J-13-15
VOIES D’EXÉCUTION — DÉLAI DE GRÂCE — CONDITIONS — DIFFICULTÉS FINANCIÈRES — PREUVE (NON) — OCTROI (NON)
La demande de délai de grâce telle que résultant de l’article 39 de l’Acte uniforme OHADA sur les voies d’exécution doit être rejetée dès lors que la preuve des difficultés financières n’est pas faite.
Cour d’appel d’Abidjan, 2ème Chambre civile et commerciale B, arrêt n° 278 du 08 juillet 2011, Affaire : Mr ATTIA Guillaume c/ Mr FOFANA Inza. Juris Ohada, 2011, n° 4, octobre-décembre, p. 39
LA COUR
Vu les pièces de la procédure;
Oui les parties en leurs moyens, fins et conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
– Considérant que par exploit en date du 19/11/2011, Monsieur A G a relevé appel de l'ordonnance de référé n°2324 rendue le 04/11/2010 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière d'exécution et en premier ressort;
Déclarons Messieurs A et F recevables en leurs actions principale et reconventionnelle;
Les y disons mal fondés;
Les en déboutons »;
– Considérant que Monsieur A explique au soutien de son appel qu'il est Géomètre Expert Agréé et exerce sous la dénomination commerciale GEO CENTER, son activité consistant à l'établissement de plans de lotissement, leur application, ainsi que toutes autres activités connexes;
Qu'il travaille principalement avec les collectivités territoriales, lesquelles lui confient les lotissements de leur ressort et le rétribuent en nature, sous forme de terrains qu'il se charge de revendre pour payer ses fournisseurs;
Que c'est dans le cadre de ses activités qu'il a eu recours à Monsieur F, qui a mis à sa disposition du matériel qui a servi à effectuer des tracés et décapages;
Qu'à la suite de ces travaux, Monsieur F réclamait au concluant la somme de 5.783.004 F CFA, représentant le solde des sommes qui lui sont dues;
Qu'il a obtenu la condamnation du concluant à lui payer cette somme, jugement confirmé par la Cour d'Appel d'Abidjan;
Que le concluant n'a pas formé de pourvoi en cassation contre cette décision, s'étant engagé, bien avant le prononcé de cette décision, et bien avant le jugement du Tribunal, en faveur de la voie amiable;
Que les propositions de moratoire de celui-ci ayant d'abord été méconnues, puis refusées par la suite, le concluant a dû saisir la juridiction des référés d'une demande de délai de grâce conformément aux dispositions de l'article 39 de l'Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement de créances et des voies d'exécution;
Que cette juridiction, contre toute attente, a déclaré le concluant mal fondé en sa demande, alors même que celui-ci avait fait une offre raisonnable, consistant dans le paiement immédiat de 1.500.000 F CFA suivi de mensualités de 500 000 F CFA sauf retour à meilleure fortune;
Que c'est contre cette ordonnance que le présent appel est relevé;
Que la volonté du concluant de s'acquitter de sa dette est réelle;
Qu'elle butte cependant sur les difficultés financières inextricables auxquelles il est confronté, lesquelles difficultés résultent d'une part de la raréfaction des marchés, d'autre part des paiements incertains des collectivités territoriales qui lui confient les marchés;
Que ces difficultés financières sont réelles, et ne permettent pas au concluant de payer immédiatement ses créanciers pour l'intégralité de leurs créances, même s'il en a la possibilité, car un tel procédé aura l'inconvénient de sacrifier certaines créances, dont les salaires des travailleurs qui, doivent être payés à bonne date, sous peine de se voir poursuivre pour rupture abusive des relations de travail;
Que c'est d'ailleurs sur ce motif de retards dans les mensualités de ses salariés qu'il a été condamné par le Tribunal du travail à leur payer diverses sommes d'argent, et dont la cause est pendante devant la Cour Suprême;
Que c'est donc, en raison des difficultés réelles qu'il éprouve, que le concluant a agi sur le fondement de l'article 39 susvisé aux termes duquel : « le débiteur ne peut forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette, même divisible. Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d'aliments et les dettes cambiaires, reporter ou rééchelonner le paiement des sommes dues dans la limite d'une année. Elle peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de sa dette »;
