J-03-122
Voir Ohada J-03-107
CCJA – RECOURS EN CASSATION – DIFFICULTE D’EXECUTION – SURSIS A EXECUTION – INCOMPETENCE DU JUGE DES REFERES (NON) – APPLICATION DE L’ARTICLE 32-2 DU REGLEMENT DE PROCEDURE DE LA CCJA (NON) – CASSATION DE L’ARRET DE LA COUR D’APPEL DECLARANT LE JUGE DES REFERES INCOMPETENT – EVOCATION.
RECOURS EN CASSATION – POURVOI TARDIF – POURVOI IRRECEVABLE – ARTICLE 18 DU TRAITE – ARTICLE 38 DU REGLEMENT DE PROCEDURE DE LA CCJA.
RECOURS EN CASSATION – PRESENCE DE DEUX ARRETS CONTRADICTOIRES DE LA COUR SUPREME IVOIRIENNE – RENVOI DEVANT CETTE JURIDICTION POUR INTERPRETATION.
Article 32 DU REGLEMENT DE PROCEDURE DE LA CCJA
Article 38 DU REGLEMENT DE PROCEDURE DE LA CCJA
La CCJA ne peut recourir à l’article 32-2 du Règlement de procédure pour rejeter, à tout moment, le recours en cassation par une ordonnance motivée que lorsqu’elle est manifestement incompétente pour connaître du recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé. Tel n’est pas le cas lorsque le pourvoi est tardif ou formé contre un arrêt d’incompétence rendu par la juridiction nationale (solution implicite).
Un pourvoi en cassation formé contre un arrêt plus de deux mois après la signification de cette décision doit être déclaré irrecevable comme étant tardif.
Il y a lieu de casser un arrêt de la juridiction nationale déclarant le juge des référés incompétent pour statuer sur un sursis à exécution alors que l’article 49 AUPSRVE donne compétence à cette juridiction pour statuer sur toute difficulté d’exécution. est une difficulté d’exécution la présence de deux décisions contradictoires émanant de cette juridiction.
Statuant sur évocation, au fond, de l’affaire pour laquelle l’arrêt a été cassé, la CCJA doit renvoyer à la Cour suprême ivoirienne le soin d’interpréter les deux arrêts contradictoires rendus par elle.
(CCJA, arrêt n° 21 du 26 décembre 2002, Société Mobil Oil Côte d’Ivoire c/ Soumahoro Mamadou, Recueil de jurisprudence de jurisprudence, numéro spécial, janvier 2003, p. 65).
Cour Commune de Justice et d'Arbitrage
ARRET n° 21 du 26 décembre 2002
Audience Publique du 26 décembre 2002
Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE
(Conseils : SCPAADJE ASSI- METAN, Avocats à la Cour)
Contre SOUMAHORO MAMADOU
(Conseil : Maître OBENG KOFI FlAN, Avocat à la Cour)
La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (C.C.J.A) de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) a rendu l'arrêt suivant en son audience publique du 26 décembre 2002 où étaient présents :
MM.
Seydou BA, Président
Jacques MBOSSO, Premier Vice-Président
Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président, rapporteur
Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge
Maïnassara MAIDAGI, Juge
et Maître Pascal Edouard NGANGA, Greffier en chef;
Sur le pourvoi en date du 10 août 2001 , enregistré à la Cour de céans le 13 du même mois et de la même année, sous le n° 12/2001/PC, formé par la SCPA ADJE-ASSI- METAN, Avocats à la Cour, demeurant "Résidence LE TREFLE", 59 rue des Sambas, 01 BP 6568 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE, dans une cause l'opposant à SOUMAHORO MAMADOU, ayant pour conseil Maître OBENG KOFI FlAN, en cassation :
1°/ de l'arrêt n° 623 du 25 mai 2001 rendu par la Chambre civile et commerciale de la Cour d'appel d'Abidjan, République de Côte d'Ivoire, dont le dispositif est le suivant :
« En la forme;.
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et en dernier ressort;
Reçoit la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE en son appel relevé de l'ordonnance de référé n° 978 du 6 mars 2001 rendue par le Président du Tribunal de première Instance d'Abidjan;
Au fond :
L'y déclare mal fondée.
l'en déboute :
Confirme, par substitution de motifs, l'ordonnance attaquée;
Condamne MOBIL OIL COTE D'IVOIRE aux dépens »;
2°/ de l'ordonnance n° 93 rendue le 22 décembre 2000 par le Président de la Cour Suprême dont le dispositif est le suivant :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière de référé et en dernier ressort.
