J-03-276
SOCIETES COMMERCIALES – SOCIETE D’ETAT COMMERCIALE PAR LA FORME – SOUMISSION A L’ACTE UNIFORME SUR LES SOCIETES COMMERCIALES ET LES GROUPEMENTS D’INTERET ECONOMIQUE (AUSCGIE).
Une société d’Etat, personne morale de droit privé, commerciale par sa forme est soumise à l’acte uniforme sur les société commerciales et les groupements d’intérêt économique.
Article 1 AUSCGIE
(Cour d’Appel d’Abidjan, arrêt N°615 du 20 Mai 2003, Port Autonome d’Abidjan (PAA) C/ Entreprise Graviers et Sables (EGS)).
LA COUR,
Vu les pièces du dossier;
Ensemble l'exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après;
DES FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Suivant cahier des charges en date du 27 Mai 1977, le Port d'Abidjan a accordé à l'ENTREPRISE GRAVIERS et SABLES dite EGS, une SARL, une autorisa­tion d'occuper le lot n°349 TER, un terrain portuaire de la zone des indus­tries navales de Vridi pour une durée de trente ans, à compter du 1er Juillet 1977, en vue d'y élever des constructions (un hangar, un bureau, une pompe station service et un magasin de stockage de matériel et de pièces détachées);
En Mai 2002, le Port Autonome d'Abidjan faisant constater par pro­cès-verbal d'huissier que EGS avait sous-loué le lot litigieux à la SOCOP-CI pour lui permettre d'entreposer son cacao;
Par courrier en date du 23 Août 2002, le PAA faisait connaître à EGS qu'il lui retirait purement et simplement l'autorisation d'occupation sus­mentionnée; et qu'il l'invitait à prendre toutes les dispositions utiles pour libérer les lieux loués;
Mais ayant constaté que le permissionnaire ne s'est pas volontaire­ment exécuté, le PAA a procédé au déguerpissement des lieux loués;
EGS a alors sollicité et obtenu du juge des référés du Tribunal de Première Instance d'Abidjan l'ordonnance n°5340 en date du 21 Novembre 2002 dont le dispositif est le suivant :
"Rejetons l'exception d'incompétence soulevée par le Port Autonome d'Abidjan;
Ordonnons la réintégration d'EGS dans les locaux objet de la convention de concession du 3 Août 1977;
Rejetons la demande d'astreinte..";
Par actes d'huissier des 3 et 5 Décembre 2002 le Port Autonome d'Abidjan a relevé appel de ladite ordonnance avec ajournement au 10 Décembre 2002;
A l'appui de son appel le Port Autonome d'Abidjan explique sur :
A) Le caractère Administratif de l'autorisation d'occuper et de la décision de retrait
Sur ce point le PAA expose que le premier juge s'est fondé sur la loi n°80-1071 du 13 Septembre 1980 pour dire que les Sociétés d'Etat sont commerciales par leur forme et soumises aux règles de droit privé et que par conséquent, les actes de retrait d'autorisation et d'expulsion n'émaneraient que d'une personne privée;
Le PAA soutient que ce raisonnement manque de pertinence dès lors que ce n'est pas la nature juridique du PAA (personne morale publique ou privée) qui est essentielle, mais plutôt l'objet sur lequel porte l'autorisation et la décision de retrait de celle-ci;
Qu'effectivement le lot litigieux fait partie du domaine public portuaire et du canal de Vridi concédé par l'Etat au PAA, avec pour mission de gérer ce service public spécialisé;
Le Port Autonome d'Abidjan en conclut que c'est le service public concédé et non la nature juridique de la personne ayant en charge sa gestion qui justifie le régime exorbitant du droit commun, dès lors qu'il convient d'approprier le régime juridique à la mission confiée;
B) L'incompétence des Juridictions de droit commun
L'appelant explique que le décret-loi du 17 Juin 1938 en son article 1er détermine expressément comme acte administratif, tout contrat comportant occupation du domaine public et la soumet à un régime juridique et contentieux de droit administratif;
Qu'il ne fait pas de doute que, depuis la détermination par le décret du 29 Septembre 1928 du domaine public ivoirien, font partie du domaine public de l'Etat, les Ports, digues, canaux de navigation.. ainsi que leurs dépendances;
Que ce domaine public de l'Etat et le canal de Vridi n'ont été concédée au PAA qu'en vue d'une mission spéciale de service public;
Le Port Autonome d'Abidjan explique par ailleurs que l'article 5 (ou l'article 221 en cas d'urgence) du code de procédure civile et commer­ciale dispose, que les Tribunaux de Première Instance et leurs sections déta­chées (ou le juge des référés desdites juridictions) ne connaissent que des affaires civiles, commerciales, administratives et fiscales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée expressément à une autre juridiction en raison de la nature de l'affaire;
Le PAA en conclut qu'il ne peut être fait application à la décision de retrait de l'autorisation d'occupation du lot litigieux, ainsi qu'à la mesure d'expulsion, que du droit administratif dans ses aspects relevant du juge administratif;
C) Subsidiairement sur les pouvoirs exorbitant du droit commun du concessionnaire du domaine public.
