J-08-76
Droit des sociétés commerciales – Société en liquidation – Actes et documents – Acte d’appel – Mentions – Observation (non) – Nullité – Irrecevabilité de l’appel.
La mention société en liquidation ainsi que le nom du ou des liquidations devant figurer sur les actes et documents émanant de la société et destinés aux tiers, dès la dissolution de celle-ci, doit être déclaré nul l’acte d’appel et conséquemment, l’appel irrecevable, dès lors que ledit acte ne fait aucunement mention de sa situation de « société en liquidation », encore moins de la qualité de liquidation, alors même qu’il résulte suffisamment du procès-verbal de l’assemblée générale, que celle-ci est en liquidation et Monsieur J.S, nommé liquidateur.
Cour d’Appel d’Abidjan, 1ère Chambre Civile et Commerciale, Arrêt n 529 du 20 mai 2005, Affaire : SOCIETE CANAPLAST SARL c/ LA DIRECTION GENERALE DES IMPOTS DE COTE D’IVOIRE DITE D.G.I. Le Juris Ohada n 2/2007, p. 23.
LA COUR
Vu les pièces du dossier.
Ouï les parties en leurs conclusions.
Ensemble l’exposé des faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après.
Suivant exploit d’huissier daté du 03 mars 2004, la Société CANAPLAST SARL a interjeté appel du jugement N 06/CIV du 23 janvier 2003 rendu par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan Plateau, avec ajournement à la date du 26 mars 2004, et qui en la cause a statué ainsi :
« Statuant publiquement, contradictoirement, en matière administrative et en premier ressort.
Déclare irrecevable l’action de la Société CANAPLAST.
Met les dépens à la charge de CANAPLAST ».
Aux termes de son acte d’appel valant premières conclusions, la Société CANAPLAST explique que le premier juge, pour rendre la décision querellée, a épousé les arguments soulevés par la Direction Générale des Impôts;en le faisant ainsi, le Tribunal de Première Instance a manifestement erré.
En effet, selon l’appelante, à la date du 26 mars 2001, elle a reçu un avis de passage de la Direction Générale des Impôts dite DGI pour effectuer des vérifications portant sur certains documents, notamment les bilans et balance, les déclarations d’impôts sur traitements et salaires, la taxe sur la valeur ajoutée et les acomptes sur divers impôts des exercices 1998-1999 et 2000, et qui sont tenus à la disposition du vérificateur.
Elle poursuit pour dire que le 02 mai 2001, soit moins de deux (2) mois après le passage du vérificateur, elle a reçu de la Sous-Direction des Enquêtes et Recouvrements, une notification provisoire de redressement au titre des Impôts BIC et IRVM des exercices 1998 et 1999.
En réponse à cette notification, elle a adressé le 1er juin 2001 à la Sous-Direction des Enquêtes et Recouvrements, un courrier contestant la procédure de redressement ainsi initiée.
Cependant, malgré ses observations et contestations pertinentes faites, la notification provisoire a été confirmée suivant la notification définitive du 11 juin 2001, avec les montants suivants :
IMPOTS BIC.
Droits simples : 176 639.784 FCFA.
Intérêts de retard : 29 982.831 FCFA.
Majoration : 24 495.968 FCFA.
IMPOTS IRVM.
Droits simples : 68 820.695 FCFA.
Intérêts de retard : 11.681.662 FCFA.
Majoration : 10.323.104 FCFA.
Ce redressement, selon CANAPLAST, a donné lieu à une déclaration fiscale de sa part et elle a par ailleurs, sollicité une suspension des poursuites, en attendant les résultats du recours hiérarchique exercé devant le Directeur Général des Impôts.
Malheureusement, elle souligne que sa demande n’a eu aucune suite car, à l’expiration du délai légal de deux (2) mois, le Directeur Général des Impôts n’a émis aucun avis, ce silence équivalant ainsi à un rejet tacite.
