J-02-146
voies d’exécution – saisie pratiquée antérieurement à l’entrée en vigueur de l’acte uniforme – application de l’acte OHADA (non) – application du code de procédure civile (oui).
voies d’exécution – saisie arrêt – désignation d’un séquestre – forme – voie de référé (oui) – exclusion de la voie gracieuse – inobservation – violation de la loi.
séquestre – qualité – comptable du trésor – inobservation – désignation illégale – rétractation de l’ordonnance de désignation (oui).
L’article 166 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution ne peut valablement servir de fondement à une saisie arrêt pratiquée avant l’entrée en vigueur du traité.
Seules les dispositions du Code de procédure civile en vigueur au moment de la saisie peuvent servir de fondement à la désignation d’un séquestre qui, aux termes des dispositions en vigueur, ne peut être qu’un comptable du Trésor, désigné par voie de référé.
En procédant autrement, la désignation a été illégale, et c’est à bon droit que le juge des référés a ordonné la rétractation de l’ordonnance ayant désigné un séquestre.
(Cour d’appel d’Abidjan, arrêt n° 1163 du 19 décembre 2000, Société ELF OIL Côte d’Ivoire c/ COTRACOM., Bulletin Juris Ohada, n° 3/2002, juillet-septembre 2002, p. 51, note anonyme).
LA COUR,
Vu les pièces du procès;
Ouï les parties en leurs conclusions;
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
Par acte d'huissier en date du 31 août 2000, la société ELF OIL Côte d'Ivoire, agissant par son Directeur général et ayant pour conseil la SCPA KANGA-OLAYE et Associés, Avocats à la Cour, a relevé appel de l'ordonnance de référé n° 795 du 28/02/2000 rendue par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, dont le dispositif est ainsi libellé :
– Déclarons la Société Cotracom recevable et bien fondée en son action;
– Disons que l'ordonnance n° 4849 du 27 octobre 1999 ayant désigné la SCPA KANGA-OLAYE et Associés en qualité de séquestre est injustifiée voire illégale.
En conséquence :
– Rétractons ladite ordonnance;
– Condamnons la société ELF OIL aux entiers dépens.
La Société ELF OIL COTE D'IVOIRE, à l'appui de son appel, expose que par arrêt N°683 rendu le 17 juin 1983, la Cour d'Appel d'Abidjan, sur réformation du jugement n°2700 rendu le 02/07/1982 par le Tribunal de Première Instance d'Abidjan, condamnait la Société CETRAC à payer à la Société BP COTE D'IVOIRE la somme de 62.323.617 F;
Que la Société Cotracom, qui appartient également à L.A., obtenait, par arrêt n° 791 du 14 avril 1995, condamnation de la Société BP-CI à lui payer la somme de 201.960.000 F;
Que c'est vainement que la Société BP-CI essayera d'obtenir l'exécution de la décision condamnant la CETRAC, les actes d'existence juridique de la CETRAC n'ayant jamais pu être retrouvés au Greffe du Tribunal d'Abidjan, malgré les recherches;
Que pour parvenir à l'exécution de la décision de condamnation rendue à son profit, la Société Cotracom fera pratiquer des saisies sur les biens meubles de ELF OIL, le 23 avril 1998, entre les mains de différentes banques;
Que pour sa part, ELF OIL, par exploit du 9 juillet 1998 et en vertu de l'arrêt n° 683, fit pratiquer entre ses propres mains et entre celles de diverses banques, saisie-arrêt au préjudice des sociétés CETRAC et COTRACOM et L.A., suivie d'assignation en condamnation et en validation;
Que contre toute attente, la Société COTRACOM, agissant par Monsieur L.A., obtenait, par ordonnance n° 5633 rendue le 18 décembre 1998, la mainlevée de la saisie-arrêt du 9 juillet 1998; que par arrêt n° 243 du 23/02/1999, la Cour d'Appel infirmait cette ordonnance et, statuant à nouveau, déclarait la juridiction des référés incompétente; que le pourvoi en cassation de la COTRACOM est encore pendant devant la Cour Suprême;
Que sur la base de l'ordonnance n° 5633 du 18/12/1998, la Société Cotracom a pu obtenir de la juridiction des référés du Tribunal d'Abidjan, la condamnation de la BICICI (tiers saisi) sous astreinte comminatoire de 5.000.000 F à exécuter ladite décision; que la Cour d'Appel déclarait la BICICI mal fondée en son appel et confirmait la condamnation à l'astreinte, alors même que l'ordonnance de référé n° 5633 du 18/12/1999 sur laquelle est fondée la condamnation à l'astreinte a été infirmée;
