J-13-82
DROIT COMMERCIAL GENERAL — BAIL COMMERCIAL — CONTRATS DE BAUX COMMERCIAUX A CONSTRUCTION — LOYERS CONVENUS — CARACTERE LESIONNAIRE — ACTION EN RESCISION POUR LESION
VALIDITE DES CONVENTIONS — LESION — CAS DE RESCISION — ARTICLE 1118 CODE CIVIL — CHAMP LIMITATIF — ARTICLES 887 ET 1674 CODE CIVIL — BAUX COMMERCIAUX — EXCLUSION DU CHAMP D’APPLICATION (OUI) — REJET DE LA DEMANDE EN RESCISION
DEMANDE RECONVENTIONNELLE — PAIEMENT DES DOMMAGES INTERETS — PROCEDURE ABUSIVE ET VEXATOIRE (NON) — REJET DE LA DEMANDE
En droit, la lésion s'entend, comme étant le préjudice résultant d'un déséquilibre grave entre les prestations que se doivent réciproquement les contractants dans un contrat commutatif à titre onéreux; lequel déséquilibre doit exister dès la conclusion du contrat.
En l’espèce, le déséquilibre financier dû au prix des loyers minorés qui affecte les baux commerciaux à construction, donne-t-il lieu à rescision ? D'après le code civil, seuls sont rescindables pour lésion le contrat de vente d'immeuble (art. 1674) et la convention de partage (art. 887). Il en résulte qu'en l'état actuel du droit positif la lésion n'affecte pas en général la validité des conventions, à l'exception des conventions portant sur les immeubles et sur le partage. Dès lors, les baux commerciaux à construction conclus entre les parties, quoique laissant apparaître visiblement un déséquilibre financier au préjudice des requérants, ne sauraient être rescindables pour cause de lésion, les baux commerciaux ne faisant pas partie des exceptions retenues par la loi en la matière.
En outre, il est de jurisprudence constante que mis à part les ventes mobilières, les baux commerciaux à construction ne sont jusqu'ici, pas rescindables pour cause de vileté de prix ou caractère dérisoire du prix. Dans tous les cas, la rescision pour lésion et la nullité pour vileté du prix (introduite par la jurisprudence) étant distinctes l'une de l'autre, le Tribunal de commerce, saisi en la cause d'une requête en rescision pour lésion, ne saurait passer de l'un à l'autre, sans heurter la règle de droit processuel qui exige que le juge doit s'en tenir à l'objet de sa saisine.
De tout ce qui précède, il convient de rejeter la requête en rescision pour cause de lésion, et de maintenir le preneur dans les lieux loués.
Article 887, 1118, 1134, 1356, 1674 CODE CIVIL
Article 12 LOI n° 24-2008 PORTANT REGIME FONCIER EN MILIEU URBAIN
Article 57 CPCCAF
(Tribunal de commerce de Brazzaville, Jugement n° 060 du 20 septembre 2011, HILL MATTA et autres c/ Mohamed SALEM)
LE TRIBUNAL
Ouï, maître BANZANI en ses demandes, fins et conclusions;
Ouï, monsieur MOHAMED SALEM en ses explications et moyens de défense;
Ouï, le ministère public en ses réquisitions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Suivant requête, à Brazzaville, en date du 19 octobre 2010, monsieur HILL MATTA Jacques et WASSAOULOUA Léa, NSAMBOU Madeleine, MATTA Jacqueline, tous ayants droit de feu MATTA Jackson Senior, de nationalité congolaise, retraités, pères et mères d'enfants, domiciliés au n° 246 rue Madzia au plateau de 15 ans à Brazzaville, représentés et plaidant par le cabinet d'avocats BANZANI, ont attrait monsieur SALEM MOHAMED dont les intérêts sont défendus par maître Serge Blaise N'ZOUZI, avocat à la Cour, devant le Tribunal de commerce de Brazzaville aux fins de s'entendre statuer sur les mérites de leur demande en rescision pour lésion;
FAITS, MOYENS ET PRETENTIONS DES PLAIDEURS
Il résulte autant de la requête introductive d'instance que des écritures produites par les parties que les demandeurs à l'instance, tous héritiers de feu MATTA Jackson Senior, ont confié à leur frère, le nommé MATTA Jackson Junior, la mission de conclure, avec tel preneur qu'il plaira des baux à usage commercial portant sur des locaux à construire;
Investi de ce mandat, monsieur MATTA Jackson Junior prit la liberté de conclure trois baux à construction avec son ami, monsieur SALEM MOHAMED;
Dix années durant le mandataire n'a pas rendu compte à ses co-indivisaires de sa mission et n'a pas révélé le contenu des contrats, de sorte que les requérants ont dû faire recours à la gendarmerie pour entrer en possession desdits contrats lesquels, à la lecture, se révèlent complètement lésionnaires; car, tout compte fait, les donneurs à bail ne gagnent rien des contrats que leur mandataire a signé;
