J-02-29
TRAITE OHADA – CONFORMITE DE CERTAINES DISPOSITIONS DU TRAITE A L'ACTE FONDAMENTAL DU 24 OCTOBRE 1997 (OUI) – CONFORMITE DE CERTAINES DISPOSITIONS DU TRAITE A L'ACTE FONDAMENTAL DU 24 OCTOBRE 1997 (NON).
Les dispositions des articles 14, alinéas 3, 4 et 5, 15, 16, 18, 20, 25, alinéa 2 du Traité OHADA ne sont pas conformes à l'Acte fondamental du 24 octobre 1997, notamment en ses articles 71 et 72.
(Cour suprême du Congo, avis du 1er septembre 1998).
COUR SUPRÊME DU CONGO.
AVIS N°037/CS/98 DU 1er octobre 1998
LA COUR SUPRÊME
Saisi pour avis par lettre N°413/MJ-CAB du 1er septembre 1998 de Monsieur le ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA).
Réunie le 1er octobre 1997 en Assemblée Générale consultative pour en délibérer.
Vu l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997,
Vu la Loi N°025-92 du 20 août 1992 portant organisation et fonctionnement de la Cour Suprême, modifiée par la Loi N°30-94 du 18 octobre 1994,
I- SUR LA COMPETENCE DE LA COUR SUPRÊME
Considérant que la Cour Suprême a été saisi par la lettre N°413/MJ-CAB du 1er septembre 1998 d'une demande d'avis émanant de Monsieur le Ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice,
Considérant que la lettre de saisine est libellée comme suit :
« A Monsieur le Président de la Cour Suprême,...
Le 17 octobre 1993, la République du Congo, représentée par le Président de la République signait le Traité relatif à l'harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA),
Le 26 mars 1997, l'Assemblée Nationale adoptait sans amendement le projet de loi autorisant la ratification dudit Traité,
Par lettre en date du 8 juin 1998, le Ministre de la Justice a transmis au Secrétariat Général du Gouvernement l'ensemble du dossier ci-joint en vue de la promulgation, puis de la publication du traité susvisé,
Ce dossier, malheureusement, ne contient, ni procès-verbal d'adoption de la loi autorisant la ratification dudit traité par le Sénat, ni la loi de ratification telle qu'adoptée par les deux chambres du Parlement d'alors, et ce en raison des disparitions de documents enregistrées dans les archives du Parlement à la suite de la guerre civile de juin-octobre 1997,
C'est ainsi que le 25 juin 1998, le Secrétariat Général du Gouvernement nous demandais de reconstituer un dossier complet et de reprendre la procédure habituelle d'adoption des textes législatifs.
Or, cette dernière démarche, bien que normale en soi, reviendrait à demander aux représentants du même peuple de se prononcer deux fois sue un même texte "Non Bis idem",
Je pense que la mission du Conseil National de Transition pourrait consister en un simple constat,
Pour votre gouverne, je vous informe que le Congo est le seul pays signataire du traité de l'OHADA qui n'a pas encore déposé les instruments de ratification et qui de ce fait ne peu appliquer le nouveau droit des affaires qui est rentré en vigueur dans les pays de la zone franc depuis le 1er janvier 1998,
Aussi ai-je l'honneur de vous demander de me fournir, eu égard à l'urgence, un avis de la Cour Suprême sur ce projet de loi de ratification,
Une prompt réponse de votre part m'obligerait... "
Considérant que cette demande d'avis émanant du Ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, est régulière en vertu des dispositions des articles 6 nouveau alinéa 1er de la loi N°025-92 du 20 août 1992 susvisée, 66 et 73 de l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997 et la Cour suprême compétente pour en délibérer,
AU FOND :
Considérant qu'il convient avant d'opiner sur la conformité ou la non-conformité du Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA), de se prononcer ainsi qu'il suit sur l'obligation de saisir à nouveau l'organe législatif de la Nation,
A- DE LA SAISINE DU CONSEIL NATIONAL DE TRANSITION
Considérant qu" il résulte des indications de Monsieur le Ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice telles que contenues dans la lettre N°413/MJ-CAB du 1er septembre 1998 sus-énoncée et des pièces qui l'accompagnent (cf. procès-verbal d'adoption du projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'harmonisation du Droit des Affaires en Afrique dans la zone Franc (OHADA) du 26 mars 1997, Rapport du Sénat relatif à l'harmonisation du Droit Régional des affaires dans la zone Franc que le gouvernement de l'époque avait effectivement initié courant 1997 et soumis pour adoption au Parlement, un projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'harmonisation du Droit des Affaires en Afrique;
Considérant que courant1997, la République du Congo était régie par la constitution du 15 mars 1992;
Considérant que sous l'empire de la susdite constitution du 15 mars 1992, le parlement, organe législatif de la nation était composé de deux chambres :
l'Assemblée Nationale,
et le Sénat. (cf. article 93); :
Que l'article 116 de ladite constitution du 15 mars 1992 disposait que :
« tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux chambres en vue de l'adoption d'un texte identique ».