Et c’est donc à bon droit que sur le fondement des dispositions de l’article 164 du Livre de Procédure Fiscale, elle a formé le recours devant le Tribunal qui a déclaré, par la suite, son recours irrecevable.
C’est donc cette décision injuste qu’elle défère à la censure de la Cour de céans.
Pour soutenir son argumentation, la société CANAPLAST soutient que s’il est exact que la saisine du Directeur Général des Impôts est un préalable obligatoire à toute procédure contentieuse en matière fiscale, il n’en est pas de même de celle du Ministère de l’Economie et des Finances prévue à l’article 15 bis du Livre de Procédure Fiscale, qui dispose qu’ » en cas de rejet de sa requête par le Directeur Général des Impôts, le contribuable est habilité à saisir le Ministre de l’Economie et des Finances, qui statue dans un délai de deux (2) mois à compter de la réception de la réclamation.
Si le Ministre de l’Economie et des Finances n’est pas en mesure de statuer dans ce délai, il doit avant son expiration, en informer le contribuable, en précisant le terme du délai complémentaire qu’il estime nécessaire pour rendre sa décision. Ce délai ne pouvant, en tout état de cause, excéder deux (2) mois.
La décision est notifiée au réclamant et contient en cas de rejet total ou partiel, un exposé des motifs du rejet;l’absence de réponse dans les délais prévus vaut rejet ».
Aussi, elle renchérit pour dire que le titre IV du Livre de Procédure Fiscale intitulé « Contentieux de l’impôt » comporte une section II relative à la « procédure préalable auprès de l’Administration » et les articles 154 à 159 du Livre de Procédure Fiscale réglementant les réclamations que les contribuables doivent obligatoirement porter devant le Directeur Général des Impôts, préalablement à toute saisine de la juridiction compétente, tel que prévu par les articles 164 à 166 du même livre.
Elle souligne que s’il est vrai que la saisine préalable obligatoire du Directeur Général des Impôts fait l’objet d’une réglementation stricte prévue à peine d’irrecevabilité, il n’en demeure pas moins vrai que sa réponse ou celle de son délégué, doit intervenir dans le délai de deux (2) mois suivant la date de réception de la réclamation, sauf prorogation du délai.
Pour elle, la saisine du Ministre de l’Economie et des Finances prévue à l’article 159 bis du Livre de Procédure Fiscale est purement facultative.
En effet, elle indique qu’aux termes de cet article, « le contribuable est habilité à saisir le Ministère de l’Economie et des Finances », c’est-à-dire étymologiquement, que la loi lui donne le droit de saisir ledit ministre.
Or, l’exercice de tout droit est facultatif;dès lors, son bénéficiaire peut décider d’y renoncer.
Dès lors, elle conclut que c’est une mauvaise lecture de l’article 159 bis du Livre de Procédure Fiscale, que de soutenir que la saisine du Ministre de l’Economie et des Finances est prévue à peine d’irrecevabilité de la procédure contentieuse devant le Tribunal compétent.
C’est donc à tort que son action, qui est parfaitement recevable pour avoir été exercée dans le délai légal et précédée du recours préalable obligatoire devant le Directeur Général des Impôts, a été déclarée irrecevable par le premier juge.
Elle sollicite donc l’infirmation du jugement querellé, et la Cour, en statuant à nouveau, dire et juger que la procédure de redressement est irrégulière, donc nulle, et la décharger du payement des sommes réclamées.
Répliquant aux écritures de la société CANAPLAST, l’Etat de Côte d’Ivoire, par le biais de la Direction Générale des Impôts, soulève In limine litis, l’irrecevabilité de l’acte d’appel, avant de solliciter la confirmation du jugement entrepris et la poursuite de la procédure de redressement initiée.
En effet, la Direction Générale des Impôts expose que lors d’une assemblée générale datée du 20 novembre 2001, les associés de la société CANAPLAST ont décidé de sa mise en liquidation et ont désigné S.H. en qualité de liquidateur.