Que le 11 août 1998, Maître MONDON KONAN Julien, Avocat à la Cour, a fait pratiquer saisie-arrêt entre les mains de l'exposante, au préjudice de la COTRACOM;
Que les parties sont dans la situation de l'article 166 du Traité OHADA (sic) relatif aux procédures de recouvrement et des voies d'exécution; que la BICICI, devant les différentes saisies et sa propre condamnation à payer à COTRACOM sous astreinte, est en difficulté;
Qu'il convient de la décharger en désignant un séquestre à charge de recevoir et conserver la créance litigieuse, jusqu'à la fin du litige des parties et la remettre à qui elle appartiendra, par la décision des juridictions; que c'est dans ces circonstances que sur requête de ELF OIL, la juridiction présidentielle du Tribunal d'Abidjan a, par l'ordonnance n° 4849 du 27 octobre 1999, désigné la SCPA KANGA-OLAYE et Associés en qualité de séquestre, ordonnance qui a été rétractée par la décision objet du présent appel;
La Société ELF OIL fait grief au juge des référés de s'être contenté d'affirmer que la désignation de la SCPA KANGA OLAYE et Associés comme séquestre est entachée d'illégalité en ce qu'elle n'est pas conforme à l'esprit de l’article 1956 du code civil et de l'article 166 du Traité OHADA (sic);
Qu'il n'appartient pas au juge de distinguer là où la loi ne distingue pas;
Qu'en effet, l'article 166 du traité OHADA (sic), qui a vocation à régir le présent litige, ne fait aucune interdiction ni aucune distinction quant à la désignation du séquestre; qu'en outre, la désignation de la SCPA KANGA OLAYE et Associes ne cause aucun préjudice à COTRACOM, qui aura toute latitude de récupérer les sommes ainsi gardées, si à l'issue des différents procès, les juridictions ordonnaient la restitution des fonds à la Société COTRACOM;
La Société ELF OIL conclut en conséquence à l'infirmation de l'ordonnance N° 795 du 28/02/2000;
La Société COTRACOM soulève in limine litis l'irrecevabilité de l'appel de la Société ELF OIL COTE D'IVOIRE et plaide subsidiairement au fond la confirmation de l'ordonnance querellée;
Sur l'irrecevabilité de l'appel, la Société COTRACOM affirme qu'aux termes de l'article 228 alinéa 2 du code de procédure civile, le délai d'ajournement est de 8 jours au moins et 15 jours au plus. Or en l'espèce, entre la date de signification de l'acte d'appel le 31/08/2000 et la date d'audience fixée au 08 septembre 2000, il s'est écoulé seulement 6 jours francs, en violation des dispositions de l'article 228 précité qui sont d'ordre public;
Sur le second point, la Société fait observer, d'une part, s'agissant de la saisie du 09 juillet 1998 de la Société ELF OIL, que l'article 166 du Traité OHADA (sic) relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution est inapplicable, car il n'est entré en vigueur que le 11 juillet 1998, en application des dispositions des articles 9, 337 et 338 du Traité OHADA (sic); qu'en conséquence, seules les dispositions du code de procédure civile pouvaient servir de fondement à la requête de ELF OIL;
Que les dispositions de l'article 304 alinéa 2 de ce code pour la désignation d'un séquestre ne sont pas réunies;
Qu'en effet, d'une part, la Société ELF, qui est débitrice, n'est pars tiers saisi, de sorte qu'elle ne pouvait obtenir la désignation d'un séquestre que par voie de référé et non par voie gracieuse, d'autre part, seul un comptable du Trésor pouvait être désigné en qualité de séquestre. Aussi, la désignation de la SCPA KANGA OLAYE et Associés, conseil de ELF OIL, le débiteur saisi, comme séquestre est donc tout à fait illégale;
La Société COTRACOM fait remarquer, d'autre part, qu'elle est un tiers au litige qui oppose ELF OIL à la CETRAC; qu'en poursuivant l'exécution de l'arrêt 683 du 17 juin 1983 (?) condamnant la CETRAC par la saisie et la vente de biens appartenant à un tiers, ELF OIL a causé un préjudice; qu'elle a été condamnée par arrêt n° 751 du 14 mai 1995 de la Cour d'Appel, à payer la somme de 201.960.000 F;