Considérant que dans ces conditions, tout projet ou proposition de loi n'était réputé adopté que lorsqu'il avait délibéré et votés en termes identiques par l'une et l'autre chambre du parlement.
Or considérant que s'il est joint au dossier de demande d'avis un procès-verbal en date du 26 mars 1997 authentifié par la signature du Président de l'Assemblée Nationale de l'époque et du premier Secrétaire de ladite Assemblée certifiant qu'un projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'harmonisation du droit régional des affaires dans la zone franc (OHADA) avait été adopté sans amendement par 54 voix pour, 0 voix contre et 0 abstention, en revanche, la preuve n'est pas faite que le même projet de texte avait été adopté en termes identiques par l'autre chambres, qu'en effet, le seul document attestant que le sénat avait été saisi de ce projet de texte est une pièce intitulée : " Rapport relatif au projet de loi relatif à l'harmonisation du droit régional des affaires dans la zone franc, affaire 75 »;
Considérant qu'il résulte de ce document uniquement la preuve que le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'harmonisation du droit régional des affaires dans la zone franc avait été examiné et adopté par la commission diplomatique défense et sécurité du Sénat laquelle dans son rapport (cf. dernier paragraphe) avait demandé à la plénière d'en faire autant : " convaincu de l'intérêt que revêt le traité qui apparaît comme une balise dans le domaine du droit des affaires en Afrique, la commission l'a adopté à l'unanimité et sans amendement, et demande à la plénière d'en faire autant »;
Considérant qu'il y a lieu, en l'absence de toute preuve contraire de considérer que la discussion en séance plénière du Sénat n'avait pas eu lieu et que dans ces conditions, le projet de texte examiné par la commission n'avait pu régulièrement être adopté;
Considérant enfin que lorsqu'une loi a été adopté en termes identiques par les deux chambres du parlement, les deux secrétaires généraux transmettent au secrétariat général du gouvernement par une lettre co-signée, le texte à promulguer qui doit être la reproduction exacte de la loi votée par les deux chambres;
Considérant qu'une telle transmission n'a pas été faite de sorte qu'il y a lieu de considérer que cette loi n'a jamais été votée;
Que c'est donc à bon droit que le Gouvernement de la République a initié le présent projet de loi qu'il soumet pour adoption au Conseil National de Transition, lequel délibère sans à priori;
B- SUR LA CONFORMITE OU LA NON-CONFORMITE DU TRAITE RELATIF A L'HARMONISATION DU DROIT DES AFFAIRES EN AFRIQUE A L'ACTE FONDAMENTAL DU 24 OCTOBRE 1997
Considérant que selon l'article 73 de l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997, " Pendant la période de transition, la Cour Suprême assure le contrôle de la conformité des lois, traités et accords internationaux à l'Acte Fondamental »;
Considérant que l'examen du Traité relatif à l'harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) appelle les observations suivantes :
1°) En la Forme,
Considérant que 14 chefs d'Etat ayant en commun l'usage du français dont le Président de la République du Congo ont signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Maurice) le Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA);
Que pour la République du Congo, le traité a été signé par le Président de la République;
Considérant que la signature du traité par le Président de la République est régulière et conforme aux disposition de l'Acte fondamental du 24 octobre 1997 qui, en cette matière a repris textuellement les dispositions de l'article 172 de la Constitution du 15 mars 1992 sous l'empire de laquelle le traité en examen avait été signé;
2°) Au fond,
Considérant que le traité relatif à l'harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) tel que signé par les chefs d'Etat ayant en commun l'usage du français le 17 octobre 1993 à Port-Louis, a pour objet l'harmonisation du Droit des Affaires dans les Etats parties; par l'élaboration et l'adoption des règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économie, par la mise en oeuvre des procédures judiciaires appropriées, et par l'encouragement au recours à l'arbitrage pour le règlement des différents contractuels (articles 1er);
Considérant que l'article 2 du Traité dispose " Pour l'application du présent traité, entrent dans le domaine du droit des affaires, l'ensemble des règles relatives aux droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d'exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l'arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et tout autres matière que le conseil des ministres déciderait, à l'unanimité, d'y inclure conformément à l'objet du présent traité et aux dispositions de l'article 8 ci-après »;
Considérant que l'article 3 énonce que :
« La réalisation des tâches prévues au présent traité est assuré par une organisation dénommée organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) comprenant un conseil des ministres et une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage;
Le conseil des ministres est assisté d'un secrétariat permanent auquel est attachée une Ecole Régionale Supérieure de Magistrature »;
Considérant au titre II du Traité intitulé " Le contentieux relatif à l'interprétation et à l'application des Actes Uniformes »;
