J-13-194
CLAUSE COMPROMISSOIRE — FORCE DE LA CLAUSE — NON — CONCILIATION DES PARTIES — APPLICATION DE LA CLAUSE — INCOMPETENCE DU JUGE ETATIQUE (OUI)
Une clause compromissoire d’arbitrage attribuant compétence à la CACI pour régler « tout litige qui pourrait naître de l’interprétation, de l’exécution et de la résiliation » du contrat s’impose aussi bien aux juges d’appel qu’aux parties litigantes, dont singulièrement le défendeur au pourvoi, lequel bien que n’étant pas signataire dudit contrat, trouve nécessairement dans l’objet et dans l’exécution de celui-ci, le fondement même de sa qualité réelle ou prétendue de créancier poursuivant.
Article 1134 C. civ.
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.), Arrêt n° 024/2010 du 08 avril 2010, Joseph Roger (Me VARLET Jean-Luc, Avocat à la Cour) c/ FOFANA Patrice.- Actualités Juridiques, Edition économique n° 1 / 2011, p. 19.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A.) de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A.), Deuxième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 08 avril 2010, où étaient présents :
M. Antoine Joachim OLIVEIRA, Président
M. Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge rapporteur
M. Boubacar DICKO, Juge
Me MONBLE Jean Bosco, Greffier.
Sur le renvoi, en application de l’article 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, devant la Cour de céans, de l’affaire Joseph ROGER contre FOFANA Patrice, par Arrêt n° 069/06 du 02 mars 2006 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, formation civile, saisie d’un pourvoi formé le 14 février 2005 par Monsieur Joseph ROGER, Directeur de l’entreprise A.T.S, domicilié à Abidjan, Commune de Yopougon, Toits rouges, ayant pour Conseil Maître VARLET Jean-Luc, Avocat à la Cour, demeurant 26, boulevard Angoulevant, immeuble le Fromager, 3ème étage, 01 BP 1846 Abidjan 01, dans la cause qui l’oppose à Monsieur FOFANA Patrice, étudiant, domicilié à Abidjan, Yopougon, Toits rouges, 19 BP 135 Abidjan 19, en cassation de l’Arrêt n° 1205 rendu le 21 décembre 2004 par la Cour d’Appel d’Abidjan, et dont le dispositif est le suivant :
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort;
En la forme
– Déclare recevable l’appel relevé le 02 juin 2004 par Monsieur Patrice FOFANA, du Jugement Civil contradictoire n° 6l2 rendu le 04 mai 2004 par le Tribunal de Première Instance de Yopougon;
Au fond
– L’y dit partiellement fondé;
Réformant ledit jugement querellé en ce qu’il a ordonné la rétractation de l’Ordonnance n° 446/2003 du 17 décembre 2003;
Statuant à nouveau,
– Restitue à ladite ordonnance d’injonction de payer, son effet à hauteur de 6.500.000 francs;
– Condamne Monsieur Joseph ROGER au paiement de cette somme;
– Condamne Monsieur Joseph ROGER aux dépens. »;
Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à la requête annexée au présent Arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Boubacar DICKO
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA;
Attendu qu’il ressort des pièces du dossier de la procédure que, courant octobre 2003, Monsieur Joseph ROGER fut approché par Monsieur FOFANA Patrice, qui se disait être l’ami d’un architecte ayant obtenu un projet de construction d’une Agence de la COOPEC dans la Commune d’Attécoubé à Abidjan; que pour l’obtention du marché de construction du siège de cette agence, selon Monsieur Joseph ROGER, ledit architecte, par l’intermédiaire de Monsieur FOFANA Patrice, exigeait de lui le paiement d’une commission d’un montant de 13.000.000 francs CFA; qu’il souscrivait à cette proposition dans une « convention » du 17 octobre 2003 remise à Monsieur FOFANA Patrice, mais toujours, selon lui, sous certaines conditions, en deux étapes : à savoir, la remise d’une somme de 6.500.000 francs CFA à Monsieur FOFANA Patrice, après la signature du marché et la mise en place du préfinancement de démarrage des travaux par sa banque pendant un mois, et la remise de la somme de 6.500.000 francs CFA au susnommé, dès que le 1er versement COOPEC sera fait dans un délai moyen d’un mois après le début des travaux; qu’en définitive, il sera signé entre le Cabinet d’Architecture Michel Goly Kouassi et Associés et Monsieur Joseph ROGER, un contrat d’exécution de chantier, dans le cadre de l’aménagement d’une agence COOPEC dans la Commune d’Attécoubé; que nonobstant, selon Monsieur Joseph ROGER, que ledit Cabinet d’Architectes l’ait informé par courrier en date du 20 novembre 2003, n’avoir jamais donné mandat à Monsieur FOFANA Patrice, celui-ci décidait néanmoins de mettre à exécution la convention susdite du 17 octobre 2003 qu’il détenait par-devers lui, et par laquelle Monsieur Joseph ROGER s’engageait à payer la somme de 13.000.000 francs CFA; que c’est ainsi que Monsieur FOFANA Patrice demandait et obtenait du Président du Tribunal de Première Instance de Yopougon, l’Ordonnance d’injonction de payer n° 446/03 du 17 décembre 2003, laquelle, sur opposition de Monsieur Joseph ROGER, fut rétractée par Jugement n° 612 du 04 mai 2004 du Tribunal de Première Instance de Yopougon; que sur appel de Monsieur FOFANA Patrice, la Cour d’Appel d’Abidjan rendait l’Arrêt n° 1205 du 21 décembre 2004, objet du présent pourvoi en cassation initié par Monsieur Joseph ROGER;
