J-06-150
ARBITRAGE – CLAUSE COMPROMISSOIRE – SAISINE DU JUGE ETATIQUE – INCOMPETENCE DU JUGE ETATIQUE.
Une juridiction civile saisie d’une affaire dans laquelle les parties sont liées par un contrat commercial contenant une clause compromissoire doit se déclarer incompétent doublement :
d’une part, parce qu’une telle affaire relève d’une juridiction commerciale.
– d’autre part, parce qu’aux termes de l’article 23 du traité du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation d’un Droit des Affaires en Afrique (OHADA) « Tout tribunal d’un Etat partie saisi d’un litige que les parties étaient convenues de soumettre à l’arbitrage se déclarera incompétent si l’une des parties le demande et renverra, le cas échéant, à la procédure d’arbitrage prévue au présent traité ».
Il y adonc lieu de faire droit à l’exception d’incompétence soulevée et de se déclarer incompétent.
Article 23 DU TRAITE OHADA
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE COTONOU, JUGEMENT CONTRADICTOIRE N 19 / 03. 1ère C.CIV du 31 juillet 2003, L’Agent Judiciaire du Trésor c/ Société ZETAH OIL Company Limited.
LE TRIBUNAL.
Vu les pièces du dossier.
Ouï les parties en leurs moyens, fins et conclusions.
Ouï le Ministère Public en son réquisitoire.
Après en avoir délibéré conformément à la loi :
Par exploit en date du 30 août 2002, l’Agent Judiciaire du Trésor a assigné à bref délai et à jour fixe, la société ZETAH OIL Company Limited prise en la personne de son Directeur Général, monsieur Denis Christian TETEGAN devant le Tribunal de Première Instance de Cotonou statuant en matière civile moderne pour :
– s’entendre déclarer recevable en son action;
– voir rejeter toutes les prétentions de la société ZETAH OIL Company Limited comme injustifiées et mal fondées;
– voir constater que la société ZETAH OIL Company n’a honoré aucun des engagements contractuels qu’elle a pris;
– entendre dire et juger qu’il s’agit d’une violation coupable et injustifiée des dispositions des clauses contractuelles;
– voir ordonner la résiliation pure et simple du contrat du 04 octobre 1999 et du protocole d’accord du 11février 2000;
– voir constater que l’inexécution fautive des engagements pris par la défenderesse cause un important préjudice au demandeur;
– s’entendre dire que la clause compromissoire du contrat du 04 octobre 1999 n’est pas applicable;
– voir condamner la défenderesse au paiement de la somme de cinq cent millions (500 000 000) francs CFA à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues.
L’exécution provisoire du présent jugement nonobstant toute voie de recours sur minute, sans caution et avant enregistrement est également sollicitée.
Au soutien de ses prétentions, l’Agent Judiciaire du Trésor expose que le Gouvernement de la République du Bénin a conclu avec la Société ZETAH OIL Company Limited, prise en la personne de son Président Directeur Général, monsieur Denis Christian TETEGAN, un contrat de reprise et d’exploitation du champ pétrolifère de Sèmè.
Qu’aux termes de ce contrat, la société ZETAH OIL Company Limited doit réaliser pendant une période transitoire d’un (01) an soit du 04 octobre 1999 au 04 décembre 2000, un certain nombre de travaux nécessaires au démarrage de ses activités, notamment présenter dans les 90 jours suivant la conclusion du contrat, une garantie banCAIRE et assurer le préfinancement des créances des fournisseurs de l’ex-Projet Pétrolier de Sème ( P.P.S.).
Que par décret N 99-531du 12 novembre 1999, l’Etat Béninoisa permis, pour une durée de 25 ans renouvelable une fois pour une période de dix (10) ans, l’exploitation du champ pétrolifère de Sèmè.
Que par un protocole d’accord du 11février 2000, il a été décidé d’accord parties, des conditions et modalités de paiement par ZETAH OIL Company Limited du bonus de signature tel que défini à l’article 9-3 du contrat d’octobre 1999.
Qu’à ce jour, la société ZETAH OIL Company Limited n’a honoré aucun des engagements qu’elle a pris.
Que les multiples relances et mises en demeure, et même une assignation en exécution forcée en date du 25 février 2002 ne l’ont pas décidé à respecter ces engagements.