L'article 13 prévoit que :
« Le contentieux relatif à l'application des Actes Uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats parties »;
Que l'article 14 précise que :
« La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage assure dans les Etats parties l'interprétation et l'application commune du présent traité, des règlements pris pour son application et des Actes Uniformes.
La Cour peut être consultée par tout Etat partie ou par le conseil des ministres sur toute question entrant dans le champ de l'alinéa précédent. La même faculté de solliciter l'avis consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions nationales saisies en application de l'article 13 ci-dessus.
Saisi par la voie du recours en cassation, la cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d'appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des actes uniformes et des règlements prévus au présent traité à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales.
Elle se prononce dans les même conditions sur les décisions susceptibles d'appel rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes conditions.
En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond. »;
Que l'article 15 dispose textuellement que :
« Les pouvoirs en cassation prévu à l'article 14 ci-dessus sont portés devant la Cour Commune Justice et d'Arbitrage, soit directement par l'une des parties à l'instance, soit sur un renvoi d'une juridiction nationale statuant en cassation saisie d'une affaire soulevant des questions relatives à l'application des Actes Uniformes. »;
Considérant que l'article 16 énonce pour sa part que :
« La saisine de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée. Toutefois, cette règle n'affecte pas les procédures d'exécution.
Une telle procédure ne peut reprendre qu'après arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage se déclarant pour connaître de l'affaire. »;
Considérant que l'article 20 relatif à l'autorité des arrêts rendus par la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage dispose que :
« Les arrêts de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage ont l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats parties une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales. Dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage ne peut faire l'objet d'une exécution forcée sur le territoire d'un Etat partie. »;
Considérant que l'article 25 dispose quant à lui que :
« Les sentences arbitrales rendues conformément aux stipulations du présent titre ont l'autorité définitive de la chose jugée sur le territoire de chaque Etat partie au même titre que les décisions rendues par les juridictions de l'Etat. Elles peuvent faire l'objet d'une exécution forcée en vertu d'une décision d'exéquatur.
La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage a seule compétence pour une telle décision... »;
Considérant que la mise en oeuvre des dispositions des articles 2, 3, 13, 14, 15, 16 et 20 notamment du Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique se traduira en matière de contrôle de la légalité des jugements et des arrêts rendus en dernier ressort par les Cours et Tribunaux nationaux et de cassations des décision entachées d'une violation de la règle de droit, par une substitution pure et simple d'une juridiction supranationale à la juridiction nationale compétente c'est-à-dire à la Cour Suprême;
Considérant en effet qu'en application des dispositions des articles 2, 3, 13, 14, 15, 16 notamment du Traité, les pourvois en cassation dans les affaires mettant en jeu le droit affaires tel que défini à l'article 2 du Traité seront désormais portés devant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (Article 14 alinéa 2 et 4 du Traité);
Or, considérant que selon l'article 71 de l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997, " Le pouvoir judiciaire est confié aux juridiction nationales... »;
Considérant que l'article 71 de l'Acte Fondamental précise pour sa part que, " Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême et les autres juridictions Nationales créées par la loi. La loi fixe l'organisation, la composition et le fonctionnement de la Cour Suprême. »;
Considérant qu'en vertu de ces dispositions, la fonction de juger, qu'elle soit exercée par les juridictions de première instance ou d'appel ou par la Cour Suprême, est une fonction Constitutionnelle en même temps qu'elle est l'expression de la souveraineté et de l'indépendance nationale;
Considérant que s'agissant tout spécialement de la Cour Suprême, sa compétence d'attribution en matière de cassation notamment, procède du même pouvoir de juger et est donc d'essence constitutionnelle. Elle s'exerce sur toutes les matières référées devant elle par l'effet des pourvoirs en cassation formés par les parties du procès et ce, sans aucune exclusion;
Considérant également que par application des dispositions des articles 71 et 12 de l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997, le pouvoir de rendre exécutoire sur le territoire national une décision juridictionnelle rendue par une juridiction étrangère ou une sentence arbitrale appartient aux seules juridictions nationales et procède également de la souveraineté et de l'Indépendance Nationale.
