J-13-88
DROIT COMMERCIAL GENERAL — CONTRAT DE PRESTATION DE SERVICES — CONTRAT A DUREE DETERMINEE — TACITE RECONDUCTION — RESILIATION — NON — RESPECT DU PREAVIS — ASSIGNATION EN PAIEMENT D’UNE INDEMNITE — ACTION MAL FONDEE — CONTRAT ECRIT — DEFAUT DE PREUVE — APPELS PRINCIPAL ET INCIDENT — RECEVABILITE (OUI)
CONTRATS COMMERCIAUX — PREUVE — REGLES DU DROIT CIVIL — APPLICATION AUTOMATIQUE (NON) — CONCLUSION DES CONTRATS — LIBERTE DE PREUVE (OUI)
DEMANDE D’AUDITION — EMPLOYES — ARTICLES 162 ET 164 CPCCAF — AUDITION SOUS SERMENT DECISOIRE (NON)
RELATION D'AFFAIRES — CONTRAT VERBAL — EXISTENCE — RECONNAISSANCE EXPLICITE — VIOLATION DU CONTRAT — PREUVE — LETTRE DE SIGNIFICATION — ARRET DES ACTIVITES — TRANSFERT A UNE AUTRE SOCIETE — PREAVIS — NON — RESPECT DU DELAI — RUPTURE ABUSIVE DU CONTRAT (OUI) — RESPONSABILITE — RECONNAISSANCE IMPLICITE (OUI) — INFIRMATION DU JUGEMENT
PREJUDICE SUBI — PERTE DE GAINS — REPARATION (OUI) — ABUS DE DROIT MANIFESTE — MAUVAISE FOI — DOMMAGES ET INTERETS (OUI) — INTERET DE DROIT
Il est unanimement admis, tant en doctrine qu'en jurisprudence, que le principe de liberté doit régir la conclusion des contrats commerciaux qui n'est, généralement, subordonnée à aucune solennité. En conséquence, les règles du droit civil relatives à la preuve des obligations contractuelles ne s'appliquent pas automatiquement aux contrats commerciaux qui peuvent être prouvés par tous moyens.
En se convainquant du contraire, le premier juge a faussement apprécié la règle de droit applicable dans le cas d'espèce, d'autant plus que les parties elles-mêmes reconnaissent explicitement qu'un contrat commercial les a liées.
En outre, il ressort d’une lettre de l'intimée signifiant l’arrêt des activités à l’appelante, qu'elle reconnaît non seulement avoir déjà confié l'activité à une autre société, mais également qu'elle n'a pas respecté le délai préavis… Toute chose qui prouve amplement un abus de droit tiré de la violation du contrat verbal de prestations de services qui a existé entre les parties.
Il y a lieu donc de dire et d'arrêter qu'il a été mal jugé et bien appelé et que le jugement doit être infirmé.
Article 1315, 1325 CODE CIVIL
Article 140, 142, 162 ET SUIVANTS CPCCAF
(Cour d'appel de Brazaville, Arrêt du 6 novembre 2006, Madame Thérèse PRATT c/ Compagnie Air France)
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Ouï, monsieur le Président Armand Claude DEMBA en son rapport;
Ouï, maître GALIBA, Conseil de dame Thérèse PRATT, en sa plaidoirie;
Ouï, maître BRUDEY, Conseil de la Compagnie Air France, en ses explications;
Après en avoir délibéré conformément à la loi;
Considérant qu'en date du 21 mai 2004, maître EBOUABOU, du cabinet GALIBA, a interjeté appel d'un jugement rendu le 18 mai 2004 par le Tribunal de commerce de Brazzaville, et dont le dispositif, reproduit ici en substance, est libellé comme suit :
« ... Statuant, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en premier ressort;
En la forme
Reçoit Dame Thérèse PRATT en son action;
Au fond
Vu les articles 1315 et 1325 du code civil, les articles 162 et suivants du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière;
Dit et juge que le contrat produit par dame Thérèse PRATT n'est pas signé et n'a pas, de ce fait, de force probante;
La déboute en conséquence en ses fins, moyens et conclusions;
Reçoit la Compagnie Air France en sa demande reconventionnelle;
L'en déboute;
Condamne Thérèse PRATT aux dépens... »
EN LA FORME
L'appel de Thérèse PRATT, interjeté selon les délais et formes prévus par la loi (article 66 et suivant du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière), est régulier; il échet de le déclarer recevable sur le plan formel.