Que les dernières visites du champ pétrolifère de Sèmè effectuées par une équipe technique de l’Etat béninois ont révélé des fuites significatives d’huile au niveau des conduites qui se détériorent dangereusement du fait de l’abandon du site par la défenderesse, laissant craindre une grave catastrophe environnementale et écologique pour le pays et même les Etats voisins.
Que cette situation qui constitue des manquements graves et répétés au regard des engagements pris cause de réels préjudices à l’Etat Béninois et ce d’autant plus qu’en dehors des risques de catastrophe écologique, plusieurs sociétés désirant investir sur ce champ pétrolifère se trouvent empêchées du fait du maintien de ce constat.
Que la présente procédure doit être communiquée au Procureur de la République en raison de ce que l’Etat est concerné, de même que son domaine public et ce, pour une bonne administration de la justice conformément aux dispositions de l’article 83 du code de procédure civile.
Que selon l’article 1004 du code de procédure civile, l’Etat ne peut compromettre.
Qu’ainsi la clause compromissoire contenue dans le contrat d’octobre 1999 n’est pas applicable.
Attendu qu’en réplique aux demandes de l’Agent Judiciaire du Trésor, la société ZETAH OIL Company Limited, par le biais de son conseil, sollicite de la juridiction de céans :
– constater que la société ZETAH OIL Company Limited est une société commerciale;
– constater que le différend qui oppose l’Etat béninois et la société ZETAH OIL Company Limited est d’ordre commercial;
– constater les parties litigantes ont prévu dans le contrat du 04 octobre 1999 une clause compromissoire par laquelle elles ont convenu de soumettre le règlement de tous leurs différends à son tribunal arbitral;
– constater que la société ZETAH OIL Company Limited a été assignée en exécution forcée devant la 1ère chambre commerciale du Tribunal de céans et que la procédure, toujours pendante est inscrite sous le N 042 / 2002.
En conséquence
Au principal, se déclarer incompétent.
Au subsidiaire :
-Dire et juger qu’il y aconnexité puis renvoyer la cause devant la première chambre commerciale du Tribunal de céans;
-Condamner l’Agent Judiciaire du Trésor aux dépens.
Qu’au soutien de ses prétentions, la société ZETAH OIL Company Limited développe qu’après qu’elle ait signé, le 04 octobre 1999 avec l’Etat béninois, le contrat pour la réhabilitation et le re-développement du champ pétrolifère de Sèmè, la société caPCO-RESSOURCES, son premier partenaire financier, a fait défection Courant février 2000.
Qu’en dépit de ce silence, elle a entrepris des travaux de réhabilitation des installations du champ pétrolifère avec l’assistance technique de la société SIAMBENIN.
Qu’un procès-verbal de constat d’huissier dressé le 30 juillet 2002asanctionné la visite, sur le site, en sa présence, des experts de la BIBE.
Que c’est dans ce contexte qu’elle a reçu, d’abord l’assignation en exécution forcée en date du 25 février 2002, prise en résiliation du contrat du 04 octobre 1999 devant le tribunal de céans e vertu de l’ordonnance abréviative de délai N 758 / 2002.
Que le Tribunal de Première Instance de Cotonou statuant en matière civile est incompétent pour connaître de la présente affaire en raison de ce que la société ZETAH OIL Company Limited est une société commerciale et que le contrat signé le 04 octobre 1999 avec l’Etat béninois est un contrat commercial.
Qu’ainsi, le juge naturel compétent pour connaître du litige est le juge commercial.
Qu’en outre, le tribunal de première instance de Cotonou statuant en matière civile est incompétent en raison de la connexité entre la présente procédure et celle pendante devant la première chambre commerciale de la même de la même juridiction puis enregistrée sous le N 042 / 2002.
Que par ailleurs, la juridiction de céans est incompétente dans la mesure où le contrat qu’elle a conclu le 04 octobre 1999 avec l’Etat béninois comporte une clause compromissoire l’Etat pour l’application de laquelle l’immunité de juridiction de l’Etat ne constitue aucun obstacle et ce, par application des dispositions du traité de l’OHADA.