Considérant qu'il en était de même au moment de la signature de traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaire en Afrique par le Président de la République c'est-à-dire, sous l'empire de la constitution du 15 mars 1992;
Considérant que dans ces conditions et au regard des développements ci-dessus, les articles 14 alinéas 3, 4 et 5, 15, 16, 18, 20 et 25 alinéa 2 encourent le grief de ne pas être conformes à l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997 notamment en ses articles 71 et 72 sus-énoncés par le motif qu'ils tendent à ôter à la Cour Suprême notamment, plus haute Juridiction Nationale, une partie de ces compétence naturelles en matière de cassation de même qu'elles tendent à retirer aux juridictions nationales la fonction d'exéquatur.
Considérant par contre que toutes les autres dispositions non citées supra, n'encourent aucun grief de cette nature sauf que pour la mise en oeuvre du Traité, les dispositions incriminées ne sont pas détachables de celles qui ne le sont point ainsi que le précise l'article 54 du Traité : " Aucune réserve n'est admise au présent Traité. »;
Considérant qu'il convenait avant la mise en oeuvre de la procédure constitutionnelle de ratification du Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, que fut d'abord révisé l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997, essentiellement en ses articles 71 et 72;
Considérant cependant qu'il peut être objecté à la Cour Suprême qu'un avis de non-ratification pour cause de non-conformité aboutirait à paralyser durablement la procédure de ratification puisque l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997 ne prévoit pas les mécanismes de sa propre révision;
Considérant que cette objection certes pertinente, ne dispense cependant pas la Cour Suprême de son devoir d'assurer comme il convient sa fonction de Haut Conseil des pouvoir publics;
EMET L'AVIS :
1°) Que la transmission du projet de texte en examen au Conseil National de Transition pour adoption est régulière;
2°) Que les dispositions des articles 14 alinéas 3, 4 et 5, 15, 16, 18, 20, 25 alinéa 2 du Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) encourent le grief de ne pas être conformes à l'Acte Uniforme du 24 octobre 1997 notamment en ses articles 71 et 72;
3°) Que toutes les autres dispositions non citées supra n'encourent aucun grief de cette nature;
4°) Que pour la mise en oeuvre du Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA), les dispositions déclarées conformes à l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997 ne sont pas détachables de celle qui sont incriminées;
Observations de Jean-Ignace MASSAMBA
C'est à une époque où le nouveau droit des affaires OHADA était déjà entré en vigueur dans 14 Etats parmis les 16 signataires depuis le 1er janvier 1998 que le Garde des Sceaux, Ministre d'Etat, Ministre de la Justice, avait par lettre datée du 1er septembre 1998 saisi pour avis la Cour Suprême sur le projet de loi portant ratification du Traité de l'OHADA.
Du fait de la guerre de juin en octobre 1997, le Parlement a accusé la disparition de certains documents dans ses archives. Ce qui fait que le dossier de ratification du Traité OHADA transmis au Secrétariat Général du Gouvernement était incomplet. Ce dossier n'établissait pas l'adoption dans des termes identiques par les deux chambres de l'époque (Assemblée Nationale et Sénat) de la loi portant ratification dudit Traité.