Déclare SOUMAHORO MAMADOU bien fondé en ses demandes, y faisant droit, condamne la BICICI et la SGBCI, à lui payer les sommes saisies entre leurs mains au préjudice de la Société MOBIL OIL CI, sous astreinte de dix millions (10.000.000) de francs CFA par jour de retard.
Déclare la Société MOBIL OIL CI irrecevable en sa demande reconventionnelle, parce que mal fondée.
Met les dépens à la charge du défendeur »;
La requérante invoque à l'appui de son pourvoi les moyens tels qu'ils figurent à la requête annexée au présent arrêt; Sur le rapport de Monsieur Antoine Joachim OLIVEIRA, Second Vice-Président;
Ouï Maître ADJE Luc, pour la partie demanderesse et Maître OBENG KOFI FlAN pour la partie défenderesse, en leurs observations, plaidoiries respectives, la procédure orale ayant été autorisée;
Vu les articles 14,15 et 18 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure que, par ordonnance d'injonction de payer n° 3699 du 10 octobre 1994, le Président du Tribunal de première Instance d'Abidjan a condamné la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE à payer la somme de 331.994.454 francs outre les intérêts de droit et frais, notamment les dépens afférents à la procédure, à SOUMAHORO MAMADOU; que sur opposition de la Société MOBlL OIL COTE D'IVOIRE, la décision précitée a été rétractée par l'ordonnance n° 5121 du 16 novembre 1994 rendue par le Président du Tribunal de première Instance d'Abidjan; que sur appel de SOUMAHORO MAMADOU contre ladite ordonnance, celle-ci a été confirmée par arrêt n° 318 du 14 février 1995 de la Cour d'appel d'Abidjan, lequel arrêt a fait l'objet de pourvoi en cassation rejeté par la chambre judiciaire de la Cour Suprême par arrêt n° 91 du 23 mai 1996;
Attendu que par arrêt n° 150 du 4 juin 1998, la Chambre judiciaire de la Cour Suprême a rejeté le recours en rétractation intenté une première fois par SOUMAHORO MAMADOU sur la base de l'alinéa a) de l'article 39 du Code de Procédure civile de la République de COTE D'IVOIRE, contre l'arrêt n° 91 du 23 mai 1996; que par arrêt n° 351 du 15janvier 2000, la même juridiction, faisant droit à un second recours en rétractation intenté contre le même arrêt, a cassé l'arrêt n° 318 du 14 février 1995 puis restitué son entier et plein effet à l'ordonnance d'injonction de payer n° 3699 du 10 octobre 1994;
Attendu que sur la base de l'arrêt de cassation précité, SOUMAHORO MAMADOU a pratiqué le 15 juin 2000 saisie- attribution sur les comptes de la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE tenus par les banques SGBCI et BICICI;
Attendu que par ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000, dont pourvoi, signifiée à la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE le 13 août 2001, le Président de la Cour Suprême, saisi le 27 septembre 2001, sur requête de SOUMAHORO MAMADOU du refus des banques tiers saisies de le payer, malgré la présentation d'un certificat de non contestation à lui délivré par le Secrétariat de la Cour Suprême, a condamné les banques SGBCI et BICICI en leur qualité de tiers saisies, à procéder au paiement des sommes saisies au requérant;
Attendu que, par ordonnance n° 978 du 6 mars 2001, le Président du Tribunal de première Instance d'Abidjan, saisi par la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE, demandant le sursis à exécution de la saisie attribution opérée sur ses comptes, s'est déclaré incompétent; que par arrêt n° 623 du 25 mai 2001 dont pourvoi, la Cour d'appel d'Abidjan, sur appel de la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE contre l'ordonnance n° 978, a confirmé par substitution de motifs la décision querellée;
Sur l'application de l'article 32, alinéa 2 du Règlement de procédure de la Cour;
Attendu que SOUMAHORO MAMADOU sollicite qu'il soit statué sur le pourvoi par voie d'ordonnance, en application de l'article 32 alinéa 2 du Règlement susvisé qui dispose que « lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître du recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, elle peut, à tout moment, rejeter ledit recours par voie d'ordonnance motivée »;
