J-03-110
C.C.J.A – Saisine – Recours contre une décision du Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire – Décision de Cassation (non) – Décision non susceptible d'appel – Décision susceptible de pourvoi en cassation devant la CCJA (oui) – Recevabilité. –ARTICLE 14 ALINEA 4 DU TRAITE OHADA – ARTICLE 13 DU TRAITE OHADA.
Voies d'exécution – Délai de grâce – Conditions – Réunion (non) – Octroi du délai de grâce (non) –ARTICLE 39 AUPSRVE.
Article 14 TRAITE OHADA
Article 39 AUPSRVE
Une décision, rendue par le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire dans une affaire soulevant une question relative à l'application de l'article 39 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, est susceptible de pourvoi en cassation devant la CCJA, en application de l'article 14 alinéa 4 du Traité OHADA, dès lors que le Président de la Cour Suprême, qui n'a pas statué en cassation, a rendu une décision non susceptible d'appel. Par conséquent, le pourvoi est recevable.
La demande de délai de grâce formulée par le défendeur au pourvoi doit être rejetée, dès lors que les conditions de l'article 39 de l'Acte Uniforme précité ne sont pas réunies.
En ordonnant le maintien dans les lieux loués, d'un débiteur à l'encontre duquel a été rendue une décision judiciaire d'expulsion passée en force de chose jugée, alors que l'article 39 sus énoncé ne permet à la juridiction compétente, après analyse de la situation du débiteur et prise en considération des besoins du créancier, que de reporter ou d'échelonner le paiement des sommes dues par le débiteur, au cas où celui-ci est poursuivi en recouvrement de créance, la juridiction présidentielle de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire a violé par fausse application, l'article susvisé.
En conséquence, la décision encourt la cassation.
[CCJA, Arrêt N° 002/2003 du 30 janvier 2003, SDV-CI c/ CIVEXIM, Le Juris Ohada, n° 1/2003, janvier-mars 2003, p. 23 et note]. Voir Actualités juridiques n° 38/2003, p. 14, obs. François KOMOIN. – Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 1, janvier-juin 2003, p. 36).
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a rendu l'Arrêt suivant en son audience publique du 30 janvier 2003, où étaient présents :
Messieurs Seydou BA, Président
Jacques M'BOSSO, Premier Vice-président, rapporteur,
Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Maïnassara MAIDAGI, Juge
Boubacar DICKO, Juge
Et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef.
Sur le pourvoi formé par Maître Agnès OUANGUI, Avocat à la Cour, 01 B.P. 1306 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la Société DELMAS VIELJEUX-COTE D'IVOIRE dite SDV-CI, Société Anonyme au capital de 4.889.640.000 FCFA dont le siège social est à Abidjan, immeuble Delmas, Avenue Christiani à Treichville, 01 BP 4082 Abidjan 01, poursuites et diligences de son Directeur Général, Monsieur Gilles CUCHE, de nationalité française, demeurant Boulevard de la Corniche, à Abidjan Cocody, dans la cause opposant 1adite Société à la COMPAGNIE IVOIRIENNE D'EXPORT-IMPORT dite CIVEXIM, Société anonyme au capitalde 500.000.000 FCFA, dont le siège social est situé à Abidjan Vridi, quai 17 15 BP 485 Abidjan 15, ayant pour Conseil Maître Jules AVLESSI, Avocat à la Cour, demeurant Avenue Jean Paul II, immeuble CCIA, 4ème étage, porte 7, 01 BP 8643 Abidjan 01;
En cassation de l’ordonnance N° 010/02 rendue le 1er février 2002 par Monsieur le Président de la Cour Suprême de la République de Côte d’Ivoire, et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort;
– Maintenons la Société CIVEXIM dans les locaux qu’elle loue à la Société SDV-CI;
– Lui accordons un délai de grâce de douze mois à partir de ce jour, délai à l'expiration duquel elle devra payer l'intégralité de sa dette;
– Laissons les dépens à la charge du Trésor public »;