Au vu de ce dossier, le Secrétaire Général du Gouvernement demandait au Garde des Sceaux, Ministre d'Etat, Ministre de la Justice de "reconstituer un dossier complet et de reprendre la procédure habituelle d'adoption des textes législatifs. "
Or, pour la chancellerie, faire droit à cette requête du secrétariat Général du Gouvernement reviendrait à redemander aux représentants "du même peuple de se prononcer deux fois sur un même texte ». Voilà laconiquement les faits de la cause.
Vidant sa saisine, la Cour Suprême après s'être déclarée compétente, trouvait régulière la saisine du Conseil National de Transition. En revanche, sur la constitutionnalité du Traité de l'OHADA, elle estime que
« les dispositions des articles 14 alinéas 3, 4 et 5, 15, 16, 18, 20, 25 alinéa 2 du Traité relatif à l'Harmonisation dû Droit des Affaires en Afrique (OHADA) encourent le grief de ne pas être conformes à l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997 notamment en ses articles 71 et 72 ».
De l'encéphalogramme de cet avis, on retiendra que le Traité de l'OHADA extirpe son imminente inconstitutionnalité de ce qu'il dépouille la Cour Suprême d'un contentieux aussi juteux que celui du droit des affaires. Ce dessaisissement se fait malheureusement au profit d'une juridiction supranationale : la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA).
Le pouvoir de juger, étant d'essence constitutionnelle, donc, procédant de la souveraineté et de l'indépendance, un tel dessaisissement est ipso facto dénué du moindre fondement constitutionnel, argue-t-elle.
Ce raisonnement incline à se demander si le pouvoir de juger qui est l'un des attributs de la souveraineté peut-être confié (partiellement) à une institution supra-nationale ?
Non répond la haute juridiction à la lecture de l'article 71 de l'Acte Fondamental lequel dispose :
« Le pouvoir judiciaire est confié aux juridictions nationales... ».
Et l'article 72 renchérit en ces termes :
« Le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour Suprême et les autres juridictions Nationales ... ».
Sur le fondement cumulé de ces deux articles, la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage ne peut en toute légalité prétendre se prononcer sur les décisions rendues par les juridictions d'appel du Congo dans toutes les affaires `qui soulèvent des questions relatives à l'application du nouveau droit des affaires comme le prévoit l'article 14 du Traité.
Cet argumentaire peut être résumé en ces termes : le Congo fort de son indépendance ne peut accepter qu'une juridiction autre que la sienne ne peut valablement prétendre connaître de son contentieux relatif au droit des affaires.
En d'autres termes, la souveraineté s'oppose formellement à tout dessaisissement, fut-il partiel, des juridictions congolaises.
Un tel raisonnement suscite deux réflexions;
SUR L'IMMINENTE INCONSTITUTIONNALITE DU TRAITE OHADA
Cet avis semble être à bien des égards le fruit d'un attelage douteux sur deux notions au contenu imprécis et fluctuant : la souveraineté et l'indépendance.
D'abord, s'agissant se la souveraineté, l'Etat souverain se définit en termes relatifs, comme celui qui n'est pas placé dans une situation de dépendance juridique et générale à l'égard d'un autre Etat. De toutes les façons il n'existe pas de souveraineté absolue et le Traité OHADA ne vise nullement à placer le Congo sous la tutelle d'un autre Etat moins encore d'un organisme internationale.. Envisagée de façon absolue, la souveraineté conduit à une anarchie au grand dam du droit international. Donc la souveraineté même couplée à l'indépendance ne saurait toujours suffire à expliquer de façon solide et convaincante l'inconstitutionnalité du Traité OHADA dans un monde profondément dominé par le tournant de la mondialisation. Une conception absolue de la souveraineté ne saurait s'accommoder avec la nécessité contemporaine de la recherche des formes d'associations plus ou moins intégrées qui permettent à l'Etat de compenser ses faiblesses, voire d'assurer sa survie, sans que celles-ci le fassent disparaître.
Or, toute oeuvre d'intégration économique, douanière, juridique ou juridique (cas de l'OHADA) suppose forcément un transfert de compétence vers une instance dotée d'un pouvoir de décision et d'une compétence supra-nationale.