Or, selon elle, il résulte de l’article 204 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, que la mention « société en liquidation », ainsi que « le nom du ou des liquidateurs doivent figurer sur tous les actes et documents émanant de la société..; » et mieux, l’article 224 dudit acte quant à lui, prévoit la fin des pouvoirs des organes de la société à compter de sa mise en liquidation.
Ainsi, elle souligne que l’acte d’appel du 03 mars 2004, qui n’indique pas que l’appelante est en liquidation, pas non plus le nom du liquidateur, doit être déclaré nul d’une nullité absolue, et l’appel conséquemment irrecevable.
L’intimé renchérit pour soutenir que contrairement à ce que prétend l’appelante, l’habilitation pour le contribuable à saisir le Ministre de l’Economie et des Finances n’a pas un caractère facultatif.
Pour ce faire, il invite la Cour à un examen de l’ensemble des dispositions du Livre de Procédure Fiscale applicables au contentieux de l’impôt, notamment l’article 159 bis précité, qui figure à la section II du chapitre premier du titre IV du Livre de Procédure Fiscale, intitulé « Procédure préalable devant l’Administration Fiscale ».
Cette section, relève l’intimé, réglemente les deux étapes de la réclamation devant l’Administration Fiscale, qui doivent précéder la saisine des juridictions :
La réclamation devant le service des impôts.
La réclamation devant le Ministre de l’Economie et des Finances, et ces deux étapes sont toutes deux obligatoires dans le sens où elle doivent être exercées successivement par tout contribuable qui souhaite porter sa réclamation devant les tribunaux.
Ainsi, la Direction Générale des Impôts soutient que faute pour l’appelante d’avoir épuisé les deux recours administratifs obligatoires imposés par les articles 154 et suivants du Livre de Procédure Fiscale, elle ne peut être autorisée à initier la procédure judiciaire.
En déclarant l’action de l’appelante irrecevable, le Tribunal n’a fait qu’une saine et juste application des textes dont s’agit, et sa décision mérite d’être confirmée et mieux, la procédure de redressement qui est régulière doit être poursuivie et débouter l’appelante de ses demandes.
Le Ministère Public conclut à l’infirmation du jugement querellé, et statuant à nouveau, dit l’action de l’appelante recevable mais mal fondée.
SUR CE
Les parties ont conclu et déposé des pièces;il échet de statuer contradictoirement à leur encontre.
EN LA FORME
Sur l’exception tirée de la nullité de l’acte d’appel
Aux termes de l’article 204 de l’Acte Uniforme relatif aux sociétés commerciales et groupements d’intérêt économique, la société est en liquidation dès l’instant de sa dissolution;pour quelque cause que ce soit, la mention « société en liquidation » ainsi que le nom du ou des liquidateurs doivent figurer sur tous les actes et documents émanant de la société et destinés aux tiers.
Or, en l’espèce, l’acte d’appel valant premières conclusions de CANAPLAST SARL ne fait mention aucunement de sa situation de « société en liquidation », encore moins de la qualité de liquidateur de Monsieur J.S, alors même qu’il résulte suffisamment du procès-verbal de l’assemblée générale mixte du 20 novembre 2001 des associés, que celle-ci est en liquidation et Monsieur J.S, nommé liquidateur, alors même que le ton impératif de l’articulation citée l’exige.
Dès lors, il échet de déclarer ledit acte d’appel nul et conséquemment, l’appel irrecevable.
SUR LES DEPENS
La société CANAPLAST SARL succombe;il échet la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort.
Déclare nul l’acte d’appel, et conséquemment, irrecevable l’appel formé par la société CANAPLAST SARL contre le jugement civil N 06 du 23 janvier 2003 rendu par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan, pour violation de l’article 204 du Traité OHADA sur les sociétés et groupements d’intérêt économique.
La condamne aux dépens.
PRESIDENT : Mme YAO-KOUAME ARKHURST H-MARIE FELICITE.