J-02-02
VOIES D’EXECUTION – DISPOSITIONS GENERALES – DELAI DE GRACE – ARTICLE 39 AUPSRVE – ARTICLE 16 D’UN PROJET DE LOI MALIEN – ARTICLE 10 DU TRAITE – CONTRARIETE ET INCOMPATIBILITE DES DEUX TEXTES – SUPERIORITE DE L’ARTICLE 39 AUPSRVE.
L’article 16 du projet de loi malien selon lequel « lors d’une procédure d’exécution pour un financement à l’habitat, le débiteur ne peut prétendre à un délai de grâce s’il n’a respecté régulièrement les échéances pour s’être acquitté d’au moins la moitié de la créance en capital et s’il accuse un retard de plus de trois échéances à la date de la demande » prévoit des conditions supplémentaires et plus lourdes que l’article 39 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution; de ce fait, il restreint les droits du débiteur et les pouvoirs du juge tels que prévus par ce texte. Il s’ensuit que le projet de loi malien, en édifiant des conditions nouvelles, impératives et restrictives, contrevient à l’article 10 du Traité OHADA affirmant la force obligatoire des Actes uniformes sur les dispositions de droit interne des Etats parties et aux articles 336 et 337 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution excluant toute possibilité de dérogation aux matières concernées par cet Acte.
Article 10 TRAITE OHADA
Article 39 AUPSRVE
(CCJA, Avis n° 2/99/EP du 13 octobre 1999, Recueil de jurisprudence CCJA, n° spécial, janvier 2003, p. 71)
AVIS N° 002/99/EP
(Demande d’Avis 002/99 République du MALI)
Séance du 13 octobre 1999
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, réunie en formation plénière à son siège le 13 octobre 1999.
Vu le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, notamment en ses articles 10 et 14
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), notamment en ses articles 9, 53, 54, 55 et 58
Vu la demande d’Avis Consultatif de la République du MALI en date du 22 mai 1999 enregistrée au Greffe de la Cour le 29 mai 1999 et ainsi libellée
« J’ai l’honneur de vous saisir en vertu des articles 14 alinéas 1 et 2 du Traité du 17 octobre 1993, et 53 du Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, en vue d’obtenir votre avis consultatif sur la question qui suit :
Exposé des faits
1°) L’article 39 de l’Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution dispose
« Le débiteur ne peut forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d’une dette, même divisible.
Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d’aliment et les dettes cambiaires, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite d’une année. Elle peut également décider que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
Elle peut en outre subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur, d’actes
propres à faciliter ou garantir le paiement de la dette ».
2°) Un projet de loi sur l’habitat est en préparation et ce projet prévoit dans son article 16 que « lors d’une procédure d’exécution pour un financement à l’habitat, le débiteur ne peut prétendre à un délai de grâce s’il n’a régulièrement respecté les échéances pour s’être acquitté d’au moins la moitié de la créance en capital, et s’il accuse un retard de plus de trois échéances à la date de la demande ».
Discussion
1°) Une opinion soutient que le projet de loi en son article 16 est contraire à l’article 39 sus visé dans la mesure où il alourdit les conditions d’octroi du délai de grâce prévues par ce dernier texte. On pense que le projet en instituant des conditions supplémentaires pour l’obtention du délai de grâce restreint les droits du débiteur et diminue les pouvoirs du juge tels que prévus par l’Acte Uniforme.
Ce en quoi il leur parait incompatible, sinon contradictoire, avec l'Acte Uniforme.
2°) Une opinion contraire estime que le projet ne viole pas l’Acte Uniforme pour les raisons qui suivent
– le projet de loi a une portée spécifique car ayant un objet spécial.
Il a donc un domaine restreint.
– le projet ne modifie pas l’article 39; il insère simplement sa mise en oeuvre dans des conditions particulières, propres à son objet.
Objet de l’avis consultatif
Est-ce que l’article 16 du projet de loi en préparation est compatible ou non avec l’article 39 de l’Acte Uniforme déjà mentionné ?
Est-ce que cet article du projet peut être maintenu sans aller à l’encontre de l’Acte Uniforme ? »
Vu les observations de la République du BENIN du 18 août 1999 enregistrées au greffe de la Cour le 14 septembre 1999.
Sur le rapport de Monsieur Jacques M’BOSSO, Premier Vice-président,
EMET L’AVIS CI-APRES :
Sur la première question
L’article 10 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique ayant affirmé la force obligatoire des Actes uniformes et leur supériorité sur les dispositions de droit interne des Etats parties et les articles 336 et 337 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des Voies d’exécution ayant exclu toute possibilité de dérogation audit Acte uniforme dans les matières qu’il concerne, il s’ensuit que l’article 16 du projet de loi malien qui déroge à l’article 39 de l’Acte uniforme en ce qu’il édicte des conditions nouvelles, impératives et restrictives pour le bénéfice par le débiteur du délai de grâce, est contraire et incompatible avec l’article 39 précité.
Sur la seconde question
Eu égard a la réponse ci-dessus donnée a la première question, l'article 16 ne peut être maintenue sans aller à l’encontre de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
Le présent Avis a été émis par la CCJA de l'OHADA en sa séance du 13 octobre 1999 à laquelle étaient présents
MM. Seydou BA, Président
Jacques M’BOSSO, Premier Vice-Président
Joao Aurigemma CRUZ PIN TO, Juge
Doumsinrimbaye BAHDJE, Juge
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Boubacar DICKO, Juge
Pascal Edouard NGANGA, Greffier en Chef
Fait à Abidjan, le 13 octobre 1999
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur
L’avis de la CCJA nous paraît irréprochable. Les dispositions de l’article 39 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution sont claires : elles n’autorisent pas de délai de grâce supérieur à un an et ne subordonnent l’octroi de ce délai à aucune condition restrictive s’imposant au juge à qui il est simplement demandé de tenir compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier, tout en lui permettant de subordonner ce délai à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou garantir le paiement.
L’article 16 du projet de loi malien interdisant au débiteur de prétendre à un délai de grâce s’il ne s’est pas déjà acquitté de la moitié du capital au moins et s’il accuse un retard de plus de trois échéances au moment de sa demande, contrevient à l’article 39 de l’Acte uniforme et doit donc être neutralisé.
Il n’en demeure pas moins que la portée générale de l’article 39 est gênante pour mener une politique sociale et économique souple (délai de grâce plus long en matière de consommation) ou plus sévère (pour préserver les intérêts des établissements de crédit releant de l’économie sociale, comme en l’espèce). La seule solution serait d’apporter à l’article 39 des dispositions qui conviennent à ces objectifs, de façon étroitement concertée entre les Etats parties, par le biais d’une modification de ce texte.
Voir également les observations de Pascal AGBOYIBOR, Avocat, in RDAI/IBLJ n° 8, 1999, p. 924.