Attendu que la Cour de céans estime, en l'espèce, n'y avoir lieu à statuer par voie d'ordonnance;
Sur la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre l'ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 :
Vu les articles 18 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique et 28 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu que SOUMAHORO MAMADOU soutient que le recours en cassation dirigé contre l'ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 est irrecevable aux motifs qu'il ne comporte pas la mention de la date de signification de ladite décision comme l'exige l'article 28 du Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage; qu'il est, par ailleurs, tardif pour avoir été intenté le 13 avril 2001, soit plus de deux mois après la signification de cette décision;
Attendu que le délai imparti par les textes suscités à toute partie pour saisir la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage est de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée;
Attendu qu'il est constant que l'ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 a été signifiée à la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE le 2 janvier 2001 et le recours intenté contre ladite décision le 13 août 2001, soit plus de deux mois à compter de la date de sa notification à la requérante; qu'il y a lieu par conséquent de le déclarer irrecevable comme étant tardif;
Sur le moyen unique du recours dirigé contre l’arrêt n° 623 du 25 mai 2001
Vu l'article 49 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu que la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance n° 978 du 6 mars 2001, par substitution de motifs en considérant qu' « il ressort des productions que la présente instance, née des difficultés d'exécution des nombreux arrêts rendus entre les parties par la Cour Suprême, a déjà été présentée et examinée par la juridiction Présidentielle de la Cour suprême en son ordonnance n° 93/2000 du 22 décembre 2000;
Dès lors, cette décision du genre, qui a acquis autorité de la chose jugée, et eu égard aux dispositions de l'article 222 du code de procédure civile, ne peut être remise en cause par des juridictions d'un degré inférieur;.
Qu'il y a lieu , par conséquent, de confirmer l'ordonnance entreprise par substitution des motifs;
La Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE succombe en la cause, il échet de la condamner aux dépens », alors que selon l'article 49 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, les difficultés d'exécution relèvent de la compétence du Président de la Juridiction de première Instance ou du magistrat délégué par lui, statuant en matière d'urgence par des décisions dont la réformation peut être sollicitée devant la Cour d'appel et qu' « il s'en infère qu'une décision prise par une juridiction radicalement incompétente est nulle et donc inexistante juridiquement, dès lors que la juridiction prévue par le Traité comme compétente est saisie, celle-ci ne peut refuser de statuer au motif de l'autorité de chose jugée fondée sur une décision rendue par une juridiction, même supérieure dans l'ordonnancement national.
Qu'il échet, par conséquent, de casser l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Abidjan et dire nulle l'ordonnance rendue par le Président de la Cour Suprême et ce, en application de l'article 18 du Traité »;
Attendu que l'Acte uniforme susvisé contient des règles de fond et de procédure qui, en la matière, ont seules vocation à s'appliquer dans les Etats parties; qu'ainsi, en matière de compétence juridictionnelle, l'article 49 du même Acte uniforme édicte que « la juridiction compétente pour statuer sur tout 1itige ou toute autre demande relative à une mesure d'exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le Président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le magistrat délégué par lui.
Sa décision est susceptible d'appel dans un délai de quinze jours à compter de son prononcé. Le délai d'appel, comme l'exercice de cette voie de recours, n'ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du Président de la juridiction compétente ».