Attendu en l’espèce que Monsieur FOFANA Patrice n’a pas conclu et ne s’est pas fait représenter; que la procédure étant en état, il y a lieu d’examiner ledit recours;
Sur les deux moyens réunis
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué, en statuant comme il l’a fait, de manquer de base légale résultant de l’insuffisance des motifs, en ce que pour réformer le Jugement n° 612 du Tribunal de Première Instance de Yopougon, ledit arrêt a affirmé qu’ »il est constant ainsi qu’il résulte de la convention en date du 17 octobre 2003 que Monsieur Joseph ROGER s’est engagé à payer à Monsieur Patrice FOFANA, qui lui a permis d’avoir le marché des travaux de la COOPEC d’Attecoubé », la somme de 13.000.000 francs en deux étapes...;
Or, il n’est pas contesté que les travaux ont été effectués et que Monsieur Joseph ROGER attend le paiement de la somme de 34.340.633 francs CFA; dès que les travaux ont été effectués, Monsieur Joseph ROGER, conformément à son propre engagement à l’égard de l’appelant, doit verser à ce dernier la première tranche des sommes promises, soit 6.500.000 FCFA »; qu’en se déterminant ainsi alors que contrairement aux motifs susmentionnés de l’arrêt attaqué, le requérant conteste être en attente de recevoir la somme de 34.340.663 FCFA, laquelle ne lui était d’ailleurs pas destinée et représentait le montant des matériels commandés pour le chantier et non le montant excipé par Monsieur FOFANA Patrice comme étant celui d’une « grosse facture » dont lui, le requérant, attendait paiement, ledit arrêt encourt les reproches visés au moyen et encourt en conséquence cassation;
Attendu qu’il est également reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé, d’une part, l’article 1er de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, et l’article 1134 du Code civil, d’autre part; qu’en effet, en restituant à l’Ordonnance d’injonction de payer n° 446/03 son effet à hauteur de 6.500.000 FCFA, ledit arrêt a nécessairement estimé que la créance de Monsieur FOFANA Patrice est certaine, liquide et exigible, alors pourtant que cette créance était assortie de conditions, à savoir l’engagement de verser à l’architecte par l’entremise du susnommé, la somme de 13.000.000 FCFA dont la première moitié (6.500.000 FCFA) dès le préfinancement par la banque du requérant du marché, ce qui n’a jamais été fait, alors que le second paiement de 6.500.000 FCFA était, quant à lui, conditionné par le premier versement à faire par la COOPEC, ce qui n’a également jamais eu lieu; que la preuve de la réalisation de ces conditions n’a pas été rapportée par Monsieur FOFANA Patrice, de sorte que la créance dont il poursuit le paiement n’est ni certaine, ni exigible et ne peut servir de fondement à une ordonnance d’injonction de payer; que « mieux », cette créance est inexistante parce qu’elle n’a pas de cause, selon l’article 1131 du Code civil, qui dispose que, « l’obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet »; que « le requérant s’est engagé à payer la somme de 13.000.000 FCFA dans l’espoir qu’il aurait tout le marché estimé à 170.000.000 FCFA; que dans ces conditions, la convention du 17 octobre est sans cause ou caduque et ne peut servir de base à une ordonnance d’injonction de payer; qu’en outre, en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué a violé l’article 1134 du Code civil, aux termes duquel, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »;
Attendu cependant qu’il ressort en l’espèce, des pièces du dossier de la procédure et singulièrement du « Contrat d’exécution de chantier n° 001 du 24/10/2003, « que l’entreprise ATS (Africaine des Travaux et Service) représentée par son Directeur Général, Monsieur ROGER Joseph Raoul et le Cabinet GOLY KOUASSI et Associés, agissant pour le compte de la COOPEC-CI FENACOOPEC-CI ont signé ledit contrat dont l’objet est d’attribuer à l’entreprise ATS » la mission d’assurer l’exécution des travaux dans le cadre de l’aménagement de l’agence COOPEC de la commune d’Attécoubé »; que l’article 30 dudit contrat intitulé « Règlement de différends Attribution de Juridiction » prescrit que : « Les parties conviennent que tout litige qui pourrait naître de l’interprétation, de l’exécution et de la résiliation du présent contrat sera soumis à un règlement amiable auprès d’un comité de médiation composé de quatre personnes, soit deux (02) représentants de chaque partie. (…).
