J-15-226
IMMUNITE – ENTITE JOUISSANT D’UNE IMMUNITE DE JURIDICTION ET D’EXECUTION – RENONCIATION : NECESSITE D’UNE RENONCIATION EXPRESSE, LA SIMPLE PARTICIPATION A UNE PROCEDURE JUDICIAIRE N’EQUIVALANT PAS A UNE RENONCIATION – CASSATION DE L’ARRET CONTRAIRE – MAINLEVEE DE LA SAISIE INITIEE
Il résulte des articles
30 de l’AUPSRVE et 5 de l’Accord d’établissement passé le 9 juin 2004 entre l’ASECNA et la République Centrafricaine, qui dispose notamment que « 1- L’Agence, ses biens et avoirs jouissent de l’immunité de juridiction sauf dans la mesure où l’Agence y aurait renoncé expressément; 2- Les biens et avoirs de l’Agence sont exempts de perquisition, confiscation, réquisition et d’expropriation et de toute forme de contrainte…. », qu’une double immunité est conférée par ces textes à l’ASECNA : une immunité de juridiction lui permettant de se soustraire à la compétence d'un tribunal centrafricain, et une immunité d’exécution qui empêche toute mesure d'exécution forcée sur ses biens. C’est donc à tort que la cour d’appel a déclaré les dispositions de ce texte inopérantes aux motifs que l’ASECNA a plaidé sa cause devant les juridictions centrafricaines et qu’elle ne serait plus fondée à se prévaloir de son immunité qu’elle n’invoque que dans la phase d’exécution. Il en est ainsi dès lors qu’aucune renonciation expresse à son immunité de juridiction n’est invoquée contre l’ASECNA et que le consentement à l'exercice de la juridiction par les tribunaux centrafricains n'implique pas le consentement à l'exécution forcée, qui nécessite un consentement exprès distinct. En statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a méconnu le texte visé au moyen et exposé son arrêt à la cassation.
Sur évocation, mainlevée de la saisie doit être ordonnée.
CCJA, Assemblée plénière, Arrêt n° 136/2014 du 11 novembre 2014; Pourvoi n°036/2012/PC du 19/04/2012 : Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar, dite ASECNA c/ Collectif des ex-employés de l’ASECNA.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Assemblée plénière, a rendu l’Arrêt suivant en son audience foraine publique tenue à Libreville (Gabon) le 11 novembre 2014 où étaient présents :
Messieurs Marcel SEREKOÏSSE SAMBA, Président
Abdoulaye Issoufi TOURE, Premier Vice-président
Madame Flora DALMEIDA MELE, Second Vice-président
Messieurs Namuano Francisco Dias GOMES, Juge, Rapporteur
Victoriano OBIANG ABOGO, Juge
Idrissa YAYE, Juge
Djimasna N’DONINGAR, Juge
et Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef,
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 19 avril 2012 sous le n°36/2012/PC et formé par l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar, dite ASECNA, ayant son siège au 32-38 avenue Jean Jaurès, BP 3144-Dakar, agissant par l’organe de sa représentation auprès de la République centrafricaine, BP 828- Bangui, ayant pour Conseil Maître Jean-Louis Sylvestre WANGO-GBOLO, Avocat au Barreau de la Centrafrique, demeurant à proximité de l’Ecobank Port Amont à Bangui, dans la cause qui l’oppose au Collectif des ex-employés de l’ASECNA, représenté par Fulbert GUEREYORO, demeurant à Bangui, ayant pour conseils Maîtres Sylvain Adrien TABANGUE et Bruno Hyacinthe GBIEGBA, Avocats à la Cour à Bangui, BP. 889 Bangui,
en cassation de l’Arrêt n°30 rendu le 21 février 2012 par la Cour d’appel de Bangui, dont le dispositif est le suivant :
« Statuant contradictoirement à l’égard des parties, en matière de référé et en dernier ressort;
Au principal : Renvoie les parties à mieux se pourvoir ainsi qu’elles aviseront;
Mais d’ores et déjà : confirme l’ordonnance querellée dans toutes ses dispositions;
Met les dépens à la charge de l’ASECNA Article 2 »;
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu’ils figurent à sa requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur Mamadou DEME, Juge;
Vu les articles 13 et 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA;
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure qu’en exécution de l’Arrêt n°02 rendu le 14 janvier 2010 par la Cour d’appel de Bangui, le Collectif des ex-employés de l’ASECNA (Article 2) a fait procéder à une saisie-attribution des créances de cette dernière entre les mains d’Ecobank et de la Commercial Bank Centrafrique, pour obtenir paiement de la somme de 216.490.175 francs CFA; que par Ordonnance n°19 en date du 18 janvier 2012, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bangui a rejeté la demande de mainlevée de la saisie présentée par l’ASECNA; que par l’Arrêt objet du pourvoi, la Cour d’appel de Bangui a confirmé cette ordonnance en toutes ses dispositions;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation et la mauvaise application de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution
Vu l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu qu’il est reproché à la Cour d’appel d’avoir déclaré les dispositions de ce texte inopérantes aux motifs que l’ASECNA a plaidé sa cause devant les juridictions centrafricaines et qu’elle ne serait plus fondée à se prévaloir de son immunité qu’elle n’invoque que dans la phase d’exécution, alors que le juge saisi de l’application de l’article 30 doit se borner à vérifier que la partie qui s’en prévaut bénéficie de l’immunité d’exécution en vertu d’une disposition de la loi nationale ou d’une convention internationale, et qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a ajouté au texte une condition supplémentaire que le législateur communautaire n’a pas prévue;
Attendu qu’aux termes de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, « l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution »;
Attendu que pour déclarer ces dispositions « inopérantes », le juge d’appel a retenu en substance que l’ASECNA a tacitement renoncé au bénéfice de son immunité d’exécution en comparaissant devant les Tribunaux centrafricains et assuré sa défense sans se prévaloir de son immunité de juridiction, lors de la procédure judiciaire préalable à l’exécution;
Mais attendu qu’il résulte de l’article 5 de l’Accord d’établissement passé le 9 juin 2004 entre l’ASECNA et la République Centrafricaine que :
« 1) L’Agence, ses biens et avoirs jouissent de l’immunité de juridiction sauf dans la mesure où l’Agence y aurait renoncé expressément;
2) Les biens et avoirs de l’Agence sont exempts de perquisition, confiscation, réquisition et d’expropriation et de toute forme de contrainte…. »;
Attendu que ces dispositions confèrent sans équivoque ni restriction à l’ASECNA une double immunité : de juridiction lui permettant de se soustraire à la compétence d'un Tribunal centrafricain, et d’exécution qui empêche toute mesure d'exécution forcée sur ses biens;
Attendu qu’aucune renonciation expresse à son immunité de juridiction n’est invoquée contre l’ASECNA; qu’au surplus, le consentement à l'exercice de la juridiction par les Tribunaux centrafricains n'implique pas le consentement à l'exécution forcée, qui nécessite un consentement exprès distinct;
Attendu qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel a méconnu le texte visé au moyen;
Qu’il échet de casser l’arrêt et d’évoquer;
Sur l’évocation
Attendu que par requête reçue au greffe de la Cour d'appel de Bangui le 25 janvier 2012, l’ASECNA a relevé appel de l’Ordonnance n°19 rendue le 18 janvier 2012 par le Juge des référés du Tribunal de première instance de Bangui, dont le dispositif est le suivant :
« Statuant contradictoirement à l’égard des parties en matière de référé et en premier ressort;
Au principal,
Renvoie les parties et la cause à mieux se pourvoir ainsi qu’elles aviseront;
Mais d’ores et déjà,
Vu l’urgence,
Rejette la demande de l’ASECNA Article 2 comme mal fondée;
Ordonne l’exécution sur minute de cette décision nonobstant toutes voies de recours;
Met les dépens à la charge de l’ASECNA Article 2 »;
Attendu qu’il échet de déclarer cet appel recevable en la forme;
AU FOND :
Attendu que l’ASECNA poursuit l’annulation de la saisie-attribution de créances pratiquée contre elle par certains de ses ex-employés, suivant exploit du 05 janvier 2012, en exécution de l’Arrêt n°02 rendu le 14 janvier 2010 par la Cour d’appel de Bangui; qu’elle invoque le bénéfice des dispositions de l’article 5 de l’Accord d’établissement du 9 juin 2004, par lequel la République Centrafricaine lui a conféré l’immunité d’exécution, et celles de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, qui proscrivent toute exécution forcée contre les personnes bénéficiant d’une telle immunité;
Attendu que le Collectif des ex-employés de l’ASECNA Article 2 s’oppose à cette prétention, au motif que l’ASECNA qui a comparu devant les juridictions centrafricaines et assuré sa défense sans invoquer le bénéfice de son immunité de juridiction, ne peut se prévaloir de son immunité d’exécution uniquement dans la phase d’exécution;
Mais attendu que pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit à la cassation, il y a lieu de faire droit à la requête et d’ordonner la mainlevée de la saisie;
Attendu que le Collectif des ex-employés de l’ASECNA Article 2 qui a succombé doit être condamné aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré;
Casse l’Arrêt n°030 rendu le 21 février 2012 par la Cour d’appel de Bangui;
Évoquant et statuant sur le fond,
Annule l’Ordonnance n°19 rendue le 18 janvier 2012 par le Juge des référés du Tribunal de première instance de Bangui;
Ordonne la mainlevée de la saisie-attribution de créances pratiquée le 05 janvier 2012 contre l’ASECNA Article 2;
Condamne le Collectif des ex-employés de l’ASECNA Article 2 aux entiers dépens;
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
Le Président
Le Greffier en chef
Pour expédition copie conforme établie en six pages par Nous, Maître Paul LENDONGO, Greffier en chef de ladite Cour
Fait à Libreville, le 11 novembre 2014
Paul LENDONGO