Attendu qu'il résulte de l'article sus énoncé que tout litige relatif à une mesure d'exécution forcée relève, quelle que soit l'origine du titre exécutoire en vertu duquel elle est poursuivie, de la compétence préalable du Président de la juridiction statuant en matière d'urgence et en premier ressort ou du magistrat délégué par lui; qu'il s'ensuit que toute juridiction autre que celle déterminée par l'article suscité est incompétente pour connaître, en premier ressort, des litiges relatifs à une mesure d'exécution forcée;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le juge compétent pour connaître des difficultés nées de la saisie attribution sur les comptes bancaires de la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE pratiquée par SOUMAHORO MAMADOU est, en l'espèce, le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan ou le magistrat délégué par lui; qu'en retenant, pour confirmer l'ordonnance n° 978 du 6 mars 2001 que l'ordonnance n° 93 du 23 décembre 2000 rendue par le Président de la Cour Suprême avait acquis l'autorité de chose jugée et qu'en application des dispositions de l'article 222 du Code de procédure civile, commerciale et administrative de la République de COTE D'IVOI RE elle ne pouvait être remise en cause par les juridictions d'un degré inférieur alors que, compte tenu des énonciations ci-dessus, les dispositions d'ordre interne visées n'étaient pas applicables en l'espèce, la Cour d'appel d'Abidjan a méconnu l'article 49 précité; qu'il y a lieu en conséquence de casser l'arrêt et d'évoquer;
SUR L'EVOCATION
Attendu que la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE a interjeté appel de l'ordonnance n° 978 du 6 mars 2001 rendue par le Président du Tribunal de première instance d'Abidjan dont le dispositif est le suivant :
« Recevons la société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE en sa requête;
Nous nous déclarons incompétents;
Disons que le Président de la Cour Suprême est seul compétent;
Condamnons la requérante aux dépens; »;
Attendu que pour statuer ainsi en référé, le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan a retenu que « l'article 221 dispose que tous les cas d'urgence sont portés devant le Président de la Cour d'appel qui a statué ou le Président de la Cour Suprême en cas de pourvoi ou d'arrêt rendu par l'une de ses chambres;
L'article 49 du Traité de l'OHADA en disposant que la juridiction compétente pour connaître d'une mesure d'exécution forcée est le Président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le magistrat délégué par lui, prend appui sur l'article 221 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui seul indique les juridictions compétentes en fonction de la nature de la décision (jugement, arrêt en appel, arrêt en cassation) dont l'exécution forcée a donné lieu à ces cas de difficultés;
Que sa décision est susceptible d'appel dans un délai de 15 jours à compter de son prononcé, de cette formule de l'alinéa Il de l'article 49 dudit Traité, il faut entendre par appel, un recours à une juridiction supérieure aux fins de la réformation de la décision querellée;
Que, dès lors, la juridiction compétente en cas de difficultés d'exécution est en fonction de la nature de la décision; qu'il convient de dire que la juridiction compétente ici est la Cour Suprême »;
Attendu que dans ses écritures d'appel la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE soutient, en premier lieu, que la loi nationale est tenue de se conformer au Traité institutif de l'OHADA avec pour conséquence que l'article 49 s'impose aux articles 221 et suivants du Code de Procédure Civile; qu'elle expose en deuxième lieu que par arrêt n° 150 du 4 juin 1998, la Chambre judiciaire de la Cour Suprême a rejeté la demande formée en rétractation de l'arrêt civil n° 91 rendu le 23 mai 1996 par la même Chambre, mais que, contre toute attente, SOUMAHORO MAMADOU a introduit une nouvelle action contre le même arrêt rendu par cette juridiction suprême et par arrêt n° 351 du 15 juin 2000, la Chambre judiciaire a rétracté l'arrêt n° 91 du 23 mai 1996 et, sur évocation, condamné la concluante à payer 331.994.454 francs à SOUMAHORO MAMADOU; que l'arrêt du 15 juin 2000 n'ayant ni rétracté, ni annulé celui du 4 juin 2000, il y a contradiction entre les deux décisions; qu'elle conclut, en dernier lieu, à l'infirmation de l'ordonnance n° 978 du 06 mars 2001 et demande à la Cour d'ordonner la suspension des poursuites;
Attendu que SOUMAHORO MAMADOU, après avoir indiqué que les décisions dont l'exécution soulève des difficultés sont l'arrêt n° 351 du 15 juin 2000 rendu par la Chambre judiciaire de la Cour Suprême et l'ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 rendue sur difficultés par la juridiction présidentielle de la Cour Suprême, soutient d'une part, qu'en application des articles 221 et 222 du code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative, les ordonnances relatives aux difficultés d'exécution d'un arrêt rendu par la Cour Suprême sont du ressort du Président de cette Cour, d'autre part, que le Traité de l'OHADA n'a pas vocation à régler les questions de compétence matérielle du juge de l'urgence, enfin que l'ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 dont l'exécution est poursuivie revêt l'autorité de chose jugée étant insuscep1ible de voie de recours et que les juridictions inférieures sont incompétentes pour l'apprécier; qu'il conclut, très subsidiairement au fond, au rejet de la demande de sursis comme manquant de fondement juridique et à la confirmation de la décision attaquée;
