J-06-48
CCJA – LITIGE SOUMIS AUX JUGE DU FOND APRES L’ENTREE EN VIGUEUR DU TRAITE OHADA – COMPETENCE DE LA CCJA (OUI) – COMPETENCE DE LA COUR SUPREME MALIENNE (NON) – ARTICLE 14 DU TRAITE OHADA.
En l’espèce, le litige opposant la SEMOS S.A. à BETRA ayant été soumis aux juges du fond maliens le 04 mars 1999, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, intervenue le 1er janvier 1998, ledit Acte uniforme ayant intégré l’ordre juridique interne de la République du MALI à la date de la saisine du Tribunal de Commerce de Bamako, les conditions de compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, telles que spécifiées à l’article 14 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, étaient réunies. Dès lors, c’est à tort que la Cour Suprême de la République du MALI s’est déclarée compétente.
Article 14 DU TRAITE OHADA
COUR COMMUNE DE JUSTICE ET D’ARBITRAGE (CCJA), ARRET N 055/2005 du 15 décembre 2005, Affaire Société d’Exploitation des Mines d’Or de Sadio la dite SEMOS SA, (Conseil : Maître Harouna TOUREH, Avocat à la Cour) contre Barou Entreprises des Travaux dite BETRA (Conseil : Maître Issiaka KEITA, Avocat à la Cour), Recueil de jurisprudence de la CCJA, n 6, juin- décembre 2005, p. 32. Le Juris Ohada, n 2/2006, p. 13.
Pourvoi : n 008/2004/PC du 04 février 2004.
LA COUR
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Deuxième Chambre, a rendu l’Arrêt suivant en son audience publique du 15 décembre 2005, où étaient présents :
– Messieurs Antoine Joachim OLIVEIRA, Président;
– Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge, rapporteur;
– Boubacar DICKO, Juge;
– Et Maître ASSIEHUE Acka, Greffier.
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 04 février 2004 et formé par Maître Harouna TOUREH,cabinet TOUREH et Associés, Avocats, B.P. 1993 Bamako, Mali, agissant au nom et pour le compte de la Société d’Exploitation des Mines d’Or de Sadiola dite SEMOS SA, B.P./ E-1194 Bamako Mali, dans la cause qui l’oppose à Barou Entreprises des Travaux dite BETRA, B.P. E-1705 Bamako, Mali.
En annulation de l’Arrêt n 07 rendu le 08 avril 2002 par la Cour Suprême du Mali et dont le dispositif est le suivant :
-« EN LA FORME.
Reçoit le pourvoi.
Rejette l’exception d’incompétence.
En conséquence, la Cour se déclare compétente et renvoie sine die l’affaire pour mise en état.
Réserve les dépens ».
La requérante invoque à l’appui de son pourvoi, le moyen unique d’annulation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Doumssinrinmbaye BAHDJE :
Vu les dispositions de l’article 18 du Traité institutif de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique.
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier de la procédure que la Société des Mines d’Or de Sadiola dite SEMOS SA et Barou Entreprises des Travaux dite BETRA ont conclu en juillet 1997, un marché ayant pour objet la construction de logements et de club de recréation pour la SEMOS SA, à la Cité minière de Sadiola; que le contrat a été conclu pour un coût global non révisable de deux cent soixante dix millions deux cent quatre vingt dix huit mille trois cent cinquante sept (270.298.357) francs CFA; que l’article 27 du contrat, relatif au régime fiscal et douanier, précise que ledit marché est exonéré de droit de douane et de TVA; que l’article 21 stipule que le montant du marché indiqué dans la lettre de soumission s’entend hors taxes et droit de douanes; que cependant, BETRA a exécuté ce marché en achetant le matériel et les matériaux toutes taxes comprises, la SEMOS SA n’ayant pas, selon elle, mis à sa disposition les documents lui permettant de bénéficier des exonérations; que par requête du 04 mars 1999, BETRA, représentée par son Conseil Maître Issiaka KEITA, Avocat à la Cour, a saisi le Tribunal de Commerce de Bamako d’une réclamation dirigée contre la SEMOS SA, pour le paiement des sommes ci-après :
– 5.405.967 FCFA représentant 2% du montant du marché au titre de la patente;
– 83 000 FCFA au titre du droit d’enregistrement;
– 40.544.754 FCFA représentant la TVA (15% du marché);
– 51.790.185 FCFA au titre des taxes sur les achats de fournitures;
– 7 790 000 FCFareprésentant le montant des travaux supplémentaires effectués et impayés;
– 100 000 000 FCFA à titre de dommages-intérêts.
Attendu que le Tribunal de Commerce de Bamako a rendu dans cette affaire le Jugement n 39 en date du 26 janvier 2000 dont le dispositif est le suivant :
– «. Reçoit Barou Entreprises en sa demande.
Condamne la SEMOS à lui payer :
– 5.405.987 FCFA au titre de la patente sur le marché;
– 40.544.754 FCFA au titre de la TVA;
– 51.790.185 FCFA représentant le montant des taxes;
– 7 790 000 FCFA au titre des travaux supplémentaires;
– 5 000 000 FCFA au titre des dommages-intérêts;
– Déboute BETRA du surplus de sa demande.
– Reçoit la SEMOS en sa demande reconventionnelle mais l’en déboute``
– Ordonne l’exécution provisoire de la décision sauf pour les dommages-intérêts ».