La requérante invoque à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation tel qu'il figure à la requête annexée au présent arrêt;
SUR LE RAPPORT DE MONSIEUR JACQUES M'BOSSO, PREMIER VICE-PRÉSIDENT
Vu les dispositions des articles 13 et 14 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Vu le règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l’OHADA;
Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces du dossier de la procédure que suite à une convention d'occupation d'installations immobilières passée le 26 mars 1993 avec la Société DELMAS VIELJEUX-Côte d’Ivoire dite SDV-CI, la COMPAGNIE IVOIRIENNE D'EXPORT-IMPORT dite CIVEXIM occupait une partie des installations de celle-ci, moyennant le versement d'une indemnité annuelle d'occupation fixée d'un commun accord à trente deux millions (32.000.000) de francs CFA et payable d'avance par trimestre à échoir; qu'en raison du non-paiement par la CIVEXIM de ladite indemnité durant une certaine période, les deux parties s'étaient rapprochées et avaient signé le 05 novembre 1999, un protocole d'accord aux termes duquel la CIVEXIM s'était engagée à apurer, selon des modalités particulières, les arriérés tels qu'ils étaient arrêtés au 31 décembre 1999; que la CIVEXIM avait commencé à effectuer des versements d'acomptes sur arriérés, mais dans le même temps, ne s'acquittait plus depuis le 1er janvier 2000, des indemnités d'occupation correspondant aux échéances postérieures à la période couverte par le protocole d'accord, alors qu'elle continuait d'occuper lesdites installations; que devant l'accumulation des arriérés des indemnités d'occupation et la perpétuation des difficultés de paiement desdites indemnités par la CIVEXIM, la SDV-CI, après avoir servi un commandement de payer demeuré en partie sans effet, avait saisi par exploit du 16 juin 2000 de Maître Emilie DJOUKA, la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, pour, en premier lieu, entendre ordonner l’expulsion de la CIVEXIM des lieux qu'elle occupe, tant de sa personne, de ses biens que de tous occupants de son chef; en deuxième lieu, dire que faute par elle de le faire volontairement, elle y sera contrainte par tous les moyens de droit; en troisième lieu, ordonner également l’exécution provisoire de la décision et prononcer la condamnation de la défenderesse à tous les dépens; que la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan a accédé en tous points à la demande de la SDV-CI par l'ordonnance de référé N° 3352 du 31 août 2000; que par exploit en date du 06 septembre 2000 de Maître N'DRI Niamkey Paul, la Société CIVEXIM interjeta appel de l'ordonnance précitée, appel qui fut rejeté par arrêt contradictoire N° 2 du 02 janvier 2001 de la Cour d'Appel d'Abidjan; que la CIVEXIM forma un pourvoi en cassation contre ledit arrêt, pourvoi également rejeté par arrêt N° 447/2001 du 05/01/2001 de la Chambre judiciaire de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire, dont signification fut faite à la CIVEXIM le 06 novembre 2001 par exploit de Maître BOUAH William Hervé procéda à l'expulsion de la CIVEXIM des lieux qu'elle occupe; que c'est alors que la CIVEXIM, par requête enregistrée au Secrétariat général de la Cour Suprême sous le numéro 2001-440 Réf. du 12 novembre 2001, a saisi la juridiction présidentielle de la Cour Suprême, à l’effet d'obtenir, sur le fondement de l'article 39 de l'Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, un délai de grâce de deux années pour lui permettre de s'acquitter de sa dette à l'égard de la SDV-CI et de se maintenir dans les 1ocaux dont elle venait d'être expulsée; que la juridiction présidentielle de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire se prononça par l'ordonnance N° 010/02 du 1er février 2002, objet du présent.
