J-03-201
SOCIETE COMMERCIALE ET GIE – SOCIETE DE DROIT CAMEROUNAIS – CESSION D’ACTION – agrément du conseil d’administration – quorum et vote – participation au vote de l’administrateur cédant – nullité de la résolution (oui).
La résolution du Conseil d’Administration relative à la cession d’action d’un administrateur, est frappée de nullité dès lors qu’il n’est pas indiqué dans ladite résolution, que les administrateurs cédants, présents à la réunion, n’ont pas pris part au vote, en application de l’article 766 de l’AUSC.
Par conséquent, en application de l’article 14 al.3 et 4 du Traité OHADA, la CCJA doit se déclarer incompétente.
Article 766 AUSCGIE ET SUIVANTS
Article 14 DU TRAITE OHADA
(Tribunal de Commerce de Paris, 07 novembre 2001, C…c/ X…, Le Juris Ohada, n° 2/2003, p. 55, note Alain FENEON, Avocat à la Cour,Cabinet FENEON – Paris ).
LE TRIBUNAL,
… La Société G. Cameroun est soumise au droit camerounais;
Que la cession d'actions de cette société doit, de ce fait, se conformer aux dispositions de l'Acte Uniforme relatif au Droit des sociétés commerciales, découlant du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique, acte auquel les statuts de G. Cameroun se réfèrent expressément, et qui est d'ordre public;
Vu les articles 765 à 771 inclus du Traité (sic) formant la section 5 de ce même Traité, relative aux limitations à la transmission des actions;
Attendu qu'en vertu de l'article 765, les statuts d'une société commerciale camerounaise peuvent prévoir que la transmission d'actions à un tiers étranger à la société, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, sera soumise à l'agrément du Conseil d'administration ou de l'assemblée générale des actionnaires;
Attendu que les statuts de G. Cameroun stipulent que toute cession d'actions devra, pour être valable, être agréée par le conseil d'administration;
Attendu qu'en vertu de l'article 766, lorsque l'agrément est donné par le conseil d'administration, l'administrateur cédant ne prend pas part au vote;
Attendu que, selon le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration en date du 2 août 2000, produit aux débats, trois administrateurs représentant C., MM. V., N et S. étaient présents à cette réunion;
Que ces trois personnes répondent à la notion d' « administrateur cédant », telle que visée dans le Traité;
Qu'il n'est pas indiqué qu'ils n'ont pas pris part au vote de la résolution du conseil, relative à la cession par C., de ses actions;
Que la résolution visée est donc frappée de nullité, en vertu du droit camerounais, auquel G. Cameroun est soumise;
Attendu que dès lors, C. ne peut se prévaloir de cette résolution pour soutenir que les conditions exigées pour l'achat par X. de ses actions de G. Cameroun sont réunies; et pour en demander l'exécution;
Qu'elle sera, en conséquence, déboutée de ce chef de demande.
Note
L intérêt principal de cette décision tient dans le fait qu'elle constitue, à la connaissance de la rédaction du Penant, la première décision du Tribunal de Commerce de Paris rendue sur le fondement de l'Acte Uniforme de l'OHADA relatif au droit des sociétés commerciales.
Ce jugement porte, en outre, des précisions sur le sens et la portée des articles 765 et 766 de l'AUSC, relatif à l'agrément préalable des Administrateurs ou des Actionnaires non cédants à la cession d'actions dans une Société Anonyme.
I. - SUR LE PRINCIPE DE L'APPLICATION DE L'ACTE UNIFORME PAR LE JUGE FRANÇAIS
Le jeu normal de la règle de conflit de la loi conduit naturellement, dans une situation de droit international, le Juge français à devoir appliquer une loi étrangère.
Ce principe, dont on ne discute plus aujourd'hui le fondement théorique , continue cependant de connaître régulièrement d'importants développements.
C'est ainsi que dans un arrêt récent du 18 septembre 2002, la 1ere Chambre Civile de Cassation a décidé, dans un attendu de principe, « qu'il appartient au Juge saisi de l'application d'un droit étranger, de procéder à sa mise en œuvre et, spécialement, d'en rechercher la teneur, afin de trancher un litige selon ce droit ».
Par cette décision, la Cour de Cassation semble confirmer sa volonté d'unifier le régime de l'application de la loi étrangère .
Cette exigence doit donc conduire le Juge à faire une recherche du contenu de la loi étrangère, qui peut se faire au-delà de la présentation traditionnelle des certificats de coutume, par tout moyen et, notamment, en exigeant la collaboration des parties dans la recherche de ce contenu.