Attendu que les banques SGBCI et BICICI, tiers saisis, ont conclu dans le même sens que la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE;
Sur l’infirmation de l'ordonnance n° 978 du 6 mars 2001 demandée par la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE, la SGBCI et la BICICI :
Attendu que les arguments développés sur ce point par les parties sont identiques dans leur objet et leur fondement à ceux exposés lors de l'examen du moyen de cassation ci-dessus;
Qu'il y a lieu, pour les mêmes motifs sur le fondement desquels l'arrêt n° 623 du 25 mai 2001 a été cassé, d'infirmer, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance n° 978 rendue le 6 mars 2001 par le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
Sur la demande de suspension de poursuites faite par la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE :
Attendu que la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE demande de dire et juger qu'il y a difficultés à statuer, qu'elle demande d'ordonner, dans ces conditions, la suspension de toutes les poursuites nées des difficultés objectives d'exécution en ce qu'il existe deux décisions de même niveau dont la contrariété ne souffre d'aucune ambiguïté;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier de la procédure, qu'après avoir rendu l'arrêt n° 150 du 04 juin 1998 ayant rejeté le recours en rétractation introduit par SOUMAHORO MAMADOU au motif que l'arrêt n° 91 du 23 mai 1996 n'a pas été rendu sur fausses pièces pour justifier l'exercice du recours en rétractation, la Chambre Judiciaire, section civile de la Cour Suprême a, par la suite, rendu l'arrêt n° 351 du 15 juin 2000 qui a rétracté le même arrêt n° 91 du 23 mai 1996, cassé et annulé l'arrêt n° 318 du 14 février 1995 de la Cour d'appel d'Abidjan et, statuant sur évocation, dit que l'ordonnance n° 3699/94 du 10 octobre 1994 de la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan sortira son entier et plein effet;
Attendu que l'arrêt n° 351 du 15 juin 2000 dont l'exécution est poursuivie ne s'est prononcé à aucun moment sur le sort à réserver à l'arrêt n° 150 du 04 juin 1998 ayant acquis l'autorité de la chose jugée, alors que la contrariété entre ces deux arrêts est évidente;
Attendu qu'en l'état, le litige présente à juger une question soulevant une difficulté sérieuse de nature à justifier le renvoi devant la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE, seule compétente pour interpréter ses propres décisions, et qu'il y a lieu ,dès lors, de surseoir à statuer jusqu'à ce que ladite Cour se prononce sur ce point;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Déclare irrecevable le recours en cassation formé par la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE contre l'ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 rendue par le Président de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire.
Reçoit le recours en cassation formé par la Société MOBIL OIL COTE D'IVOIRE contre l'arrêt n° 623 du 25 mai 2001 rendu par la Cour d'appel d'Abidjan;
Casse l'arrêt n° 623 du 25 mai 2001 rendu par la Cour d'appel d'Abidjan;
Evoquant et statuant à nouveau,
Infirme l'ordonnance de référé n° 978 rendue le 06 mars 2001 par le Président du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, en toutes ses dispositions;
Renvoie à la Cour Suprême de la République de COTE D'IVOIRE, aux fins de statuer sur la difficulté résultant de la contrariété existant entre les arrêts n° 150 du 04 juin 1998 et n° 351 du 15 juin 2000;
Sursoit à statuer sur la demande de suspension de poursuites jusqu'à décision de ladite juridiction;
Réserve les dépens..
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé
Le Président Le Greffier en chef
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur agrégé, Consultant et d’Anne-Marie ASSI ESSO, Professeur agrégé à la Faculté des sciences juridiques, administratives et politiques d’Abidjan
La procédure de cette affaire est si longue, complexe et confuse qu’elle nécessite un exposé minutieux pour comprendre la décision de la CCJA.
Le sieur Soumahoro Mamadou (S.M) a introduit une procédure d’injonction de payer contre la société Mobil Oil Côte d’Ivoire (MOCI), qui a abouti à une ordonnance n° 3 699 du 10 octobre 1994 d’injonction de payer la somme de 331 994 454 francs à l’encontre de sa débitrice. Sur opposition de celle-ci, le juge rétracta l’ordonnance d’injonction de payer par une nouvelle ordonnance n° 5121 du 16 novembre 1994 . S.M releva appel de cette décision que la Cour d’appel confirma par arrêt n° 318 du 14 juin 1995. La Cour suprême ivoirienne, saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, rejeta ce recours par un arrêt n° 91 du 23 mai 1996.