Que c'est à tort que ELF, se fondant sur une décision condamnant la CETRAC, a fait pratiquer le 09 juillet 1998, une saisie des sommes de la COTRACOM, en prétendant que CETRAC et COTRACOM constituent une même entité, alors surtout qu'il a été définitivement jugé par arrêt n° 549 du 31 mai 1985 (?), que ELF n'a pas rapporté la preuve de la fusion des deux sociétés; qu'en se fondant sur la saisie du 09 juillet 1998 pour solliciter la désignation d'un séquestre, ELF OIL agit de mauvaise foi;
La Société COTRACOM relève, enfin, que si l'ordonnance n° 5633 du 18/12/1998 prononçant la mainlevée de la saisie du 09/07/1998 a été infirmée par arrêt n° 243 du 23/02/1999 de la Cour d'Appel d'Abidjan, cet arrêt, à la suite du pourvoi de la COTRACOM, a été suspendu par la Cour Suprême; que cette décision de la Cour Suprême a pour effet de remettre la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant la saisine de la Cour d'Appel; que la suspension de l'arrêt n° 243 du 23 février 1999 a eu pour effet de restituer à l'ordonnance n° 5633 son plein et entier effet; que dès lors, la saisie pratiquée le 09 juillet 1998 doit être considérée comme levée;
Que la Société ELF OIL ne pouvait donc pas se prévaloir de cette saisie pour solliciter la désignation d'un séquestre;
La COTRACOM conclut en conséquence de tout ce qui précède, à la confirmation de l'ordonnance n° 795 ayant rétracté l'ordonnance désignant un séquestre.
DES MOTIFS
Sur la recevabilité de l'appel
La Société COTRACOM soulève l'irrecevabilité de l'appel de la Société ELF OIL Côte-d'Ivoire, au motif que le délai d'ajournement prévu par l'article 228 alinéa 2 du code de procédure civile n'aurait pas été respecté et que cette disposition est d'ordre public;
Contrairement à l'opinion de la société COTRACOM, le délai d'ajournement édicté par l'article 228 alinéa 2 a été organisé dans l'intérêt des parties, en sorte que l'une des parties au procès ne peut valablement soulever le non-respect de ce texte que si elle établit que sa violation lui a porté préjudice;
La comparution et le dépôt de conclusions par l'intimée prouvent l'absence de préjudice, préjudice que la COTRACOM ne soutient pas avoir subi;
Il convient d'indiquer qu'aucune disposition légale n'a prévu de sanction pour violation du délai d'ajournement. Ce délai d'ajournement n'est donc pas d'ordre public;
La COTRACOM, n'ayant pas pu établir son préjudice subi du fait du non-respect du délai d'ajournement, c'est à tort que l'intimé soulève l'irrecevabilité de l'appel pour non-respect de l'article 228 alinéa 2 du code de procédure civile;
En conséquence, l'appel doit être déclaré recevable.
AU FOND
La Société ELF OIL reproche au premier juge d'avoir distingué là où la loi ne distingue pas;
Mais il y a lieu de s'interroger sur l'applicabilité de l'article 166 du Traité OHADA (sic) à la date du 09 juillet 1998, jour de la saisie pratiquée par ELF OIL;
Au regard de l'article 337 du Traité OHADA (sic) relatif aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, le Traité OHADA (sic) s'applique uniquement aux mesures conservatoires, mesures d'exécution forcée et aux procédures de recouvrement engagées après son entrée en vigueur;
Or il résulte de l'article 9 dudit Traité que l'Acte uniforme entre en vigueur seulement 90 jours après son adoption; cette adoption étant intervenue le 10 avri11998, l'Acte uniforme n'est entré en vigueur que le 11 juillet 1998, soit après la saisie du 09 juillet 1998. C'est dire qu'à cette date, le Traité OHADA (sic) n'était pas encore entré en vigueur;
Il s'ensuit que l'article 166 du Traité OHADA (sic) ne pouvait pas valablement servir de fondement à la requête de la Société ELF OIL, et concernant une saisie-arrêt pratiquée avant l'entrée en vigueur de ce Traité (sic);
Seules les dispositions du code de procédure civile en vigueur au moment de saisie pouvaient servir de fondement à la requête de ELF OIL tendant à la désignation d'un séquestre;
Or il ressort de l'article 304 alinéa 2 du code de procédure civile, que la saisie ne peut obtenir la désignation d'un séquestre que par voie de référé et non par la voie gracieuse, réservée au tiers saisi.
