J-05-356
RECOUVREMENT DE CREANCE – REQUETE – MENTIONS – ELEMENTS CONSTITUTIFS ET FONDEMENT DE LA CREANCE – INDICATION (NON) – IRRECEVABILITE.
La requête aux fins d’injonction de payer doit être déclarée irrecevable dès lors qu’elle n’indique pas les différents éléments constitutifs de la créance et ne précise pas le fondement de ladite créance, comme l’exige l’article 4, 2ème alinéa de l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
En conséquence, l’ordonnance d’injonction de payer rendue doit être annulée. En décidant autrement, la Cour d’appel a violé l’article précité est expose sa décision à la cassation.
CCJA, 1ère chambre, arrêt n° 11 du 24 f évrier 2005, CI-TELECOM c/ SOCIETE PUB IMPRIM, Juris Ohada, n° 2/2005, p. 5. Voir infra note Joseph ISSA SAYEGH faite en dehors de la revue Juris Ohada.- Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 5 janvier-juin 2005, volume 2, p. 23).
LA COUR,
Sur le renvoi en application de l'article 15 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique devant la Cour de céans de l'affaire COTE D'IVOIRE TELECOM dite CI-TELECOM contre SOCIETE PUB IMPRIM par Arrêt n° 344/03 du 12 juin 2003 de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire, chambre judiciaire, saisie d'un pourvoi initié le 27 juillet 2000 par Maître BOKOLA Lydie Chantal, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan, 15, avenue Docteur CROZET, immeuble SCIA n° 03, 2è étage, porte 20, 01 B.P. 2722 Abidjan 01, agissant au nom et pour le compte de COTE D'IVOIRE TELECOM dite CI-TELECOM dans la cause qui l'oppose à la Société PUB IMPRIM, Société à responsabilité limitée au capital de 10 millions de francs, sise à Abidjan - Plateau, Avenue Noguès 20 B,P : 1482 Abidjan 20, pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans sous le n° 091/2003/PC du 23 octobre 2003, en cassation de l'Arrêt no625 rendu le 19 mai 2000 par la première chambre civile et commerciale de la Cour d'appel d'Abidjan et dont le dispositif est le suivant :
«Statuant publiquement,
ressort,
contradictoirement,
en matière de référé et en dernier
En la forme :
Vu l'Arrêt mixte no128/ADD en date du 28 janvier 2000 ayant statué sur la recevabilité; Au fond : Déclare la Société COTE D'IVOIRE TELECOM mal fondée en son appel relevé du Jugement civil n° 245 en date du 28 juin 1999 rendu par le Tribunal de première instance d'Abidjan;»
La requérante invoque à l'appui de son pourvoi les deux moyens de cassation tels qu'ils figurent à la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur Jacques M'BOSSO, Président
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 15 du Traité relatif à l'harmonisation du droi des affaires en Afrique;
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu que bien qu'ayant été régulièrement informée par lettre no551J2003/65 du 04 décembre 2003 de la transmission du dossier du présent recours à la Cour de céans et de son enregistrement sous le n° 091/2003/PC du 23 octobre 2003, la société PUB IMPRIM n'a pas présenté d'observations dans le délai d'un mois qui lui a été imparti; que le principe du contradictoire ayant été respecté et le dossier étant en état, il y a lieu d'examiner ledit recours;
Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces du dossier de la procédure que le 08 avril 1999, la Société PUB IMPRIM, Société à responsabilité limitée, au capital de 10 millions de francs, sise à Abidjan-Plateau, Avenue Noguès, 20 B.P.1482 Abidjan 20, a saisi le Président du Tribunal de première instance d'Abidjan d'une requête aux fins d'injonction de payer de la somme de quinze millions deux cent soixante et un mille (15.261.000}F CFA représentant le montant de deux factures n° 1195/PI du 29 septembre 1995 et n° 1199 du 19/10/1995 qui n'auraient pas été payées par la Société COTE D'IVOIRE TELECOM; que par Ordonnance n° 2058/99 du 08 avril 1999 rendue au pied de ladite requête, la Société COTE D'IVOIRE TELECOM a été condamnée «à payer à la Société PUB IMPRIM la somme de 15.261.000 F CFA en principal outre les intérêts et frais afférents à la (...) procédure»; qu'après la signification à lui faite le 22 avril 1999 de ladite ordonnance, COTE D'IVOIRE TELECOM a fait opposition devant le Tribunal de première instance d'Abidjan par exploit en date du OS mai 1999; que se prononçant sur la cause, ledit Tribunal a déclaré l'opposition de COTE D'IVOIRE TELECOM irrecevable pour tardiveté par Jugement n° 245 du 28 juin 1999; que par exploit en date du 26 juillet 1999 du ministère de Maître BROU KOUAME, huissier de justice à Abidjan, COTE D'IVOIRE TELECOM a interjeté appel du jugement précité aux fins de le voir infirmer en toutes ses dispositions; que statuant sur la cause, la