Nullement découragé, S.M. revint à la charge en introduisant une nouvelle demande en rétractation mais, cette fois, contre l’arrêt de la Cour suprême qui, une nouvelle fois, repoussa sa demande par un arrêt n° 150 du 4 juin 1998 au motif que les conditions de l’article 39-a) du code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative n’étaient pas réunies . On aurait pu légitimement penser que cette dernière décision allait clore définitivement cette affaire; il n’en a rien été.
S.M revint à la charge une nouvelle fois et présenta, pour la troisième fois, une demande de rétractation devant la Cour suprême qui, cette fois-ci…rendit un arrêt cassant l’arrêt n° 318 du 14 février 1995 précité de la Cour d’appel, restituant ainsi, après évocation, son plein et entier effet à l’ordonnance du 10 octobre 1994 par réformation de l’ordonnance de rétractation de cette injonction décidée par l’ordonnance n° 512 du 16 décembre 1994.
L’ordonnance d’injonction de payer étant devenue exécutoire , le créancier procéda à une saisie attribution contre sa débitrice entre les mains de deux banques (SGBCI et BICICI), chez qui elle avait des comptes créditeurs.
Devant le refus des banques de payer et muni d’un certificat de non contestation, le créancier obtint de la Cour suprême une ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 condamnant les tiers saisis à payer entre les mains du créancier poursuivant.
De son côté, la débitrice avait saisi le juge des référés pour demander un sursis à statuer en raison de la présence de deux arrêts contradictoires de la Cour suprême ivoirienne relatives à la rétractation, à savoir : ***. Le juge des référés s’étant déclaré incompétent pour connaître de cette difficulté par ordonnance n° 978 du 6 mars 2001, la Cour d’appel fut saisie, laquelle confirma (par arrêt n° 623 du 25 mai 2001) la décision du premier juge par substitution de motifs .
Au terme de cette longue, complexe et confuse procédure, la Société Mobil Oil C.I forma un recours en cassation contre :
– d’une part, l’arrêt de la Cour d’appel d’Abidjan n° 623 du 25 mai 2001 qui avait confirmé l’incompétence du juge des référés pour connaître du sursis à statuer;
– d’autre part, l’ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 rendue par la Cour suprême de Côte d’Ivoire par laquelle la Haute juridiction avait condamné les tiers saisis à payer les sommes saisies entre leurs mains au préjudice de la MOCI.
La CCJA a rendu sa décision sur les trois points suivants :
– l’application de l’article 32-2 du Règlement de procédure de la CCJA;
– la recevabilité du recours en cassation dirigé contre l’ordonnance n° 93 du 22 décembre 2000 de la Cour suprême de côte d’Ivoire;
– le recours en cassation contre l’arrêt n° 623 du 25 mai 2001 de la Cour d’appel d’Abidjan.
I. L’APPLICATION DE L’ARTICLE 32-2 DU REGLEMENT DE LA CCJA.
Selon S.M., la CCJA devait se déclarer incompétente et le dire par une ordonnance motivée comme le prescrivent l’article 17 du Traité et l’article 32-2 du Règlement de procédure concernant cette juridiction. D’après ces textes, il en est ainsi lorsque la CCJA est manifestement incompétente ou lorsque le recours en cassation est manifestement irrecevable ou manifestement non fondé .
La CCJA, d’une façon abrupte et non motivée, a rejeté ce moyen. Mais comme elle n’évoque pas les arguments de SM contenus dans ce moyen (y en avait-il, du reste ?) ni n’indique ceux qui l’ont poussée à ce rejet, on ne peut que se perdre en conjectures, d’autant plus qu’il n’est pas précisé si ce moyen était dirigé contre un seul des recours en cassation ou contre les deux.
II. SUR LE RECOURS DIRIGE CONTRE L’ORDONNANCE N° 93 DU 22 DECEMBRE 2000 DE LA COUR SUPREME DE COTE D’IVOIRE.
Rappelons que cette ordonnance avait condamné les banques, tiers saisis, à payer à S.M. Les sommes auxquelles la SOCI avait été elle-même condamnée.
Le recours en cassation contre cette ordonnance ayant été formé plus de deux mois après la signification de cette décision, il a été déclaré irrecevable comme étant tardif en application des articles 18 du Traité Ohada et 28 du Règlement de procédure de la CCJA.
