J-13-199
PROCEDURES COLLECTIVES D’APUREMENT DU PASSIF — BANQUEROUTE — COMMISSAIRES AUX COMPTES — COMPLICITE — ESCROQUERIE — COMMUNICATION D’INFORMATIONS MENSONGERES
Doit être cassé pour ne pas avoir tiré toutes les conséquences légales de la situation, l’arrêt qui a relaxé un commissaire aux comptes, aux motifs qu’une certification sans vérification comptable et une attitude passive ne constituaient pas un acte positif de complicité, alors que le prédécesseur de ce dernier avait signalé des anomalies et des fraudes dans les derniers exercices et que le prévenu avait lui-même reconnu sa propre défaillance dans l’exercice de sa mission.
Cass. Crim., (France) 18 mai 2011, Revue des Sociétés, décembre 2011, p. 711.- Actualités Juridiques, Edition économique n° 2 / 2011, p. 174.
LA COUR
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-7 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des dispositions de l’article 593 du Code de procédure pénale
Les moyens étant réunis :
Vu l’article 593 du Code de procédure pénale;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision; que l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, la comptabilité de la société Rieux, devenue la Société des Vins des Vignobles du Sud, mise en redressement judiciaire le 7 juillet 2007, puis en liquidation judiciaire le 11 juillet 2007, présentait depuis plusieurs années, de graves anomalies ayant permis de masquer d’importants déficits et d’obtenir le maintien de concours bancaires; que M. Subra, commissaire aux comptes de cette société, est poursuivi pour s’être rendu complice de la banqueroute et des escroqueries dont les dirigeants de ladite société ont été déclarés coupables, et du chef de confirmation d’informations mensongères;
Attendu que, pour le relaxer, l’arrêt énonce que le fait d’avoir certifié les comptes annuels de la société Rieux, sans vérification comptable, ne constitue pas un acte positif de complicité, que la relative incompétence professionnelle du prévenu, son manque de curiosité et sa passivité ne sauraient davantage caractériser cette complicité;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle relevait, par ailleurs, que le commissaire aux comptes auquel le prévenu avait succédé en 2000 avait refusé de certifier ceux des exercices 1997 et 1999, émis des réserves sur ceux de 1998, et procède en 2000 à des contrôles ayant révélé une fraude généralisée, puis constatait que lui-même avait reconnu son insuffisance et sa défaillance dans l’exercice de sa mission, la Cour d’appel, qui, d’une part, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et d’autre part, ne s’est pas expliquée sur les faits susceptibles de caractériser le délit de confirmation d’informations mensongères également reproché, n’a pas justifié sa décision;
D’où il suit que la cassation est encourue;
PAR CES MOTIFS
– Casse et annule, l’arrêt susvisé de la Cour d’appel de Montpellier, en date du 19 octobre 2010, en ses seules dispositions relatives à M. Subra, toutes dispositions étant expressément maintenues.
L’arrêt ci-dessous reproduit émane de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française. Il est relatif à la responsabilité pénale du commissaire aux comptes, notamment à l’appréciation de sa complicité dans des infractions commises par les dirigeants.
Les faits étaient simples : une société avait été mise en redressement puis en liquidation judiciaire et elle présentait, depuis de nombreuses années, de graves anomalies ayant permis de masquer la réalité comptable et d’obtenir le maintien de concours bancaires. Le commissaire aux comptes de cette société était poursuivi pour complicité de banqueroute et d’escroquerie ainsi que pour confirmation d’informations mensongères. Le commissaire aux comptes fut relaxé par la Cour d’appel. Cette juridiction a estimé que le fait d’avoir certifié les comptes annuels de la société en cause, sans vérification comptable, ne peut constituer un acte positif de complicité, comme sa passivité. Relativement aux poursuites de délit de confirmation d’informations mensongères, la juridiction d’appel n’a fourni aucune réponse. C’est sur cet arrêt que la Chambre criminelle exerce son contrôle.
Bien que la cassation de l’arrêt soit intervenue pour des raisons purement procédurales (motivation insuffisante ne permettant pas à la Haute juridiction d’exercer son contrôle), elle met en relief une question importante relative à la complicité du commissaire aux comptes dans des faits de banqueroute et d’escroquerie, complicité devant être envisagée au regard du délit de confirmation d’informations mensongères.
La lecture de l’arrêt permet de penser que le commissaire aux comptes se défend en admettant qu’il a été négligent et défaillant dans l’exercice de sa mission; ce qui l’a empêché d’avoir conscience de participer à une infraction. A partir de cet argument, la Cour d’appel a constaté une absence de l’élément psychologique ou moral, nécessaire pour retenir la complicité du délit. Mais, la négligence du professionnel n’est-elle pas volontaire ? Une réponse affirmative permettrait de considérer une telle négligence comme un acte positif. On sait qu’il n’est pas aisé de tracer la frontière entre l’abstention délibérée en toute connaissance de cause et l’abstention par négligence. Mais, des faits antérieurs laissent songeur. En effet, le fait que quatre certifications précédant son entrée en fonction aient posé problème, laisse planer de sérieux doutes sur le comportement du commissaire aux comptes. Il semble difficile de ne pas considérer que le contrôleur légal ne se soit pas rendu coupable du délit de communication d’informations mensongères, dans la mesure où il semble établi qu’il avait connaissance d’anomalies susceptibles de le faire réagir.
En fin de compte, à travers cette décision, on voit qu’il importe de procéder à une clarification concernant la qualification pénale des comportements des contrôleurs légaux.
1 Pour plus amples développements à propos de cet arrêt, voir la note de Thierry GRANIER, professeur à l’Université d’Aix-Marseille.