Attendu que les 27 janvier et 08 février 2000, la SEMOS SA et BETRA ont respectivement relevé appel dudit jugement qui a été infirmé en toutes ses dispositions par Arrêt n 375 en date du 15 novembre 2000 de la Cour d’Appel de Bamako; que ce même jour, BETRA s’est pourvue en cassation contre ledit arrêt devant la Cour Suprême du Mali qui, par Arrêt n 7 du 08 avril 2002,a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la SEMOS SA, s’est déclarée compétente et a renvoyé sine die l’affaire pour sa mise en état; que le 03 février 2004, la SEMOS SA saisissait la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA d’un recours aux fins d’annulation de l’Arrêt n 07 rendu le 08 avril 2002 par la Cour Suprême du Mali.
Attendu que l’analyse du dossier révèle que le recours est conforme aux dispositions de l’article 18 du Traité constitutif de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires; que l’arrêt de la Cour Suprême du Mali ayant été signifié le 05 décembre 2003, le recours introduit par la SEMOS SA le 03 février 2004 à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA est intervenu dans le délai de 2 mois prescrit par l’article 18 susvisé et est recevable.
Attendu que BETRA, défenderesse au pourvoi, n’a produit aucun mémoire en réponse, en dépit de la lettre recommandée avec accusé de réception qui lui a été adressée par le Greffier en chef de la Cour de céans, depuis le 17 mai 2004; que le délai de trois mois à lui imparti à cet effet étant expiré, la Cour doit statuer en l’état.
Sur le moyen unique
Attendu que la SEMOS SA, en application de l’article 18 du Traité susvisé, demande à la Cour de céans d’annuler l’Arrêt n 07 rendu le 08 avril 2002 par la Cour Suprême du Mali; qu’elle soutient, d’une part, que le litige qui l’oppose à BETRA est né à l’occasion d’actes effectués par deux sociétés commerciales, dans le cadre d’un contrat conclu entre elles pour les besoins de leur commerce; que conformément à l’article 3 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général, il s’agit d’actes de commerce; qu’elle relève, d’autre part, que l’article 1er de l’Acte uniforme susvisé pose la conditionnalité de la situation du siège de l’une ou des parties sur le territoire de l’un des Etats Parties au Traité; qu’en l’espèce, la SEMOS SA et BETRA sont toutes deux des sociétés commerciales ayant leur siège social au Mali, Etat partie au Traité; qu’elle fait enfin observer que c’est à tort que la Cour Suprême du Mali a écarté l’exception d’incompétence, aux motifs, selon ladite Cour, que le contrat liant les parties a été conclu antérieurement au 1er janvier 1998, date d’entrée en vigueur de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général; qu’elle note que cette argumentation viole aussi bien les « principes universels de procédure judiciaire » que « la jurisprudence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA »; que selon elle, la Cour de céans n’est saisie que des litiges soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et non des contrats à l’origine desdits litiges; que toujours selon elle, le litige dont il s’agit est né après l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme susvisé et BETRA ayant saisi le Tribunal de Commerce de Bamako le 04 mars 1999, à cette date, le Traité et les Actes uniformes subséquents avaient intégré l’ordre juridique interne de la République du Mali; qu’elle conclut que de ce qui précède, la juridiction nationale de cassation du Mali devenait incompétente au profit de la Cour Communautaire, et qu’en se déclarant compétente nonobstant l’exception par elle soulevée, la Cour Suprême du Mali a méconnu la compétence de la Cour de céans et sa décision encourt ainsi l’annulation pure et simple.
Attendu qu’aux termes de l’article 14 du Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats Parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales.
Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes contentieux. »; que l’article 18 dudit traité dispose que : » Toute partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée.
La Cour se prononce sur sa compétence par arrêt qu’elle notifie tant aux parties qu’à la juridiction en cause. Si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue ».
Attendu qu’en l’espèce, le litige opposant la SEMOS SA à BETRAa été soumis aux juges du fond maliens le 04 mars 1999, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, intervenue le 1er janvier 1998; que ledit Acte uniforme ayant intégré l’ordre juridique interne de la République du Mali, à la date de la saisine du Tribunal de Commerce de Bamako, les conditions de compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, telles que spécifiées à l’article 14 sus-énoncé du Traité susvisé étaient réunies; que dès lors, c’est à tort que la Cour Suprême de la République du Mali s’est déclarée compétente; qu’en conséquence, l’Arrêt n 07 qu’elle a rendu le 08 avril 2002 doit être déclaré nul et non avenu.
Attendu qu’il y a lieu de condamner BETRA aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré :
– reçoit le recours en annulation de la Société d’Exploitation des Mines d’Or de Sadiola dite SEMOS SA contre l’Arrêt n 07 du 08 avril 2002 de la Cour Suprême du Mali;
– dit que la Cour Suprême du Mali s’est déclarée compétente à tort pour examiner le pourvoi formé par la Société d’Exploitation des Mines d’Or de Sadiola dite SEMOS SA contre Barou Entreprises des Travaux dite BETRA et dirigé contre le Jugement n 39 du 26 janvier 2000 du Tribunal de Commerce de Bamako;
– déclare en conséquence nul et non avenu l’Arrêt n 07 rendu par ladite Cour le 08 avril 2002;
– condamne Barou Entreprises des Travaux dite BETRA aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et ont signé :
– le Président;
– le Greffier.