Que l’article 21dudit traité dont la valeur est supérieure à celle des lois nationales, admet la validité de la clause compromissoire dès lors que le différend est d’ordre contractuels sans restriction relativement à la qualité des parties.
Attendu que le Ministère Public requiert du Tribunal de céans :
– se déclarer compétent pour connaître du litige;
– constater que la société ZETAH OIL Company Limited a manqué aux dispositions du contrat qu’elle a signé le 04 octobre 1999 avec l’Etat béninois pour la reprise du champ pétrolifère de Sèmè;
– ordonner la résiliation dudit contrat et du protocole d’accord du 11février 2000 qui est un acte subséquent;
– ordonner l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant toutes voies de recours sur minute et avant enregistrement.
Qu’à l’appui de ses réquisitions, il soutient qu’aucune des conditions visées à l’article 21,1 1du contrat du 04 octobre 1999 n’est remplie.
Que conformément aux stipulations de l’article 23.1, les parties disposent d’un droit de résiliation du contrat encas de manquement par l’une d’elle aux obligations mises à sa charge.
Qu’il s’en réfère aux conclusions de l’Agent Judiciaire du Trésor pour ce qui est de la compétence du tribunal de céans.
Sur l’incompétence soulevée
Attendu que la société ZETAH OIL Company Limited soulève l’incompétence du tribunal de céans motif pris de ce que d’abord la demande qui lui est soumise est relative à l’exécution d’un contrat commercial alors que la juridiction saisie est civile; qu’ensuite il existe une connexité entre procédure celle portant N 042 / 2002 pendant devant la première chambre commerciale du même tribunal; qu’enfin le contrat dont la résiliation est demandée comporte une clause compromissoire.
Attendu qu’aux termes de l’article 23 du traité du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation d’un Droit des Affaires en Afrique ( OHADA ) « Tout tribunal d’un Etat partie saisi d’un litige que les parties étaient convenues de soumettre à l’arbitrage se déclarera incompétent si l’une des parties le demande et renverra, le cas échéant, à la procédure d’arbitrage prévue au présent traité ».
Attendu qu’en l’espèce, aux termes de l’article 21 1.1du contrat en date du 04 octobre 1999, pour la reprise et l’exploitation du champ pétrolifère de Sèmè, « tout différend ou réclamation liée à une question ou opération relevant du contrat ou s’y rapportant, y compris, entre autres, tout différend ou réclamation relative à sa validité, son interprétation, son exécution, la cession des droits y afférents ou l’omission des obligations qu’il implique ne pouvant pas être réglé à l’amiable entre les parties, doit être tranché de façon définitive et exclusive par voie d’arbitrage à l’initiative de l’une ou l’autre des parties ».
Qu’en outre le protocole d’accord pour le préfinancement des dettes du projet pétrolier de Sèmè du 11février 2000 prévoit en son article 13 » Les parties conviennent que tout litige découlant de l’interprétation ou de l’exécution du présent accord sera réglé au préalable à l’amiable du présent accord sera réglé dans un délai de trente (30) jours.
Encas de désaccord, le tige sera soumis à un arbitrage conformément aux règles de la chambre de commerce internationale de Paris ».
Qu’il en résulte que les dispositions des articles 21 1.1du contrat et 13 du protocole d’accord sus-indiquées s’analysent en une convention d’arbitrage.
Qu’il y a lieu de faire droit à l’exception d’incompétence soulevée et de se déclarer incompétent.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile moderne et en premier ressort :
Se déclare incompétent.
Met les frais à la charge du Trésor Public.
Le Président.
Le Greffier.
Observations de Joseph ISSA SAYEGH, Professeur
Cette décision doit être approuvée sous les deux réserves suivantes :
en premier lieu, il n’était point besoin d’évoquer la compétence d’une juridiction commerciale pour évincer la compétence de la juridiction civile; il suffit d’invoquer la clause compromissoire pour qu’aucune juridiction étatique, commerciale ou civile puisse être compétente.
en outre, l’article 23 du Traité Ohada est invoqué mal à propos; en effet, celui-ci ne concerne que les arbitrages relevant de la CCJA en tant que centre d’arbitrage alors que celui en cause, en l’espèce, relève de la Chambre de commerce internationale de Paris; c’est plutôt l’article 13 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage qui est, ici, applicable.