J-13-200
SOCIETES CIVILES — GERANT DE FAIT — GESTION D’AFFAIRES REMBOURSEMENT DE FRAIS — REMUNERATION
Viole les articles 1372 et 1375 du Code civil, la cour d’appel qui prive le gérant de fait d’une société civile, du statut du gérant d’affaires, du seul fait de l’allégation d’un mandat dont l’existence avait été écartée, d’une part, et qui déduit de la seule constatation d’une moins-value à la revente de l’immeuble, tant la non-conformité à l’intérêt social que l’absence d’utilité des actes de gestion réalisés, d’autre part.
Cass. Civ. 1ère, 3 février 2011, (France) Revue des Sociétés, novembre 2011, p. 637.- Actualités Juridiques, Edition économique n° 2 / 2011, p. 176.
LA COUR
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui n’est pas nouvelle, ainsi qu’en ses deux autres branches
Vu les articles 1372 et 1375 du Code civil;
Attendu que, pour débouter M. Michel QUENET de sa demande en remboursement de frais et en rémunération de son activité à l’égard de la SCI Jeanne d’Arc, l’arrêt attaqué retient tout d’abord, qu’en sa qualité non contestée de gérant de fait de ladite société, il n’aurait pu obtenir paiement des dépenses effectuées pour le compte de la société que, si elles avaient été conformes à l’intérêt social, ce qui n’avait pas été le cas, puisque l’immeuble avait été revendu en 2004 à un prix inférieur à la somme du prix d’achat en 2001 et du prêt souscrit pour financer les frais d’acte et les travaux de rénovation et que, quant à sa rémunération, il ne rapportait la preuve d’aucun accord des associés, pour lui verser en rétribution de son travail, une somme de 38.112,25 €, puis, que son action ne pouvait aboutir non plus sur le fondement de la gestion d’affaires, incompatible avec le mandat allégué, puisqu’elle suppose une intervention spontanée du gérant, alors que celle du mandataire est consécutive à un contrat et qu’au demeurant, la gestion d’affaires doit être utile, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la SCI n’ayant retiré aucun profit de l’opération;
Attendu qu’en privant, d’une part, M. QUENET du bénéfice des dispositions relatives à la gestion d’affaires, du seul fait de l’allégation, à titre subsidiaire, d’un mandat dont l’existence avait été écartée et qu’en déduisant, d’autre part, de la seule constatation d’une moins-value à la revente de l’immeuble, tant la non-conformité à l’intérêt social que l’absence d’utilité des travaux qu’il avait entrepris et des démarches qu’il avait effectuées, quand cette revente était intervenue plusieurs années après les actes accomplis, la Cour d’appel a violé les textes susvisés;
PAR CES MOTIFS
– Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 septembre 2008, entre les parties, par la Cour d’appel de Rennes; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état ou elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel d’Angers.
L’arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation reproduit CI6DESSUS, reconnaît au gérant de fait, la possibilité de se prévaloir de la qualité de negotiorum gestor, autrement dit, de gérant d’affaires. Les faits de l’espèce qu’on lira sans difficulté, ont conduit une personne qui s’était comportée comme gérant d’une société, sans avoir reçu aucun mandat de celle-ci, à demander le remboursement des frais avancés ainsi que sa rémunération pour le travail réalisé au bénéfice de la société. La gestion d’affaires fonde sa prétention.
Par application des articles 1372 et suivants du Code civil, la reconnaissance au gérant de fait de la qualité de gérant d’affaires suppose que ses actes soient spontanés et utiles. La spontanéité des actes avait été remise en cause par le juge d’appel, sur la base de l’existence d’un mandat qu’il avait pourtant écarté. Concernant l’utilité des actes, la Haute juridiction estime qu’elle n’est pas contestable du seul fait de la moins-value réalisée lors de la revente de l’immeuble. Le gérant de fait sera-t-il dans l’espèce, un beatus negotiorum gestor (un bienheureux gérant d’affaires) ? La cassation de l’arrêt semble le suggérer. Cependant, si sa demande en remboursement des dépenses exposées est susceptible d’aboutir, celle ayant pour objet la rémunération des services rendus à la société, ne semble pas pouvoir prospérer. Les chances de cette dernière demande sont minces en ce sens que la gestion d’affaires est en principe gratuite. En effet, si le gérant d’affaires ne doit pas s’appauvrir, il ne doit pas davantage s’enrichir à l’occasion de ses actes de gestion. Si l’on applique cette règle à l’espèce, il est évident que le gérant de fait ne soit pas fondé à obtenir une rémunération dont serait, en principe, gratifié le gérant de droit.
Ce qu’il faut retenir de cet arrêt, est qu’il admet le principe qu’un gérant de fait puisse se prévaloir de sa qualité de gérant d’affaires à l’égard de la société qu’il dirige. Il pourra de ce fait, être remboursé des frais qu’il a pu exposer dans la gestion de la société, sans pour autant prétendre à une rémunération de la part de celle-ci.
1 Voir, pour plus de détails, la note de Vincent THOMAS, Maître de conférences à la Faculté de droit de Dijon.