AU FOND
1) ARGUMENTAIRE DE L'APPELANTE
La dame PRATT expose au soutien de son appel qu'elle est liée par un contrat de prestation de services avec la compagnie aérienne Air France depuis le 15 décembre 2000.
Un contrat a été signé avec le représentant local à Brazzaville, monsieur Christian MERMET; il y était expressément prévu que :
« Le présent contrat est établi pour une durée de douze (12) mois à compter du 15 décembre 2000 jusqu'au 15 décembre 2001. Il est renouvelable d'année en année par tacite reconduction, sauf en cas de dénonciation par l'une ou l'autre des parties notifiée par une lettre recommandée avec un préavis de trois (3) mois avant la fin de la période en cours ».
L'appelant reproche à la Compagnie Air France d'avoir résilié ledit contrat par lettre datée du 27 novembre 2002. Elle affirme que cette résiliation est abusive pour non-respect du préavis. Pour elle, le contrat a été reconduit jusqu'en décembre 2003.
Le Tribunal de commerce, saisi, l'ayant déboutée de l'ensemble de ses prétentions, elle articule contre le jugement du 18 mai 2004 les critiques ci-après :
C'est à tort que le premier juge commercial s'est appuyé sur l'article 1325 du code civil pour soutenir que l'appelante ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un contrat qui l'a liée à l'intimée; il est en effet admis qu'en matière commerciale la preuve est libre. En conséquence, il revenait au Tribunal de commerce d'appliquer les dispositions des articles 140 et 142 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financier pour examiner correctement le litige qui lui était soumis.
L'appelante avait suffisamment rapporté la preuve, en premier instance, d'un contrat et la violation de celui-ci par Air France pour non-respect du préavis. En refusant d'entendre à la barre le représentant local de l'intimée en prétendant qu'il ne participerait pas à la manifestation de la vérité et qu'il ne pouvait-être entendu sous serment décisoire, le Tribunal a jugé de manière partiale; l'article 162 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière est par ailleurs inopérant en l'espèce.
La dame PRATT conclut son mémoire d'appel en sollicitant de la Cour l'annulation de la décision entreprise et la condamnation de la compagnie Air France au paiement de la somme de 7.200.000 frs CFA à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et vexatoire, le tout assorti des intérêts de droit.
2) Réplique de l'intimée
La Compagnie Air France ne conteste pas qu'elle a été liée à la dame PRATT par une convention de services qui a pris effet au mois de décembre 2000; mais elle refuse de la façon la plus formelle qu'un contrat écrit ait réglementé leurs rapports : la convention est demeurée purement verbale.
L'argument d'appel sera rejeté par la Cour comme il l'a été par le Tribunal :
– d'une part, un document qui ne comporte de signature d'aucune partie ne peut pas valoir commencement de preuve par écrit;
– d'autre part, seules les affirmations de dame PRATT viennent soutenir l'existence d'un contrat écrit.
Pour ce qui est du serment décisoire, entre autres arguments, il convient de dire qu'il n'existe pas dans le code de procédure civile, commerciale, administrative et financière et aucune base légale ne permettait au Tribunal, et aujourd'hui à la Cour d’appel, d'ordonner un tel serment.
Par ailleurs, les seconds juges rejetteront la demande en paiement d'intérêts de droit à compter de la mise en demeure en ce qu'elle est une demande nouvelle qui n'avait pas été formulée en première instance.
Enfin, faisant appel incident, Air France demande la condamnation de la dame PRATT au paiement de la somme de 5.000.000 frs CFA à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
3) Position du ministère public
Par la plume de monsieur Julien Pierre Ausone MALANDA, avocat général, le Parquet général a conclu le 5 avril 2006 au rejet de l'appel de la dame PRATT.
CECI ETANT EXPOSE, LA COUR
Considérant que le problème juridique qui avait été posé au premier juge se présente en deux volets essentiels :
– les règles du droit civil relatives à la preuve des obligations contractuelles s'appliquent-elles aux contrats commerciaux ?