Cette recherche s'effectuant sur le fondement de l'article 13 du Nouveau Code de Procédure Civile, lequel dispose que :
« Le Juge peut inviter les parties à fournir les explications de droit qu'il estime nécessaires à la solution du litige ».
Il peut également recourir à une expertise ou un consultant, voire aux différentes bases de données juridiques qui sont aujourd'hui mises à sa disposition .
En l'espèce, la recherche du Juge du Tribunal de Commerce de Paris se trouvait simplifiée par l'absence de toutes contestations contre l'application au Cameroun, de l'Acte Uniforme OHADA sur les sociétés commerciales, et la clarté de ces dispositions.
Cet Acte Uniforme, qui est entré pleinement en vigueur le 1er janvier 2000, s'applique à toutes les formes de sociétés commerciales constituées dans l'espace OHADA, régit leurs règles de constitution, de fonctionnement, la responsabilité des dirigeants, les liens de droit entre les sociétés, les transformations, fusions, dissolutions, nullités, formalités et publicités des sociétés.
L'application de l'AUSC au problème juridique posé de la transmission des actions d'une société de droit entre associés camerounais n'est, dès lors, pas contestable.
II - SUR LE REGIME DES LIMITATIONS A LA TRANSMISSION DES ACTIONS
II convient de rappeler que l'article 764 de l'AUSC pose le principe général de la libre
transmission des actions des sociétés anonymes, tout en indiquant les modalités de cette transmission, lesquelles caractérisent essentiellement leur négociabilité, par rapport à la « cessibilité » visée par l'article 57 du même acte.
Toutefois, par dérogation à ce principe, l'article 765 permet d'apporter des restrictions et de contrôler les transmissions, pourvu que les statuts le prévoient, soit dès la création de la société, soit au cours de la vie sociale, par suite d'une modification apportée par l'assemblée générale extraordinaire.
C'est ainsi, et à condition que toutes les actions de la société anonyme revêtent la forme nominative, que les statuts peuvent limiter cette négociabilité :
– à des tiers étrangers à la société, en soumettant celle-ci à l'agrément préalable; en
conséquence, les transferts entre actionnaires doivent demeurer libres et ce, même, semble-t-il, entre actionnaires de catégories différentes;
– en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, ou de cession à un conjoint, à un ascendant ou à un descendant.
Cet agrément préalable peut, au choix des statuts relever, soit de la décision du conseil d'administration ou de l'administrateur général, soit de celle de l'assemblée générale ordinaire.
Il ne peut, par contre, relever de la compétence de l'assemblée générale extraordinaire.
Les commentateurs ont noté par ailleurs, que l'AUSC admettait la possibilité de prévoir un droit de préemption en faveur de tout ou partie des actionnaires de la société, ou encore la stipulation d'une interdiction temporaire de transmission d'actions, dès lors que celle-ci était justifiée par l'intérêt social.
En cas d'agrément préalable venant limiter cette libre transmission, l'actionnaire cédant ne peut prendre part au vote au sein du conseil d'administration ou de l'assemblée générale ordinaire, et ses actions ne peuvent être décomptées dans le quorum.
Il s'agit là d'une règle déjà connue au Cameroun, sous l'empire de la loi française du 24 juillet 1966 (art. 274 alinéa, qui s'est trouvée reprise ici par l'AUSC, lequel vise expressément la non participation au quorum et au vote de « l'administrateur cédant ».
Nous pouvons observer qu'il s'agit là, avec le régime de convention réglementée, de la seule exception expressément visée par l'AUSC, restreignant le vote au sein du conseil d'administration.
En effet, aucune règle légale en-dehors de celle-ci, n'interdit expressément à un administrateur de prendre part à un vote le concernant et, notamment, rien ne s'oppose à ce qu'un administrateur prenne part au vote relatif à sa nomination en qualité de Président.
De même, on pourrait s'interroger, en l'absence de toute disposition de l'AUSC, sur la validité d'une autorisation de cession d'actions à un tiers, qui serait votée par les membres majoritaires du conseil, alors que les actions concernées appartiennent à un Groupe dont dépendent les administrateurs votants .
L’interprétation ici donnée par le Tribunal de Commerce de Paris, de l’AUSC, sera donc parfaitement conforme à la lettre et à l’esprit des dispositions de cet Acte uniforme, et permet ainsi d’enrichir la jurisprudence naissante de l’OHADA.