Qu'il est constant que la juridiction compétente, en l'espèce, le juge des référés a le pouvoir de reporter le paiement de la somme due dans la limite d'une année, en accordant au débiteur, qui en fait la demande un délai de grâce;
Que pour se faire, le juge doit tenir compte de la situation financière et économique du débiteur;
Que le législateur a entendu par là que la décision du juge des référés devra être motivée par l'analyse de la situation économique et financière du débiteur au moment de la demande;
Que cela implique notamment de rechercher la capacité du débiteur à pouvoir s'acquitter de sa dette tout en maintenant en vie ses activités professionnelles;
Que cependant, en l'espèce, le juge n'a nullement tenu compte de la situation du concluant telle que ci-dessus décrite;
Qu'à tout le moins, si le juge avait douté de la situation réelle du concluant, pouvoir lui était donné de procéder à des vérifications pratiques plus poussées, visant à établir plus clairement la situation réelle de celui-ci;
Qu'en se contentant de rejeter la demande de délai de grâce du concluant, sans autres vérifications, le premier juge a fait fi des difficultés financières insurmontables, (en tout cas pour ce qui concerne un paiement immédiat et intégral de sa dette) que rencontre Monsieur A actuellement;
Considérant que l'intimé n'a pas conclu mais par le canal de son conseil Maître ADOU et BAGUI, a déposé des pièces relatives aux procès-verbaux de saisies-attribution de créances qui établiraient que Monsieur A ne connaît aucune difficulté d'ordre financier;
SUR CE,
EN LA FORME
Sur le caractère de la décision
Considérant que l'intimé a eu connaissance de la procédure d'appel qui lui a été signifiée en l'étude de ses conseils donc en sa personne, qu'il échet de statuer par arrêt contradictoire;
Sur la recevabilité de l'appel
Considérant que l'appel est intervenu dans les formes et délai prescrit par la loi, qu'il convient de le déclarer recevable;
AU FOND
Considérant que pour solliciter le délai de grâce, Monsieur A a invoqué des difficultés financières inextricables auxquelles il est confronté qui ne lui permettent pas de payer immédiatement ses créanciers pour l'intégralité de leurs créances;
Mais considérant que l'appelant qui se contente de vaines allégations ne fait pas la preuve de ces difficultés financières qui l'empêchent de régler entièrement ses créanciers;
Que dès lors, il importe de rejeter sa demande de délai de grâce telle que résultant de l'article 39 alinéa 2 de l'Acte Uniforme OHADA sur les voies d'exécution;
Que cependant, il n'est pas contesté qu'en dehors des sommes dues à ses autres créanciers, Monsieur A doit faire face aux créances d'aliments de ses employés, qui elles (les créances d'aliments) doivent être payées dans leur totalité;
Que pour faciliter le paiement de ces créances d'aliments et des autres créances, il convient, en ce qui concerne spécialement la créance de Monsieur F de 7 685 656 F CFA qui a fait l'objet d'un cantonnement suivant procès-verbal de saisies attribution en date du 26/11/2010, sans l'échelonner dans la limite d'une année comme le prévoit l'article 39 alinéa 2 susvisé, de lui accorder un paiement fractionné se traduisant par le règlement immédiat, dès le prononcé de la présente décision, de la somme de 3 500 000 F CFA et celle de 500 000 F CFA par mois au plus tard le 05 du mois suivant jusqu'à apurement de la dette, à compter du mois suivant la signification de la présente décision jusqu'à apurement total de cette créance;
Qu'il importe de préciser que la non exécution d'une seule échéance, rendra toute la créance exigible dans son intégralité;
SUR LES DEPENS
Considérant que Monsieur A succombe en partie, qu'il échet de le condamner aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
EN LA FORME
Déclare recevable l'appel de monsieur A;
AU FOND
L'y dit partiellement fondé;
Réformant le jugement attaqué;
Accordant à Monsieur A le paiement fractionné de la somme en principal et intérêts compris de 7.685.656 F CFA due à Monsieur F;
Dit que le paiement se fera de la manière suivante :
– 3 500 000 F CFA dès le prononcé de la présente décision;
– 500 000 F CFA par mois au plus tard le 05 du mois suivant jusqu'à apurement total de la dette, à compter du mois suivant la signification de la présente décision;
Dit que la non exécution d'une seule échéance rendra la créance de Monsieur F exigible dans son intégralité;
Confirme pour le surplus le jugement querellé;
Condamne l'appelant aux dépens.