Le premier contrat signé le 18 février 1999 commence à courir à la fin des travaux entrepris par le preneur et dont le coût total a été évalué à francs CFA 12.278.500 et pour amortir ce coût, il a été convenu que le prix du loyer fixé à francs CFA 75.000 par mois doit être entièrement retenu par le preneur et ce, pendant treize (13) ans et six (06) mois qui est la durée du bail; le contrat prenant fin, de cette façon le 09 août 2012;
Le deuxième contrat dont l'investissement a été estimé à F.CFA 7.148.000 porte sur un local dit dépôt n° 1;
Le loyer étant fixé à Francs CFA 45.000 par mois, le preneur retient 25.000 F.CFA pour ne verser que la somme de F.CFA 20.000 pendant toute la durée de l'amortissement du coût de l'investissement qui est aussi la durée du bail, soit pendant 23 ans;
Le montant de l'investissement du dépôt n° 2 étant de F.CFA 5.830.500, le contrat y relatif prévoit que pour un loyer mensuel convenu de Francs CFA 30.000, seule la somme de 15.000 F.CFA doit être versée, les autres 15.000 étant destinés à l'amortissement ce, pendant trente-trois (33) ans plus précisément jusqu'au 31 mai 2035;
La durée de vie de ces contrats étant excessive, les montants des loyers pourtant minorés ayant été figés pendant de si longues années, alors même que la législation en matière de loyer voudrait que les prix soient ajustés chaque année pour tenir compte du coût de la vie;
Le coût des travaux n'ayant pas été préalablement déterminé, il s'ensuit que les contrats conclus ne reflètent pas la volonté des mandats;
Au demeurant ces constructions n'ont pas été érigées sur des fondations solides;
Elles sont sans fenêtre, sans carreaux sans ouvertures; Les murs ne sont pas peints alors que le preneur à bail a largement exploité les bâtiments;
C'est ainsi que le juge de céans devra constater le caractère lésionnaire des contrats qui, dans leur forme actuelle, causent un préjudice aux requérants puis, prononcer leur résiliation et ordonner l'expulsion de monsieur SALEM MOHAMED des lieux occupés au moyen d'une astreinte comminatoire de 100.000 F.CFA par jour de retard et enfin, le juge devra condamner le défendeur à payer la somme de 20.000.000 de F.CFA à titre de dommages intérêt;
En réponse, monsieur SALEM MOUAMED conclu au mal fondé de l'action engagée par HILL MATA Jacques et consorts;
Dès lors qu'ils ont, eux même, comme ils l'avouent dans leur requête du 19 octobre 2010, donné mandat à monsieur MATTA Jackson leur frère, pour conclure un bail à construction à usage commercial;
Il s'agit là d'un aveu de nature judiciaire encadré par les dispositions de l'article 1356 du code civil, car l'aveu fait pleinement foi contre celui qui l'a fait;
En outre il convient de faire observer que suivant les dispositions de l'article 12 de la loi n° 24-2008 du 22 septembre 2008 portant régime foncier en milieu urbain, le bail à construction est conclu pour une durée comprise entre dix-huit ans et quatre-vingt-dix ans, il constitue un bail pour lequel le preneur s'engage à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d'entretien pendant toute la durée du bail;
Il s'ensuit que les requérants ne sauraient se prévaloir d'une quelconque lésion sur la durée des baux à construction, dès lors que ces baux peuvent s'étendre jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans;
II a été jugé qu'un mandat donné pour cinq ans par une commission de copropriétaires à l'un d'eux ne peut être révoqué par la majorité des mandants avant l'expiration du délai prévu, dès lors que le gérant, étant l'un des copropriétaires, a un intérêt pécuniaire à l'exécution de son mandat (Cass. civ. 13 mai 1885 : I, 350) »
Ce qui revient à dire que le prix du loyer ne peut être révisé qu'à l'expiration de la durée prévue au contrat conformément à l'article 1134 du code civil;
Les requérants ont déposé un procès-verbal de conseil de famille au rang des minutes d'un notaire;
Ce procès-verbal qui désigne monsieur HILL MATTA Jacques comme administrateur des biens de la succession avec mission de solliciter, en justice, la nullité des baux commerciaux, ne peut rien changer;