– oui ou non y a-t-il eu rupture abusive d'un contrat de prestation de services conclu entre Thérèse PRATT et la Compagnie Air France ?
Considérant que la réponse à ces deux interrogations induit les juges du second degré à se prononcer successivement sur :
– la règle de droit applicable;
– l'audition de Christian MERMET, représentant local de Air France;
– la preuve de la violation du contrat de prestation de services;
– les dommages et intérêts et autres points de droit.
1) Sur la règle de droit applicable
Considérant que l'appelante reproche au Tribunal de commerce de s'être appuyé sur l'article 1325 du code civil pour dire et juger que la dame PRATT ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un contrat l'ayant rattachée à la compagnie Air France;
Considérant qu'il est unanimement admis, tant en doctrine qu'en jurisprudence, que le principe de liberté doit régir la conclusion des contrats commerciaux;
Que cette conclusion n'est, généralement, subordonnée à aucune solennité : l'intervention d'un officier ministériel, notamment d'un notaire, n'est pratiquement jamais requise; Pour des raisons de rapidité et de simplicité, il faut que des contrats commerciaux puissent se conclure verbalement, même par téléphone;
Qu'en conséquence, les règles du droit civil relatives à la preuve des obligations contractuelles ne s'appliquent pas automatiquement aux contrats commerciaux; ceux-ci peuvent être prouvés par tous moyens;
Qu'en se convainquant du contraire, le premier juge a faussement apprécié la règle de droit applicable dans le cas d'espèce :
Considérant que le Tribunal a d'autant plus mal jugé sur ce point que les parties elles-mêmes reconnaissent explicitement qu'un contrat commercial les a liées;
Qu'en réalité, le litige qui les oppose, ainsi que démontré infra, est celui de la rupture, légitime ou abusive selon les argumentations, de ce contrat somme toute verbal.
2) Sur l'audition de Christian MERMET, représentant local de Air France
Considérant qu'en vertu de l'article 162 du code de procédure civile, commerciale administrative et financière, les employés ou domestiques de l'une ou de l'autre partie à un procès quelconque ne peuvent être témoins;
Que l'article 164 ibidem précise que s'il est nécessaire que ces personnes soient entendues, alors elles devraient l'être sans serment, à titre de simples renseignements;
Considérant que c'est donc justement que le premier juge n'a pas fait droit à la demande de Thérèse PRATT relative à l'audition sous serment décisoire du délégué d'Air France au Congo;
Que ce moyen d'appel est conséquemment rejeté;
Qu'il est acquis aux débats que celui-ci est employé de l'intimée;
3) Sur la preuve de la violation du contrat de prestations de services
Considérant que c'est à tort que le Tribunal de commerce a axé sa motivation sur l'inexistence d'un contrat écrit alors qu'il est acquis aux débats que pendant plus d'un an Thérèse PRATT et la compagnie Air France ont été en relations d'affaires;
Qu'ainsi, qu'elle ait été écrite ou verbale, une convention de services a incontestablement existé entre les deux parties;
Considérant que dans une correspondance datée du 14 janvier 2003, la compagnie Air France admet implicitement qu'elle a abusivement rompu la convention susmentionnée;
Que cette lettre, adressée au conseil de la dame PRATT, maître Michelle EBOUABOU, mentionne ce qui suit, retranscrit en substance :
« ... Le contrat que vous nous avez adressé en copie, concernant l'activité exercée par Madame PRATT pour le compte de la société Air France sur l'aéroport de Brazzaville, n'a jamais été signé. Suite au transfert de l'activité à la société congolaise le « CAMBATANI » survenu le 01/09.2002, le service effectué par madame PRATT, activité de supervision de gré à gré, n'a plus été jugé utile.
Donc pour nous cette activité n'est plus honnêtement rendue depuis le 01/09/2002.