Cour d'appel d'Abidjan a, d'abord par Arrêt 128 ADD du 28/01/2000, «en la forme déclaré la CI-TELECOM recevable en son appel et au fond, [mais] ADD, ordonné une mise en état aux fins spécifiées dans les motifs, désigné à l'effet d'y procéder, le conseiller de la mise en état de la 1 ere chambre civile» et ensuite, par Arrêt n° 625 du 19J.uin. 2bOO, déclaré «la Société COTE D'IVOIRE TELECOM mal fondée en son appel » relevé du jugement attaqué; que par exploit aux fins de pourvoi en cassation en date du 27 juillet 2000 de Maître BROU KOUAME, huissier de justice, COTE D'IVOIRE TELECOM a saisi la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE d'un pourvoi en cassation de l'Arrêt n° 625 précité de la Cour d'appel d'Abidjan; que considérant pour sa part que l'affaire dont elle était saisie soulève des questions relatives à l'application des Actes uniformes ou des règlements prévus au Traité institutif de l'OHADA, la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE s'est dessaisie, par Arrêt n° 344/03 du 12 juin 2003, du pourvoi au profit de la Cour de céans;
Sur le cremier moven
Vu l'article 4, 2ème alinéa, 1 et 2 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir violé la loi ou commis une erreur dans son application ou son interprétation en ce que la Cour d'appela déclaré la requête aux fins d'injonction de payer en date du 08 avril 1999 de la Société PUB IMPRIM recevable alors même qu'elle est irrecevable au regard des dispositions de l'article 4, alinéa 2, paragraphe 2 de l'Acte uniforme susvisé dans la mesure où ladite requête «ne contient ni le décompte de la somme réclamée, ni le fondement de celle-ci»; que contrairement à ce que soutient la Cour d'appel dans la motivation de "arrêt attaqué, l'indication du montant cumulé des deux factures avec la mention des références ne correspond qu'à l'indication de la somme réclamée à savoir 15.261.000 F CFA et non au décompte de cette somme qui devrait être fait dans la requête alors même que tel n'a jamais été le cas puisque le montant de chacune de ces factures n'a jamais été précisé dans la requête; que s'agissant du fondement de la somme réclamée et contrairement à la motivation de l'arrêt de la Cour d'appel, toujours selon le moyen, «il ne résulte nulle part de la requête du 08 avril 2000 que la Société PUB IMPRIM ait précisé que la somme réclamée proviendrait d'une livraison de produits»; qu'il suit que la Cour d'appel d'Abidjan, en statuant comme elle l'a fait par l'Arrêt attaqué, a violé ou erré dans l'application ou l'interprétation de l'article 4, alinéa 2, paragraphe 2 de l'Acte uniforme susvisé et qu'il échet par conséquent de casser et annuler l'Arrêt no625 du 19 mai 2000 et de dire et juger que la requête de la Société PUB IMPRIM est irrecevable»;
Attendu qu'aux termes de l'article 4, 2ème alinéa, 1 et 2 de l'Acte uniforme susvisé, la requête aux fins d'injonction de payer «contient, à peine d'irrecevabilité :
1) les noms, prénoms, professions et domiciles des parties ou pour les personnes morales, leurs formes, dénomination et siège social;
2) l'indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance ainsi que le fondement de celle-ci. Elle est accompagnée des documents justificatifs en originaux ou en copies certifiées conformes (...) »;
Attendu que l'examen des pièces du dossier de la procédure révèle que pour rejeter l'exception d'irrecevabilité de la requête d'injonction de payer de la Société PUB IMPRIM soulevée par COTE D'IVOIRE TELECOM, la Cour d'appel a considéré qu' «au regard de la requête aux fins d'injonction de payer présentée devant le Président du Tribunal par la Société PUB IMPRIM, il apparaîtra que le montant cumulé des deux factures impayées y a été indiqué avec la mention des références de celles-ci. En outre, la Société PUB IMPRIM a précisé le fondement de sa créance résultant d'une livraison de produits (...) »;
Attendu que l'article 4, 2éme alinéa, 2 de l'Acte uniforme sus énoncé prescrit que la requête aux fins d'injonction de payer doit, non seulement contenir la mention du montant précis de la créance réclamée, mais aussi, en indiquer les différents éléments constitutifs et le fondement de ladite créance;
Attendu, en l'espèce, que la requête aux fins d'injonction de payer de la Société PUB IMPRIM du 08 avril 1999 s'est seulement bornée à mentionner le montant cumulé des deux factures formant la créance sans indiquer les différents éléments constitutifs de celle-ci et sans préciser le fondement de ladite créance contrairement à la motivation de l'arrêt de la Cour d'appel indiquant que «PUB IMPRIM a précisé que sa créance résulte d'une livraison de produits» alors qu'un tel fondement n'est nulle part indiqué dans la requête du 08 avril 1999; qu'il suit qu'en déclarant recevable ladite requête, qui rie satisfait pas à toutes les conditions énumérées à l'article 4ème alinéa, 2 de l'Acte uniforme susvisé, la Cour d'appel d'Abidjan a violé ledit article et exposé sa décision à 1 a cassation; qu'en conséquence, il échet de casser l'arrêt attaqué pour violation de la loi sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen et d'évoquer;