En cas de non-conciliation, les parties conviennent expressément de la saisine de la Cour d’Arbitrage de COTE d’IVOIRE (CACI). Les litiges seront définitivement tranchés par un (01) ou trois (03) arbitres, conformément au Règlement de cette Cour d’arbitrage. Toutes sentences rendues lient les parties qui s’engagent à les exécuter de bonne foi; elles sont supposées avoir renoncé au recours en annulation devant les juridictions étatiques et à tout recours auquel elles sont en droit de renoncer dans le pays où l’arbitrage a son siège. (...) »;
Attendu que cette clause compromissoire d’arbitrage attribuant compétence à la CACI pour régler « tout litige qui pourrait naître de l’interprétation, de l’exécution et de la résiliation du présent contrat » s’impose aussi bien aux juges d’appel qu’aux parties litigantes, dont singulièrement Monsieur FOFANA Patrice, défendeur au pourvoi, lequel, bien que n’étant pas signataire dudit contrat, trouve nécessairement dans l’objet et dans l’exécution de celui-ci, le fondement même de sa qualité réelle ou prétendue de créancier poursuivant ou, à tout le moins, de mandataire censé être commis par des tiers architectes, du reste non clairement identifiés par lui en l’occurrence, pour quérir une commission sur le marché défini par le contrat susdit; qu’en méconnaissant ladite clause, la Cour d’Appel, en statuant comme elle l’a fait, a exposé sa décision à la cassation; qu’il échet en conséquence, de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer;
Sur l’évocation
Attendu que par exploit d’huissier en date du 02 juin 2004, Monsieur FOFANA Patrice a relevé appel du Jugement civil contradictoire n° 612 rendu le 04 mai 2004 par le Tribunal de Première Instance de Yopougon, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort;
– Rejette l’exception de nullité de l’exploit de signification de l’ordonnance querellée;
– Déclare Monsieur Joseph ROGER recevable en son action et l’y dit bien fondé;
– Rétracte l’Ordonnance n° 446/2003 en date du 17 décembre 2003;
– Condamne Patrice FOFANA aux dépens. »;
Attendu que l’appelant sollicite l’infirmation du jugement susdit querellé, aux motifs notamment que, la créance par lui réclamée est certaine, liquide et exigible en ce que, selon lui, les conditions suspensives sous lesquelles le paiement de la commission [de 13.000.000 francs CFA par l’intimé, Monsieur Joseph ROGER] devait intervenir, ont été réalisées, le contrat de marché ayant été effectivement signé et Monsieur Joseph ROGER ayant commencé les travaux; que dès lors, soutient-il, sa créance est devenue exigible, de sorte que c’est à juste titre qu’il a recouru à la procédure d’injonction de payer, en se fondant sur la convention du 17 octobre 2003 en vertu de laquelle Monsieur Joseph ROGER s’engageait à lui payer les 13.000.000 FCFA en deux étapes;
Attendu que pour sa part, Monsieur Joseph ROGER, intimé, conclut à la confirmation dudit jugement querellé, en faisant valoir que la créance de 13.000.000 FCFA dont se prévaut Monsieur FOFANA Patrice ne se justifie pas, faute d’avoir une cause; qu’en outre, selon lui, aucune des conditions suspensives qu’il invoque ne s’est réalisée, en ce que, précise-t-il, le marché de construction globale, comme convenu, ne lui a pas été attribué et donc, il n’a pu convaincre sa banque pour le préfinancement souhaité; qu’au demeurant, fait-il observer, le décompte de 34.340.663 FCFA ne lui a pas encore été versé par la COOPEC; qu’il conclut, dans ces conditions, à la confirmation pure et simple du jugement querellé;
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus lors de l’examen des moyens de cassation articulés par le requérant, et singulièrement ceux tirés de l’existence, en la cause, d’une clause compromissoire d’arbitrage donnant compétence à la Cour d’Arbitrage de COTE D’IVOIRE (CACI) pour régler « tout litige » se rattachant à l’exécution des travaux d’aménagement de l’agence COOPEC de la Commune d’Attecoubé, il échet d’annuler le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de se déclarer incompétent et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir;
Attendu qu’il y a lieu de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
– Casse l’Arrêt n° 1205 rendu le 21 décembre 2004 par la Cour d’Appel d’Abidjan;
Evoquant et statuant au fond,
– Annule le Jugement n° 612 rendu le 04 mai 2004 par le Tribunal de Première Instance de Yopougon;
Statuant à nouveau,
– Se déclare incompétente;
– Renvoie les parties à mieux se pourvoir;
– Dit que chaque partie supportera ses propres dépens.