Ensuite, il est vrai qu'en instituant la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, le Traité de l'OHADA engendre inéluctablement une atrophie des attributions de la Haute juridiction. Mais, heureusement que ce dessaisissement n'est ni unilatéral, ni total, donc ne modifiant presqu'en rien le statut international du Congo dès qu'il est unanimement admis qu'un Etat ne peut être lié par une volonté autre que la sienne mais se lie lui-même par des traités qu'il passe, car "La faculté de contracter des engagements internationaux est ... un attribut de la souveraineté" écrivait Pierre Marie.
C'est pour cela que les articles 80 et 81 de l'Acte Fondamental reconnaissent au Président de la République la faculté de ratifier les Traités. Donc c'est dire que la souveraineté ne consiste pas seulement à dire non, mais dire aussi oui.
Bien au contraire si la haute juridiction entrevoit d'un oeil certainement averti l'allégeance probable du Congo, celle-ci est volontaire.
Par conséquent on pêchera par un excès de langage si on parlait d'un abandon de souveraineté alors qu'il s'agit en réalité d'une limitation de souveraineté.
D'où la seule interprétation des articles 71 et 72 de l'Acte Fondamental ne peut suffire à justifier avec assurance la thèse de l'imminente inconstitutionnalité du Traité OHADA. La raison est ailleurs.
Quelle que soit l'interprétation qu'on pourra se faire de ces articles, il est évident que lesdits articles n'ont nullement (heureusement) pour objet de proscrire toute participation d'une autre juridiction, fut-elle supra-nationale, à l'oeuvre de justice au Congo.
Ces articles visent exclusivement l'exercice du pouvoir judiciaire dans l'ordre interne.
A partir du moment où cette subtile distinction est intériorisée, il ne reste plus qu'à déduire que les dispositions dus articles 71 et 72 du l'Acte Fondamental d'une part et 14 alinéas 3, 4 et 5, 15, 16, 18, 20, 25 alinéa 2 du Traité OHADA ne sont donc pas antinomiques.
Chose curieuse, la Cour Suprême n'est pas allée au bout de sa logique. Elle s'est uniquement limitée à sanctionner son dessaisissement et non celui du législateur et de l'exécutif qui désormais ne pourront plus comme la Cour Suprême légiférer et réglementer dans tout ce qui touche au droit des affaires sauf à en fixer les sanctions pénales. Oubli volontaire ou question ultra petite? N'est ce pas là l'extériorisation d'un sentiment de conservatisme archaïque quand on sait l'importance du contentieux du droit des affaires?
En somme l'avis a été rendu et quelque soit les critiques qu'il peut souffrir, il restera un avis et devra produire tous ses effets : "Dura tex, sed tex ».
QUE FAIRE ALORS ?
Une seule solution, c'est réviser l'Acte Fondamental pour le rendre conforme au Traité. Hélas l'Acte Fondamental du 24 octobre 1997 ne prévoit pas les modalités de sa révision. Fait volontaire ou imprudence constitutionnelle, seuls les constituants du 24 octobre le savent.
En clair, cela revient à dire que tant que l'Acte Fondamental sera en vigueur, le Traité OHADA ne connaîtra pas d'application car en cas de contentieux, on ne voit pas la haute juridiction se déjuger. Et voilà que l'OHADA se trouve dans un cul-de-sac.
Toutefois on peut avec lucidité entrevoir la sortie heureuse de l'auberge à partir du moment où il est aujourd'hui clairement établi que sous l'empire de la défunte constitution du 15 mars 1992, le Traité OHADA avait bel et bien été ratifié par une loi du 28 mai 1997. Le doute sur la ratification du .traité OHADA n'est plus d'actualité. La ratification établie, son application ne peut plus susciter un débat à partir du moment où le traité lui-même prévoit les modalités de son application.
II revient donc à l'Acte Fondamental, texte postérieur, en application de la régie " pacta sont servanda " de s'y conformer.
Un Etat signataire d'un traité ne peut pas invoquer les dispositions de son droit interne, même constitutionnelles pour refuser de l'appliquer dès lors que l'autorité compétente pour examiner l'engagement de l'État a confirmé la signature de la convention. La Convention de Vienne sur le droit des Traités de 1969 codifie ce principe dans son article 27, lequel dispose : »... une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution du Traité... ».
L'Acte Fondamental, acte postérieur à la ratification du Traité OHADA avait tout intérêt à s'y conformer
On ne le dira jamais assez que cette note aura le mérite d'avoir jeté le pavé dans la marre des constitutionnalistes congolais.