On peut tout de même se poser la question de savoir si le créancier pouvait former un pourvoi en cassation contre une ordonnance de la Cour suprême ivoirienne qui n’est pas, par définition, une décision rendue en dernier ressort par une juridiction du fond, sauf à élargir considérablement (et contre nature ?) une telle notion. Et si la réponse à cette question devait être négative, alors la CCJA était manifestement incompétente pour connaître d’un recours en cassation contre elle. Mais dans la mesure où le recours était tardif, la CCJA a été dispensée d’examiner ce point.
On peut également se demander si la SOCI ne pouvait pas considérer que, depuis l’avènement de l’acte uniforme sur les voies d’exécution, la Cour suprême ivoirienne n’était pas compétente pour connaître de la cassation en cette matière et qu’il fallait saisir la CCJA. Dans ce cas, pourquoi n’a-t-elle pas eu recours aux articles 18 du Traité et 28 du règlement de la CCJA ?
III. SUR LE RECOURS EN CASSATION DIRIGE CONTRE L’ARRET DE LA COUR D’APPEL D’ABIDJAN N° 623 DU 25 MAI 2001.
L’arrêt attaqué, ici, est celui de la Cour d’appel qui avait confirmé l’incompétence du premier juge des référés (n° 978 du 6 mars 2001) qui s’était déclaré incompétent pour connaître des difficultés d’exécution résultant de la contrariété entre les deux ordonnances de la Cour suprême ivoirienne. En effet, on se rappelle que la haute juridiction ivoirienne avait rendu un arrêt (n° 150 du 4 juin 1998) aboutissant à annihiler l’ordonnance d’injonction de payer, et un autre (n° 351 du 15 juin 2000) aboutissant à lui redonner son plein et entier effet .
La SOCI demandait la cassation de cet arrêt de la Cour d’appel d’Abidjan en invoquant la violation de l’article 49 AUPSRVE qui permet de saisir le juge des référés pour connaître des difficultés d’exécution. La CCJA accueille cette critique et casse l’arrêt n° 623 du 25 mai 2001 de la Cour d’appel au motif que l’article précité confère au seul juge des référés le pouvoir de connaître des difficultés d’exécution sans que puisse être objecté le fait qu’ainsi, le juge des référés aurait à) connaître d’une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée et émanant d’une juridiction qui lui est supérieure.
On observera que, bien que les étapes précédentes de la procédure fussent considérées (implicitement) comme relevant du droit procédural ivoirien (y compris jusqu’à l’arrêt n° 351 du 15 juin 2000 de la cour suprême), la CCJA fait application de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution concernant la phase du référé sur difficultés d’exécution .
Ayant cassé cet arrêt de la Cour d’appel, la CCJA évoque l’affaire en examinant, comme juridiction d’appel, l’ordonnance n° 978 du 6 mars 2001 rendue par le premier juge des référés. Celui-ci avait jugé que l’article 49 AUPSRVE, en disposant que la juridiction compétente pour connaître d’une exécution forcée est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence, prend appui sur l’article 221 du code ivoirien de procédure civile qui, seul, indique les juridictions compétentes en fonction de la nature de la décision (jugement, arrêt d’appel ou de cassation) dont l’exécution forcée donne lieu à difficultés. Il s’ensuivait donc, selon lui, que seule la Cour suprême avait compétence pour juger d’une difficulté d’exécution inhérente à une de ses décisions. Sur ce point, la CCJA fait prévaloir l’article 49 AUPSRVE sur l’article 221 du code ivoirien de procédure civile .
Dès lors, restait à résoudre la question de la contrariété des deux arrêts de la Cour suprême ivoirienne dans la mesure où l’arrêt n° 351 du 15 juin 2000 de cette juridiction a bien rétracté l’arrêt n° 91 du 23 mai 1996 mais pas celui (n° 150) du 4 juin 1998 qui avait rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance de rétractation du…*.La CCJA infirme donc l’ordonnance du juge des référés pour les mêmes motifs que ceux ayant entraîné la cassation de l’arrêt n° 623 du 25 mai 2001 de la Cour d’appel.
Elle en vient enfin à l’examen de la demande de suspension des poursuites d’exécution formée par la SOCI. Constatant la contrariété entre les deux arrêts précités de la Cour suprême ivoirienne, elle décide que seule cette juridiction a le pouvoir d’interpréter ses propres décisions et sursoit à statuer jusqu’à ce que cette juridiction se prononce sur ce point.