Conscient que l'arrêt de ce travail n'a pas été notifié de façon claire avant notre lettre du 22 novembre 2002, nous proposons pour solde de ce litige :
– de payer la facturation jusqu'au mois de décembre 2002 d'un montant de 600.000 frs CFA;
– de régler à titre exceptionnel les 3 mois à venir soit 26 vols pour un montant de 1.950.000 Frs CFA »;
Considérant qu'il est aisé pour la Cour d’appel de céans de constater que nulle part dans ses conclusions tant de première instance que d'appel, la compagnie Air France n'a fait allusion à cette correspondance qui figure pourtant au n° 7 du bordereau de pièces du cabinet GALIBA en date du 20 mai 2003;
Qu'il en ressort que l'intimée reconnaît qu'elle a confié l'activité de l'appelante à la société « LE CAMBATANI » le 1er septembre 2002, ne jugeant plus « utiles » les prestations de Thérèse PRATT;
Qu'elle reconnaît également qu'elle n'a pas respecté un préavis de trois mois imposé sinon par les parties, du moins par les usages en cours dans les places commerciales;
Considérant que l'abus de droit est donc amplement prouvé par cette lettre et les autres pièces du bordereau de la dame PRATT qui démontrent que lorsque la compagnie Air France écrit le 27 novembre 2002, pour lui signifier l'arrêt de leurs activités, celles-ci ont déjà été confiées depuis deux mois à un autre partenaire, savoir la société « Le CAMBATANI »;
Que l'intimée était à ce point consciente de sa responsabilité dans la rupture abusive du contrat qu'elle a proposé de payer de substantielles sommes d'argent pour régler le litige ainsi né;
Considérant que de tout ce qui précède, il y a lieu de dire et d'arrêter qu'il a été mal jugé et bien appelé et que le jugement déféré en appel doit être infirmé.
4) Sur les autres points de la procédure
Considérant que pour le préjudice qu'elle a subi, la dame PRATT a demandé paiement par Air France de la somme de 7.200.000 frs CFA à titre principal, et celle de 15.000.000 frs CFA à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et vexatoire;
Qu'en la forme, ces sollicitations sont recevables en ce que l'abus de droit est manifeste, de même que la mauvaise foi de l'intimée qui, après avoir clairement reconnu sa responsabilité et proposé maintes sommes d'argent à titre de règlement, a, contre toute attente, laissé la procédure judiciaire suivre son cours sur des données qu'elle savait inexactes;
Qu'au fond, les quanta réclamés sont relativement exagérés, quoiqu'il soit constant que le contrat verbal liant les deux parties se reconduisait tacitement chaque année, et qu'en le rompant de manière cavalière, la compagnie Air France a causé à la dame PRATT une perte de gains considérable;
Que sur la foi des éléments du dossier, il sied de ramener ces montants en de plus raisonnables proportions comme transcrit dans le dispositif du présent arrêt, avant de débouter l'appelant de son surplus en demande;
Considérant qu'ainsi que l'a si bien rappelé Air France, la somme totale allouée portera intérêt de droit au taux légal à compter de la date du prononcé du présent arrêt, comme signifié dans la requête introductive d'instance, et non à compter de celle de la mise en demeure;
Considérant que la demande de paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire formulée par l'appelante incidente, ne se justifie pas puisqu'il a été fait droit l'action principale;
Qu'il convient d'en débouter Air France purement et simplement;
Considérant qu'aux termes de l'article 57 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière, la partie succombante, en l'occurrence celle intimée, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort;
En la forme
Reçoit les appels principal et incident;
Au fond
Dit qu'il a été mal jugé et bien appelé;
Infirme le jugement rendu le 18 mai 2004 par le Tribunal de commerce de Brazzaville dans la cause opposant Thérèse PRATT à la compagnie Air France;
Statuant à nouveau
Constate la rupture abusive du contrat de prestation de services existant entre les parties;
Condamne conséquemment la compagnie Air France à payer à la dame PRATT la somme de quatre millions (4.000.000) frs CFA à titre principal et celle d'un million (1.000.000) frs CFA à titre de dommages et intérêts;
Déboute Thérèse PRATT de son surplus en demande;
Dit que la somme totale allouée portera intérêt de droit au taux légal à compter de la date du prononcé du présent arrêt;
Déboute les parties de l'ensemble de leurs demandes infondées;
Condamne la compagnie Air France aux dépens.