Il n'y a donc pas lieu à expulsion de monsieur SALEM MOHAMED en l'absence d'expiration de la durée conventionnelle des baux;
En raison de l'inexistence d'une lésion et tenant compte de l'exécution depuis plus de dix ans des baux en cause, le défendeur au procès sollicite reconventionnellement son maintien dans les lieux loués jusqu'à l'expiration des contrats en cause;
Tout compte fait, les enfants HILL MATTA veulent vendre la parcelle de terrain où se trouvent les locaux donnés à bail au mépris du droit de préemption du preneur;
C'est pourquoi le défendeur sollicite qu'il lui soit reconnu le droit de préemption, en cas de vente de la parcelle sise n° 70 Avenue de France, Poto-Poto Brazzaville;
Néanmoins l'action engagée par les demandeurs au procès étant abusive, téméraire et vexatoire, le défendeur sollicite, toujours à titre reconventionnelle le paiement des dommages intérêts à F.CFA 20.000.000 pour toutes causes de préjudices confondus;
MOTIFS DE LA DECISION
1) SUR LA DEMANDE EN RESCISION DES BAUX CONCLUS
Attendu que monsieur HILL MATTA Jacques et consorts sollicitent, dans la présente procédure, la rescision des baux commerciaux conclus avec monsieur MOHAMED SALEM, preneur desdits baux à construction, pour cause de lésion, laquelle « lésion résulte du double fait d'une part que les loyers ont été minorés par rapport à ceux pratiqués dans le voisinage pour les édifices de même standing et d'autre part que lesdits loyers sont essentiellement consacrés à l'amortissement des prétendus investissements du preneur à bail » (lire les conclusions des demandeurs au procès du 28 février 2011);
Attendu qu'en droit, la lésion s'entend, comme étant le préjudice résultant d'un déséquilibre grave entre les prestations que se doivent réciproquement les contractants dans un contrat commutatif à titre onéreux; lequel déséquilibre doit exister dès la conclusion du contrat;
Que cette notion de base étant entendu, il convient de s'interroger si le déséquilibre financier dû au prix des loyers minorés, qui affecte les baux commerciaux à construction, donne lieu à rescision, comme le sollicite monsieur HILL MATTA Jacques et consorts;
Qu'ainsi posée cette question appelle l'application de la règle du droit positif prévue en la matière;
Attendu que soucieux de fixer l'impératif de sécurité contractuelle, qui doit caractériser les conventions par la limitation des cas de rescision des contrats, pour prix prétendument lésionnaire, le code civil en son article 1118 tente d'endiguer les possibles et nombreuses demandes de rescision pour lésion, en ces termes : « la lésion ne vice la convention que dans certains contrats ou à l'égard de certaines personnes... »
Que d'après le code civil en effet, seuls sont rescindables pour lésion le contrat de vente d'immeuble (article 1674) et la convention de partage (article 887);
Qu'il en résulte qu'en l'état actuel du droit positif en matière de lésion, celle-ci n'affecte pas en général la validité des conventions, à l'exception des conventions portant sur les immeubles et sur le partage;
Attendu qu'en considération de ces éléments, les baux commerciaux conclus entre monsieur HILL MATTA Jacques et consorts au travers de leur mandataire, HILL MATTA Jacques Junior et monsieur MOHAMED SALEM, quoique laissant apparaître visiblement un déséquilibre financier au préjudice des requérants, ne sauraient être rescindables pour cause de lésion, les baux commerciaux ne faisant pas partie des exceptions retenues par la loi en la matière;
Que conformément à l'esprit du code civil, si les prix convenus des loyers sont lésionnaires, ils ne donnent pas, toutefois, lieu à rescision; les baux commerciaux à construction n'étant nullement visées par la lésion;
Attendu qu'à côté des règles édictées par le code civil, la jurisprudence a fait œuvre utile en matière de lésion en élargissant, dans une certaine mesure, la notion de lésion dans d'autres formes contractuelles;
Que toute analyse faite, l'extension de la lésion en jurisprudence ne saurait être d'aucun secours pour les requérants qui sollicitent, en l'espèce, la rescision des baux commerciaux à construction;
