlement d’arbitrage de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce International de Paris (CCI).
Cet arrêt est essentiel à plus d’un titre, notamment dans le contexte de la République du Congo, où se met en place un Centre de médiation et d’arbitrage (CEMACO). Les arbitres et les médiateurs qui sont en voie de certification, dans leur déclaration d’indépendance et d’impartialité, devraient presque procéder à une enquête en bonne et due forme sur leurs liens présents et passés avec les parties en arbitrage. C’est d’autant plus vrai que, les relations professionnelles, personnelles, familiales et amicales au Congo sont nombreuses, du fait de l’étroitesse du milieu des affaires et de la faible densité de la population, qui donne l’impression aux Congolais de se connaître tous ou presque.
La confiance nécessaire dont doivent bénéficier les arbitres et les médiateurs sera garantie par les Superviseurs du Centre de médiation et d’arbitrage, chargé de confirmé les choix d’arbitres et de médiateurs faits par les parties. C’est pourquoi, dans les statuts du CEMACO, il est édicté que, les Superviseurs sont « des personnes hautement expérimentées, reconnues pour leur intégrité morale, leur indépendance d’esprit et leur connaissance des procédures civiles et commerciales (article 4-2 des statuts du CEMACO).
Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution ;
L’annule, en conséquence ;
Dit que la poursuite sera reprise à partir du dernier acte valable ;
Condamne la Société Générale de Banques au Bénin aux dépens.
Le Président, Alain Martial BOKO
NOTE
Cette décision du Tribunal de 1ière Instance de 1ière Classe de Porto-Novo (Bénin) illustre les conditions de mise en œuvre des dispositions de l’article 299 alinéa 2 de l’acte uniforme de l’Ohada portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, qui autorisent exceptionnellement un plaideur à invoquer, huit jours au plus tard avant l’adjudication d’un immeuble saisi, la nullité d’actes de la poursuite immobilière dont il a pris connaissance postérieurement à l’audience éventuelle.
Elle rappelle ensuite les exigences des dispositions de l’article 299 alinéa 2 de cet acte uniforme, lesquelles prescrivent que la sommation de prendre connaissance du cahier des charges doit, à peine de nullité, être signifiée au saisi, en personne ou à son domicile.
Enfin, elle retient implicitement que la connaissance que le débiteur saisi a de l’existence d’une procédure de saisie immobilière engagée à son encontre ne purge pas les vices ou nullités dont un acte de la poursuite immobilière est entaché : en l’espèce, la nullité d’une sommation de prendre connaissance du cahier des charge, faute pour le créancier saisissant d’avoir signifié cet acte du débiteur saisi, en personne, ou à son domicile.
Freddy HOUNGBEDJI, Avocat au Barreau du Bénin