Le Port autonome d'Abidjan explique qu'en tant que concessionnaire d'une mission de service public, et mandataire de l'Etat, il dispose pour l'exécution des contrats portant sur le domaine public portuaire des pouvoirs exorbitant du droit commun;
Qu'aussi peut-il décider unilatéralement dans un contrat passé avec un particulier d'une part et s'affranchir du recours à un juge pour appliquer sa décision d'autre part;
Le Port Autonome d'Abidjan conclut qu'en l'espèce, il n'a fait qu'usa­ge des privilèges du préalable et de l'exécution d'office de son mandant, l'Etat;
D) Très subsidiairement sur les motifs du retrait de l'autorisation d'occupation et la mesure d'expulsion;
Le PAA explique que selon l'article 2 in fine du cahier des charges, la sous-location de tout ou partie du lot faisant l'objet de l'autorisation ou de tout ou partie des locaux érigés sur le lot est interdite sans l'accord du conseil du Port;
Que par ailleurs, l'alinéa 1er du même article stipule expressément que les installations serviront uniquement à abriter des véhicules et à stocker le matériel de pièces détachées;
Et que le motif visé par la décision de retrait se fonde sur la sous-location du lot, en violation des stipulations du cahier des charges;
Le PAA explique enfin que l'article 13 dudit cahier des charges n'a pas prévu la convocation de l'occupant pour l'entendre avant une décision, dans l'intérêt général, de suppression totale ou partielle de l'autorisation que lorsque le permissionnaire exécute convenablement ses engagements;
Qu'il va de soi qu'une attitude fautive de l'occupant écarte cette exception de convocation préalable;
En réplique, 1'ENTREPRISE GRAVIERS & SABLES dite EGS explique :
Sur la compétence du juge des référés
Qu'il ne saurait être contesté que le contentieux des contrats ad­ministratif est en principe de pleine juridiction et que le corollaire en est que "le juge du contrat" c'est-à-dire le juge compétent pour connaître du con­tentieux est le Tribunal .de Première Instance d'Abidjan qui doit appliquer des règles de droit public, (confère, Traité de Droit Administratif, DEGNI SEGUI, page 313);
Qu'il suit de là, que c’est donc valablement que le premier juge s'est déclaré compétent;
Sur le bien fondé de la décision du premier juge
EGS soutient que le problème qui se pose dans le cas d'espèce est de savoir si le Port Autonome d'Abidjan pouvait expulser son cocontractant, la Société EGS, en dehors de toute décision de justice;
L’intimée explique que le paa ne rapporte pas la preuve de ce qu'en tant que concessionnaire d'une mission de service public et mandataire de l'Etat il dispose de pouvoir exorbitant du droit commun pour l'exécution de contrats sur le domaine public portuaire;
EGS explique qu'à cet égard, la loi du 13 Septembre 1980 portant réorganisation du secteur public en Côte d'Ivoire consacre le principe de l'ab­sence de prérogative de puissance publique aux Sociétés d'Etat concessionnaires d'une mission de service public;
Qu'il suit de là que dans le cas d'espèce, la Société d'Etat dénommée PAA, se devait d'obtenir du Tribunal de Première Instance d'Abidjan, l'expulsion d'EGS, faute de quoi elle commettrait une véritable voie de fait;
EGS conclut que c'est valablement que le premier juge a ordonné sa réintégration dans les lieux loués;
Répliquant à son tour le PAA affirme que c'est sur des motifs erronés et douteux que la juge des référés s'est appuyé pour rejeter l'exception d'in­compétence qu'il a soulevée et il explique qu'il a simplement plaidé pour sa défense, devant ledit juge des référés, qu'en tant que bénéficiaire d'une conces­sion du domaine public portuaire, il a été mandaté par l'Etat de Côte d'Ivoire pour accomplir cette mission de service public spécialisée et qu'en ce domaine, il agit avec les prérogatives de puissance publique de son mandant;
Le PAA fait remarquer par ailleurs qu'il incombe au juge dès lors qu'une partie invoque les dispositions d'un texte précis au soutien de sa demande, de vérifier 1'applicabilité, desdites dispositions au litige et même d'exa­miner les faits sous tous leurs aspects juridiques, à la lumière successive des diverses règles susceptibles de les régir;
Le Port Autonome d'Abidjan souligne enfin que le juge de par sa fonction, étant tenu de connaître la teneur de la loi nationale en vigueur, ne peut pour en écarter l'application, se borner à énoncer une incertitude quant au fait que ladite loi soit encore en vigueur;