SUR LA RECEVABILITE DU POURVOI
Vu les articles13, 14 alinéas 3 et 4 du Traité susvisé;
Attendu que la SDV-CI demande à la Cour de céans de déclarer son recours en cassation recevable, en application de l'article 14 alinéas 3 et 4 du Traité susvisé, aux motifs que « l'ordonnance N° 010/02 rendue par Monsieur le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire le 01 février 2002, contre laquelle le présent recours est dirigé, est consécutive à la demande de la Société CIVEXIM, formulée sur le fondement de l'article 39 de l'Acte Uniforme de l'OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Que la Société CIVEXIM a saisi le Président de la Cour Suprême, qui a statué en dernier ressort, s'agissant d'une demande de délai de grâce. Que cette décision n'est susceptible d'appel »;
Attendu que la partie défenderesse demande que la Cour de céans statue ce que de droit sur la recevabilité du pourvoi;
Attendu qu'aux termes des articles 13 et 14 alinéas 3 et 4 du Traité susvisé, « le contentieux relatif à l'application des Actes Uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats parties » et « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendes par les juridictions d'appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes Uniformes et des règlements prévus au présent Traité, à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales;
Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d'appel rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes contentieux »;
Attendu qu'il s’agit en l'espèce d’une décision rendue par le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire dans une affaire soulevant une question relative à l'application de l'article 39 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution; que le Premier Président de la Cour Suprême, qui n’a pas statué en cassation, a rendu une décision non susceptible d’appel; que cette décision est dès lors susceptible de pourvoi en cassation devant la Cour de céans, en application de l’article 14 alinéa 4 sus-énoncé.
SUR LE MOYEN UNIQUE
Vu l’article 39 de l’Acte Uniforme susvisé;
Attendu qu'il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir violé les dispositions de l'article 39 de l'Acte Uniforme susvisé, en ce qu'elle a fait droit à la demande de maintien dans les lieux loués, et d'octroi de délai de grâce formulée par la CIVEXIM sur le fondement dudit article, alors que la CIVEXIM ne faisait l'objet de la part de la requérante, d'aucune mesure d'exécution forcée visant au recouvrement d'une créance; que c'est à l’occasion de telles mesures de contrainte exercées par le créancier en vue du recouvrement de sa créance, que les dispositions de l'article 39 permettent au débiteur de solliciter un délai de grâce; que tel n'est pas le cas en l'espèce, car la décision dont l'exécution est poursuivie par la requérante n'est pas une décision ayant condamné la CIVEXIM au paiement d'une somme d'argent, mais une décision d'expulsion passée en force de chose jugée, suite au rejet par la Chambre judiciaire de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, par arrêt N° 447/2001 du 05 juillet 2001 du pourvoi formé par la CIVEXIM contre l'arrêt N° 002 du 02 janvier 2001 de la Cour d'Appel d'Abidjan confirmant l'ordonnance d'expulsion prise à son encontre; que par ailleurs, le délai de grâce n'a pas pour objet de faire revivre un contrat déjà résilié, conformément à l'article 7 de la Convention de bail du 26 mars 1993 liant les parties, et selon lequel, « à défaut de paiement d'une seule des conditions de cette convention, et quinze jours après une sommation d'exécution demeurée infructueuse, la présente convention d'occupation sera résiliée si bon semble à DELMAS VIELJEUX-COTE D'IVOIRE, sans qu'il soit besoin de remplir de formalité judiciaire, nonobstant toutes consignations ou offres réelles postérieures au délai précité »; qu'en usant de l'article 39 pour contourner l'autorité de chose jugée et faire revivre un contrat résilié d'une part, et d'autre part, en faisant droit à la demande de délai de grâce de la CIVEXIM et en ordonnant le maintien de ladite Société dans les locaux qu'elle occupe désormais sans droit ni titre, l'ordonnance querellée a violé l'article 39 susvisé et mérite de ce chef annulation;
Attendu que l'article 39 de l'Acte Uniforme susvisé dispose que « le débiteur ne peut forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette, même divisible.
Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d'aliments et les dettes cambiaires, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues, dans la limite d'une année. Elle peut également décider que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Elle peut en outre subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur, d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
Attendu qu'il est constant comme résultant des pièces du dossier de la procédure qu'à l'appui de sa requête adressée à la juridiction présidentielle de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, 1a Société CIVEXIM a invoqué l'article 39 sus-énoncé, et que ladite juridiction présidentielle, pour statuer comme elle l'a fait, a considéré d'une part, « qu'il résulte des éléments du dossier que la Société CIVEXIM devait à la date du 05 novembre 1999, une somme d'argent de 57.247.284 FCFA en principal, à la Société SDV-CI; que la CIVEXIM s'est acquittée depuis lors, d'une bonne partie de sa dette; qu'elle restait devoir à la date du 30 novembre 2001, seulement 1a somme de 22.326.666 FCFA, ce qui constitue la preuve de sa bonne foi; qu'il échet de faire droit à la demande de la Société requérante pour son maintien dans les locaux loués »; et d'autre part, que « la société demanderesse a déjà payé d'importantes sommes d’argent à la défenderesse (…) et qu'il échet de lui accorder un dé1ai de grâce de douze mois à partir de ce jour, délai à l'expiration duquel elle devra payer intégralement sa dette »;
Attendu que si l'article 39 sus-énoncé permet à la juridiction compétente, après analyse de la situation du débiteur et prise en considération des besoins du créancier, de reporter ou d'éche1onner le paiement des sommes dues par le débiteur, dans 1'hypothèse où celui-ci est poursuivi en recouvrement de créance, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas en l'espèce, ledit article ne prévoit nulle part que la juridiction compétente puisse, au regard de ces éléments de fait, ordonner le maintien dans les lieux loués, d’un débiteur à l'encontre duquel a été rendue une décision judiciaire d’expulsion passée en force de chose jugée; qu'il s'ensuit qu'en statuant comme elle l'a fait, la juridiction présidentielle de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire n’a pas tiré les conséquences de sa propre constatation et a ainsi violé, par fausse application, l’article 39 susvisé; qu’il échet en conséquence de casser pour violation de la loi, la décision ainsi prise par ladite juridiction présidentielle, et d'évoquer;
SUR L'EVOCATION
Attendu que la CIVEXIM, par requête enregistrée au Secrétariat général de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire, sous le N° 2001/440 Réf. du 12 novembre 2001, a saisi le Premier Président de ladite Cour « aux fins de s'entendre accorder un délai de grâce de deux ans (..) pour s'acquitter de sa dette »;
Attendu que la requérante ne se trouve pas dans les conditions prévues par l'article 39 de l’Acte Uniforme susvisé, ainsi qu’il a été dit ci-dessus; qu’il y a lieu en conséquence de rejeter sa demande comme étant non fondée;
Attendu que la CIVEXIM ayant succombé, il échet de la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré :
– Déclare recevable le pourvoi en cassation formé par la SDV-CI;
– Casse et annule l’ordonnance N° 010/02 du 1er février 2002 rendue par la juridiction présidentielle de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire;
Evoquant et statuant à nouveau :
– Rejette 1a demande de délai de grâce formulée par la CIVEXIM.
– Président : M. Seydou BA.
Note
Après avoir posé le principe de la compétence de la CCJA, l’article 14 du traité OHADA précise en ses alinéas 3 et 4, les décisions susceptibles de recours en cassation devant la Haute Cour.
Il s'agit non seulement des décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties, mais également de celles non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats parties, dès lors que l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes Uniformes et des règlements prévus au Traité, exception faite des décisions appliquant des sanctions pénales (voir Joseph Issa-Sayegh et Jacqueline Lohoues Oble, OHADA, Harmonisation du Droit des Affaires, Bruylant, 2002 p. 178 : N° 422).
Il en résulte que la CCJA est compétente pour connaître des recours en cassation contre les décisions rendues en dernier ressort, à savoir les décisions des juridictions d’appel et les décisions non susceptibles d’appel. Dans quelle catégorie peut-on ranger une ordonnance du Président de la Cour Suprême, qui ne statue pas en cassation ? De la réponse dépendra la recevabilité du pourvoi de la SDV-CI.
Autrement dit, l'ordonnance peut-elle être qualifiée de décision rendue en dernier ressort, au sens de l'article 14 al.4 du Traité OHADA ?
