J-13-203
SOCIETES EN GENERAL — APPORT — FUSION — PACTE DE PREFERENCE — RUPTURE FAUTIVE DES POURPARLERS
L’opération de fusion-absorption, qui entraîne la dissolution sans liquidation de la société absorbée et la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante et n’a pas pour contrepartie l’attribution à la société absorbée, de droits sociaux au sein de la société absorbante, ne constitue pas un apport fait de la première à la seconde.
Cass. Com. France, 9 novembre 2010, Revue des Sociétés, avril 2011, p. 219.- Actualités Juridiques, Edition économique n° 2 / 2011, p. 182.
LA COUR
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Detraz cuir et la société du 2, rue de Sault ont consenti à la société Beauté Esthétique, un bail commercial stipulant au profit du preneur, un droit de préférence en cas de vente, d’échange ou d’apport en société de l’immeuble loué; que la société Detraz cuir, après avoir absorbé la société du 2 rue de Sault, a été elle-même absorbée par la société Detraz et compagnie SAS - Les Menaux, devenue la société Detraz et compagnie - Les Menaux; que la société Beauté Esthétique, soutenant que cette seconde fusion constituait une violation du pacte de préférence stipulé à son profit, a demandé l’annulation de l’apport de l’immeuble ainsi réalisé; que cette même société, invoquant la rupture abusive des pourparlers qu’elle conduisait en vue de l’acquisition de ce même immeuble, a en outre demandé le paiement de dommages-intérêts;
Sur le premier moyen
Attendu que la société Beauté Esthétique fait grief à l’arrêt d’avoir infirmé le jugement ayant constaté la violation du pacte de préférence, prononcé l’annulation de l’apport de l’immeuble et ordonné sa substitution dans les droits et obligations issus du transfert de propriété de cet immeuble alors, selon le moyen, que la fusion de société réalise un apport de patrimoine; que la Cour d’appel qui, pour refuser de sanctionner la violation du pacte de préférence consenti à la société Beauté esthétique sur les locaux loués en cas de vente, d’échange ou d’apport en société, a retenu que l’opération de fusion, qui n’était pas limitée à une partie de l’actif, avait eu pour effet une transmission universelle du patrimoine qui n’était ni une vente, ni un échange ni un simple apport en société du bien objet du pacte de préférence, a violé les articles L. 236-1 du Code de commerce et 1134 du Code civil;
Mais, attendu que l’opération de fusion-absorption, qui entraîne la dissolution sans liquidation de la société absorbée et la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante et n’a pas pour contrepartie l’attribution à la société absorbée, de droits sociaux au sein de la société absorbante, ne constitue pas un apport fait par la première à la seconde; que c’est dès lors, à bon droit que la Cour d’appel a retenu, pour dire que la fusion n’était pas intervenue en violation du pacte de préférence, que cette opération n’était pas un apport en société; que le moyen n’est pas fondé;
Mais, sur le second moyen, pris en sa première branche
Vu l’article 1382 du Code civil;
Attendu que pour débouter la société Beauté Esthétique de sa demande de dommages-intérêts pour rupture fautive des pourparlers, l’arrêt retient qu’il n’est pas établi que les parties étaient effectivement parvenues à un accord sur le prix d’acquisition de l’immeuble et qu’en l’absence d’un tel accord, la société Detraz restait libre de poursuivre ou non les pourparlers relatifs à la vente de l’immeuble;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, par un motif impropre à exclure l’existence d’une faute commise dans la rupture des pourparlers, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision;
PAR CES MOTIFS
et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen;
– Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a débouté la société Beauté Esthétique de sa demande de dommages-intérêts pour rupture fautive des pourparlers, l’arrêt rendu le 24 septembre 2009, entre les parties, par la Cour d’appel de Grenoble; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel de Grenoble, autrement composée.
Sur des faits qu’on n’aura aucun mal à relever, le présent arrêt1 témoigne des nombreuses difficultés soulevées par l’interprétation des pactes de préférence, notamment lorsque se présente une opération qui n’a pas été expressément mentionnée dans l’accord. Ce problème était au cœur de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation française. Dans un attendu de principe particulièrement clair et pédagogique, la Haute juridiction affirma qu’une fusion n’est pas un apport en société, mais deux mécanismes juridiques différents. On remarquera que c’est la première fois que le juge de cassation établit les critères permettant de faire une distinction claire entre la fusion et l’apport.

1 Pour de larges développements à propos de cet arrêt, se reporter utilement à la note de Thibaut MASSART, professeur à l’Université Paris-Dauphine.