Le Ministère Public suivant conclusions en date du 27 Mars 2003 explique :
Sur l'exception d'incompétence
Que la qualité de personne morale de droit privé de la Société d'Etat PAA telle qu'elle se dégage de la loi n°80-1071 du 13 Septembre 1980 relative à la réorganisation du secteur public n'est pas contestée;
Qu'en outre, la concession d'une parcelle du domaine de l'Etat est une prérogative de puissance publique exercée par le mandataire qu'est le PAA;
Que cependant, par application de la règle de l'accessoire, cette décision de nature administrative suit le régime juridique de la personne morale (Société d'Etat) qui l'a prise dès qu'elle est conforme à son objet social;
Qu'il s'évince de ce qui précède que la convention de concession pas­sée par le PAA relève du droit privé et que le litige né de l'application de cette convention relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire;
Que dès lors, l'article 1er du décret-loi du 17 Juin 1938 qui donne compétence au juge administratif pour connaître des contentieux nés des contrats comportant occupation du domaine public est contraire à la loi n°80-1071 du 13 Septembre 1980 précitée et ne peut s'appliquer;
Sur le privilège de l'exécution d'office
Le Ministère Public affirme qu'une personne morale de droit privé ne peut recourir à la procédure d'expropriation, à moins d'y être autorisée par la loi;
Que pour justifier l'expulsion forcée de l'entreprise EGS, le PAA invoque l'article 13 de l'autorisation d'occupation accordée à cette dernière;
Mais que cette convention a été passée sous l'empire de la loi n°62-82 du 12 Mars 1962 relative aux entreprises publiques qui reconnais­sait aux Sociétés d'Etat la possibilité de recourir à la procédure d'expro­priation;
Que cette loi a été abrogée par la loi n°80-1071 du 13 Septembre 1980 précitée dans laquelle cette prérogative n'est pas inscrite;
Qu'il s'ensuit que le Port Autonome d'Abidjan ne peut l'exercer;
Le Ministère Public requiert en conséquence, qu'il plaise à la Cour de :
Déclarer l'appel du PAA recevable et mal fondé;
Confirmer le jugement entrepris;
DES MOTIFS
EN LA FORME
L'appel du PAA étant intervenu dans les conditions de forme et délai prescrits par la loi, il y a lieu de le déclarer recevable;
AU FOND
Sur la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire
L'article 1er de l'Acte Uniforme relatif au droit des Sociétés commerciales et du groupement d'intérêts économiques dispose que : "toute Société commerciale y compris celle dans laquelle un Etat ou une personne morale de droit public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l'un des Etats partie au Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires (…) est soumise aux dispositions du présent Acte Uni­forme …
… En outre, les Sociétés Commerciales et les groupements d'in­térêt économique demeurent soumis aux lois non contraires au présent Acte Uniforme qui sont applicables dans l'Etat partie où se situe leur siège social.";
Aux termes de l'article 4 de la loi N°97-519 du 4 Septembre 1997 portant définition et organisation des Sociétés d'Etat, "la Société d'Etat est une personne de droit privé, commerciale par sa forme..";
Selon l'article 1er des statuts du Port Autonome d'Abidjan et approuvé par le décret n°2001-143 en date du 14 Mars 2001, le PAA est une Société d'Etat… régie par la loi n°97-519 du 4 Septembre 1997 susvisée.. et par les dispositions de l'Acte Uniforme relatif au droit des Sociétés Commerciales et du GIE..";
II résulte de ce qui précède que les juridictions de l'ordre judi­ciaire sont compétentes et que le PAA est soumis au traité OHADA;
Sur la demande de réintégration d'EGS
Le PAA en expulsant EGS des lieux loués au mépris des dispositions de l'Acte Uniforme relatif au Droit Commercial général en son article 101 et en dehors de toute décision de justice, commet une voie de fait qu'il convient de faire cesser au vu de l'urgence par sa réintégration;
Sur les dépens
Le PAA qui succombe doit supporter les dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort;
Déclare le Port Autonome d'Abidjan recevable en son appel relevé de l'ordonnance de référé n°5340 rendue le 21 Novembre 2002 par la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance d'Abidjan;
Dit que le juge des référés est compétent pour connaître de la cause
Déclare le paa mal fondé en son appel;
L'en déboute;
Confirme par substitution de motifs l'ordonnance querellée;
Condamne le PAA aux dépens.