Qu'ainsi les tribunaux ont eu recours à des notions distinctes et voisines de la lésion, comme prix vil ou prix dérisoire pour étendre la lésion à des ventes que les textes du code civil ne permettent pas de rescinder;
Que la distinction de ces notions avec la lésion demeure en ce que, le prix vil ou dérisoire correspondant quasiment à l'absence de prix d'après la doctrine, enlève au contrat son objet, pour l'un des cocontractants, sa cause pour l'autre cocontractant;
Qu'à l'opposé la lésion résulte, de façon générale, d'un prix insuffisant ou d'un prix excessif et non de l'absence de prix;
Attendu que procédant à l'extension de la lésion, la jurisprudence considère que la nullité d'une vente peut être prononcée en cas de vilité du prix;
Qu'il convient de faire observer que la nullité, en jurisprudence, ne peut être admise pour cause de vilité du prix ou caractère dérisoire du prix que lorsqu'il s'agit d'une vente mobilière ou autre vente;
Les ventes immobilières faisant l'objet des dispositions contenues dans le code civil;
Qu'il est de jurisprudence constante que mis à part les ventes mobilières, les baux commerciaux à construction ne sont jusqu'ici, pas rescindables pour cause de vileté de prix ou caractère dérisoire du prix;
Que néanmoins, même si le juge de céans peut pousser plus loin sa réflexion, le concept de rescision pour lésion (qui constitue l'objet de la saisie de la juridiction de céans) et celui de nullité pour vileté du prix étant distincts l'un de l'autre (la différence ayant été expliquée ci-dessus), le Tribunal de commerce, saisi en la cause, ne saurait passer de l'un à l'autre, sans heurter la règle de droit processuel qui exige que le juge doit s'en tenir à l'objet de sa saisine;
Qu'ayant été saisi d'une requête en rescision pour lésion, l'objet du litige ainsi encadré ne saurait muter en nullité pour vileté du prix;
Attendu qu'il vient d'être démontré que les règles du code civil en matière de lésion ne prévoient pas la rescision des baux commerciaux à construction d'une part;
Que d'autre part la nullité du prix, en jurisprudence, concerne les ventes mobilières ignorées par le code civil en matière de rescision pour lésion;
Que tout compte fait, le juge de céans ne saurait faire œuvre prétorienne en statuant sur la nullité pour vileté du prix; l'objet de sa saisine étant tout autre;
Attendu que considération de ce qui précède, il convient de débouter monsieur HILL MATTA Jacques et consorts de toutes leurs demandes, fins et conclusion;
2) SUR LA DEMANDE DE MAINTIEN DANS LES LIEUX FORMULEE PAR LE DEFENDEUR AU PROCES
Attendu que la requête en rescision pour cause de lésion ayant été rejetée il, convient, en conséquence, de maintenir monsieur MOHAMED SALEM dans les lieux loués par lui;
3) SUR LA DEMANDE DE PAIEMENT DES DOMMAGES INTERETS FORMULEE PAR LE DEFENDEUR AU PROCES
Attendu que d'après monsieur MOHAMED SALEM, le préjudice qu'il subit résultant de la présente procédure qu'il qualifie d'abusive, téméraire et vexatoire, mérite réparation et, il estime le montant de cette réparation à francs CFA 20.000.000;
Mois attendu que monsieur MOHAMED SALEM ne saurait justifier d'un quelconque préjudice dès lors que la procédure engagée par monsieur HILL MATTA Jacques et autre ne constitue ni un abus de droit, ni une erreur grossière équipollente au dol;
Qu'il convient de rejeter sa demande reconventionnelle sur ce point;
4) SUR LES DEPENS DE LA PRESENTE PROCEDURE
Attendu que selon des dispositions de l'article 57 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière; le plaideur qui succombe au procès est condamné aux dépens de la procédure;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale, et en premier ressort;
Dit et juge qu'aux termes de la loi, la lésion en l'espèce, ne vicie nullement les baux commerciaux à construction;
En conséquent
Déboute monsieur HILL MATTA Jacques, WASSAOULOUA Léo, NSAMBOU Madeleine et MATTA Jacqueline de leur demande en rescision pour cause de lésion ainsi que de toutes leurs autres demandes;
Sur la demande reconventionnelle
Déboute monsieur MOHAMED SALEM de sa demande en paiement des dommages intérêts pour procédure abusive, vexatoire et téméraire;
En revanche ordonne son maintien dans lieux loués;
Sur les dépens
Condamne les demandeurs au procès, nommément cités ci-dessus aux dépens de la procédure.