1) L'ordonnance du Président de la Cour Suprême, une décision rendue en dernier ressort
Devant le non-paiement des indemnités d'occupation des locaux par la CIVEXIM, la SDV-CI, propriétaire, a obtenu de la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, l'expulsion de la CIVEXIM des lieux. Suite au rejet de l'appel interjeté contre l'ordonnance du Président du Tribunal, la CIVEXIM s'est pourvue en cassation devant la Chambre judiciaire de la Cour Suprême, qui a rejeté le pourvoi. C'est alors que la CIVEXIM saisit le Président de la Cour Suprême, à l'effet d'obtenir un délai de grâce sur le fondement de l'article 39 de l'Acte Uniforme portant voies d'exécution. Le Président de la Cour Suprême fit droit à la demande par l'ordonnance du 1er février 2002.
C'est contre cette ordonnance que la SDV-CI se pourvoit en cassation devant la CCJA.
Dès lors, se pose la question de savoir si les conditions de recevabilité du pourvoi devant la CCJA sont réunies en l'espèce, eu égard aux principes édictés par les articles 13 et 14 du Traité.
S'agissant d'une affaire soulevant une question relative à l'application de l'article 39 de l'Acte Uniforme précité, la compétence de la CCJA ne peut être remise en cause.
Mais s'agissant d'un recours en cassation, pour être recevable, il doit être formé soit contre une décision rendue par une juridiction d'appel, soit contre une décision non susceptible d'appel.
En l'espèce, il ne s'agit pas d'une décision de juridiction d'appel, puisque l'ordonnance a été rendue par le Président de la Cour Suprême. Il ne s'agit pas non plus d'une décision rendue en premier et dernier ressort par un Tribunal.
Enfin, il ne s'agit pas non plus d'une décision de cassation.
Il ne s'agit rien d'autre qu'une décision non susceptible d'appel, comme la décision rendue en premier et dernier ressort par un Tribunal, contre laquelle un pourvoi en cassation peut être formé.
Ainsi, l'ordonnance rendue par le Président de la Cour Suprême peut faire l'objet d'un recours en cassation devant la CCJA, dès lors qu'elle soulève une question relative à l'application d'un Acte Uniforme.
Le mérite de cette décision de la CCJA est d'avoir donné une idée des décisions non susceptibles d'appel visées par l'article 14 alinéa 4.
En tout cas, elles ne se limitent pas aux décisions rendues en premier et dernier ressort par un Tribunal.
Le recours ayant été déclaré recevable, la CCJA se devait de répondre à une question de fond, celle de savoir si les conditions d'application de l'article 39 étaient réunies.
2) Les conditions d'octroi du délai de grâce
En faisant droit à la demande de maintien dans les lieux loués et d'octroi de délai de grâce, l'ordonnance, soutient la SDV-CI, a violé les dispositions de l'article 39 portant voies d'exécution. En effet, selon la SDV-CI, l'article 39 qui permet au débiteur de solliciter un délai de grâce, ne peut trouver application que si celui-ci fait l'objet d'une mesure d'exécution forcée visant au recouvrement d'une créance.
Or, en l'espèce, il n'était nullement question d'une telle mesure, mais plutôt de l'exécution d'une décision d'expulsion passée en force de chose jugée. Il ne s'agissait donc pas d'une décision de condamnation au paiement d'une somme d'argent.
En cassant l'ordonnance attaquée, la CCJA donne raison à la SDV-CI. Les conditions de l'article 39 n'étaient donc pas réunies. Mais quelles sont-elles ?
Il doit s'agir d'abord de l'exécution forcée d'une décision de condamnation au paiement d’une somme d’argent. Ne sont pas concernées les dettes d'aliment et les dettes cambiaires.
Ensuite, il faut tenir compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier. Le débiteur, notamment, doit être de bonne foi.
Enfin, il faut souligner que le délai de grâce, accordé, ne peut excéder une année (voir C.A. Bouaké, arrêt N° 85 du 24 mai 2000, Le Juris OHADA n° 4/2002 p. 58 et Ohadata J-03-69).
En maintenant la CIVEXIM dans les lieux loués, la juridiction présidentielle de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire a violé l'article 39 susvisé, qui ne prévoit pas une telle mesure.
C'est pourquoi, évoquant après cassation, la CCJA a rejeté la demande de délai de grâce, qui n'était pas fondée.