Sur l'évocation
Attendu que par exploit d'huissier du 26 juillet 1999, la Société COTE D'IVOIRE TELECOM a déclaré interjeter appel du Jugement n° 245 du 28 juin 1999 du Tribunal de première instance d'Abidjan;
Attendu que la Société COTE D'IVOIRE TELECOM fait grief audit Jugement d'avoir confirmé l'Ordonnance n° 2058 rendue le 08 avril 1999 par la juridiction présidentielle dudit Tribunal alors même que la requête par laquelle ladite juridiction présidentielle a été saisie était irrecevable pour cause de violation des dispositions de l'article 4.2 de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution; qu'elle demande en conséquence que ledit jugement soit infirmé en toutes ses dispositions et que l'Ordonnance d'injonction de payer n° 2058 du 08 avril soit rétractée;
Attendu que la Société PUB IMPRIM demande pour sa part, que le jugement querellé soit confirmé;
Sur la demande d’infirmation du jugement et de rétractation de l'Ordonnance n 2058 du 8 avril 1999
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux sur le fondement desquels l'Arrêt attaqué a été cassé, il y a lieu d'infirmer en toutes ses dispositions le Jugement n° 245 rendu le 28 juin 1999 par le Tribunal de première instance d'Abidjan, de dire que la requête aux fins d'injonction de payer de la Société PUB IMPRIM est irrecevable parce que ne satisfaisant pas aux conditions de l'article 4, 2éme alinéa, 2) de l'Acte uniforme précité et d'annuler par voie de conséquence l'Ordonnance n° 2058 du 08 avril 1999;
Attendu que la Société PUB IMPRIM ayant succombé, doit être condamnée aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré, Casse l'Arrêt n° 625 rendu le 19juin 2000 par la Cour d'appel d'Abidjan;
Evoquant et statuant sur te fond;
Infirme en toutes ses dispositions le Jugement n° 245 rendu le 28 juin 1999 par le Tribunat de première instance d'Abidjan;
Déclare irrecevable la requête aux fins d'injonction de payer de la société PUB IMPRIM;
Annule en conséquence l'ordonnance d'injonction de payer n° 2058 rendue le 08 avril 1999 par le Président du Tribunal de première instance d'Abidjan;
PRESIDENT : M. JACQUES M'BOSSO
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur
Qu’il nous soit permis d’atténuer chez le lecteur, l’apparence de l’extrême rigorisme et formalisme de la CCCJA.
Si l’article 4, alinéa 2 AUPSRVE exige, à peine d’irrecevabilité, que soit mentionné dans la requête le montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance ainsi que le fondement de celle-ci, c’est afin que le juge saisi, dans une phase non contradictoire, puisse vérifier le caractère sérieux de la requête. Et s’il estime que les éléments de sa conviction font défaut, il doit rejeter la requête aux fins d’ordonnance car, une fois rendue, si celle-ci n’est pas l’objet d’une opposition, elle peut constituer un titre exécutoire sans débats contradictoires entre les parties.
Mais dès lors qu’il y a opposition et que l’affaire est portée devant le tribunal (et, éventuellement, en appel), les choses ne se présentent plus de la même façon; les parties débattent contradictoirement du bien fondé ou non de la créance ou peuvent en avoir l’occasion. A ce stade, il ne s’agit plus de déclarer la requête irrecevable ou non mais de faire droit à la demande du créancier de condamnation du débiteur ou de l’en débouter. La question de savoir s’il fallait ou non remplir les mentions de l’article 4 AUPSRVE devient alors sans objet.
C’est pourquoi, si l’instance devant le tribunal et la cour d’appel d’Abidjan avait pour seul objet la question de l’irrecevabilité, on pourrait approuver la CCJA (sous réserve de dire qu’elle aurait pu rappeler aux juges du fond la possibilité, voire le devoir de statuer sur le fond); mais si les juges du fond avaient été saisis de la question du fond, ils auraient dû se prononcer sur elle et écarter la question de la recevabilité de la requête. C’est bien ce que suggère la décision de la CCJA, 1ère chambre, arrêt n° 28 du 31 mars 2005, Ohadata J-05-380 (qui doit être approuvée sans réserve).
1 Une instance spécialement consacrée à cet effet serait, d’ailleurs, inutile, déraisonnable et dilatoire; autant entreprendre le débat sur le fond devant le Tribunal saisi de l’opposition.