En l'espèce, la SCPA KANGA-OLAYE a été désignée séquestre par la voie gracieuse, et donc en violation de l'article 304 alinéa 2;
En outre, en application de l'article précité, seul un comptable du Trésor pouvait être désigné en qualité de séquestre. En conséquence, la désignation de la SCPA KANGA-OLAYE et Associés, conseil par ailleurs de ELF OIL, le débiteur saisi, est tout à fait illégale;
Dès lors, c'est à bon droit que le juge des référés a ordonné la rétractation de l'ordonnance n° 4849 du 7 octobre 1999;
Par ailleurs, par arrêt du 7 octobre 1999, la chambre judiciaire de la Cour Suprême ordonnait la suspension de l'exécution de l'arrêt N° 243 du 23 février 1999 de la Cour d'Appel infirmant l'ordonnance n° 5633 du 18 décembre 1998, pratiquée par la Société EL OIL entre les mains de la BICICI, au préjudice de COTRACOM;
La suspension ainsi prononcée par la Cour Suprême a pour effet de remettre la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant la saisine de la Cour d'Appel. Elle a donc eu pour effet de restituer à l'ordonnance n° 5633 son plein et entier effet;
En conséquence, la saisie pratiquée par ELF OIL le 09 juillet 1998 doit être considérée comme levée;
ELF OIL ne pouvait donc pas se prévaloir de cette saisie pour solliciter la désignation d'un séquestre;
Il se déduit de tout ce qui précède, que c'est de manière illégale et irrégulière que ELF OIL a sollicité la désignation d'un séquestre;
En rétractant l'ordonnance n° 4849 du 27 octobre 1999, le juge des référés du Tribunal de Première Instance d'Abidjan a fait une saine application de la loi;
Il y a lieu en conséquence, par substitution de motifs, de confirmer l'ordonnance n° 79 du 28 février 2000 en toutes ses dispositions;
L'appelant succombant à l'instance, il convient de le condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort :
– Déclare l'appel recevable mais mal fondé;
– Confirme, par substitution de motifs, l'ordonnance n° 795 du 28 février 2000 en toutes ses dispositions;
Président. M AGNINI Youssouf.
Note anonyme
L'arrêt publié ci-dessus est intéressant à plus d'un titre.
D'abord, les parties en présence se sont retrouvées devant la CCJA, à l'audience du 18 avril 2002 (cf. Supra) à la suite d'une procédure de saisie attribution de créance pratiquée par Elf Oil Côte d'Ivoire le 24 janvier 2001.
Ensuite, la décision de la Cour d'appel est conforme à la jurisprudence de la CCJA, en ce qui concerne l'applicabilité des Actes Uniformes dans les Etats parties. En effet, selon la haute juridiction, les Actes ne deviennent exécutoires qu'après leur entrée en vigueur, c'est-à-dire à partir du moment où ils font partie de l'ordonnancement juridique de l'Etat partie.
Le mérite de la Cour d'appel est d'avoir affirmé cette règle avant la CCJA (cf. Juris OHADA N° 1/2002 p. 8 et 11; N° 2/2002 p. 14).
L'Acte Uniforme portant voies d'exécution étant entré en vigueur seulement le 11 juillet 1998, il ne pouvait pas valablement servir de fondement à une saisie pratiquée le 9 juillet 1998, pour n'avoir pas encore intégré l'ordonnancement juridique de l'Etat partie. Dès lors, seules les dispositions du Code de procédure civile ivoirien pouvaient servir de fondement à la saisie.
Enfin, la Cour rappelle les conditions et la forme de désignation d'un séquestre, en application de l'article 304 al.2 c. pr. civ.
NDRS Regrettons, cependant, la confusion permanente entre le Traité et l’Acte uniforme relatif aux procédures de recouvrement et aux voies d’exécution.