J-08-262
VOIES D’EXECUTION – PROCEDURE DE RECOUVREmENT ACCELERE DE CREANCES – ARRET RENDU EN CASSATION PAR LA COUR SUPREmE – SAISIE SUR LA BASE DE CET ARRET – REGULaRITE DES SAISIES (non).
Les saisies effectuées sur la base de décisions rendues par la Cour Suprême, dans des matières relevant de la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, sont irrégulières, car lesdites décisions sont juridiquement inexistantes.
Article 32 AUPSRVE
Article 42 AUPSRVE
Article 2 TRAITE OHADA
Article 10 TRAITE OHADA
Article 14 TRAITE OHADA
Cour d’Appel d’Abidjan, Chambre civile et commerciale. Arrêt n 617 du 08 juin 2004. Affaire : CFAO (Mes. FADIKA-DELAFOSSE, K. FADIKA, C. KACOUTIE, A. ANTHONY-DIOMANDE). c/ OUEDRAOGO Boureima et autres. Actualités Juridiques n 49/2005, p. 210. Note KOMOIN François.
LA COUR
Ouï le Ministère Public.
Vu les pièces du dossier.
Ensemble les faits, procédure, prétentions des parties et motifs ci-après.
DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Suivant exploit daté du 10 mars 2004 comportant ajournement au 23 mars 2004, la Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest dite CFAO, agissant aux poursuites et diligences de son représentant légal et ayant pour Conseils, Maîtres M. FADIKA-DELAFOSSE, K. FADIKA, C. KACOUTIE, A. Anthony-DIOMANDE, Avocats à la Cour, a relevé appel de l’ordonnance de référé n 1152 rendue le 27 février 2004 par la juridiction des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan qui, en la cause, a statué ainsi qu’il suit :
« Statuant en audience publique, par décision contradictoire, en matière d’urgence et en premier ressort.
Rejetons l’exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur.
Recevons la demande de la CFAO.
Nous déclarons incompétent pour apprécier la régularité des décisions critiquées.
Donnons acte à OUEDRAOGO Boureima, de ce qu’il lève la main de la saisie pratiquée entre les mains de la BICICI.
Cantonnons en conséquence, la saisie-attribution à celle pratiquée entre les mains de la SGBCI.
Ordonnons l’exécution provisoire ».
Il ressort des énonciations de l’ordonnance entreprise, que par exploit en date du 28 janvier 2004, la CFAO fait servir assignation à M. OUEDRAOGO Boureima à la SGBCI, à la BICICI, d’avoir à comparaître par-devant la juridiction des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan, à l’effet de voir ordonner la discontinuation des poursuites engagées par M. OUEDRAOGO Boureima.
Au soutien de son action, la CFAO a expliqué que dans le cadre de leurs relations d’affaires, elle a vendu à Monsieur OUEDRAOGO Boureima, quatre cars pour lesquels il a effectué un paiement d’acompte de 120 000 000 F, en s’engageant à payer le reliquat, soit 120 000 000 F par quinze (15) traites d’un montant de 8.984.300 F chacune.
Cependant, a-t-elle, déclaré, seules cinq traites ont été honorées, et par la suite, M. OUEDRAOGO a fait intervenir la Société PRNCI, dont il est le créancier, laquelle a émis deux chèques d’un montant total de 2 000 000 F, dont l’un est revenu impayé.
Finalement, après plusieurs paiements effectués par la société PRNCI, le solde reliquataire est revenu à 12.757.930 francs, que M. OUEDRAOGO se refuse à payer.
Elle a dû solliciter sa condamnation par ordonnance d’injonction de payer datée du 20 juillet 2000, laquelle a été rétractée par jugement sur opposition du 14 juin 2004;sur son appel, la Cour d’Appel, par arrêt n 447/01 du 19/12/2001, a infirmé ledit jugement et a ramené le montant de la condamnation à la somme de 10.750.257 francs.
M. OUEDRAOGO Boureima, a poursuivi la demanderesse, a formé un pourvoi contre cet arrêt, en sollicitant le sursis à son exécution;ce qui fut obtenu par ordonnance du Président de la Cour Suprême du 4 octobre 2002.
Mais, le pourvoi de M. OUEDRAOGO Boureima ayant été rejeté par arrêt du 14/11/2002, elle a entrepris l’exécution de l’arrêt de la Cour d’Appel;c’est alors que ce dernier va ressaisir la Cour Suprême d’une demande en rétractation de son arrêt du 14/11/2002, avec le sursis à l’exécution entreprise.
Mais, a poursuivi la CFAO, sur le fondement de l’article 32 de l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution, elle a poursuivi l’exécution, en signifiant à son débiteur un procès-verbal de saisie-vente suivi d’ure sommation d’avoir à assister à la vente.
Suite à cette sommation, M. OUEDRAOGO a saisi la juridiction présidentielle, d’une requête en date du 10 avril 2002, aux fins de mainlevée de la saisie pratiquée, et par ordonnance n 036/03 du 16 avril 2003, la Cour Suprême a annulé la sommation d’assister à la vente et ordonné la restitution des véhicules, alors même que, prétendait la CFAO, elle n’était pas compétente à le faire.
Bien que les cars seront restitués le 18 avril 2003 à M. OUEDRAOGO, ce dernier, selon la CFAO, va de nouveau saisir la Cour Suprême, en vue de la restitution desdits véhicules, ce à quoi la même Cour Suprême fera droit, en annulant à nouveau la sommation d’assister à la vente, et a ordonné la restitution des véhicules, sous astreinte comminatoire de 2 000,000 F par jour de retard;laquelle astreinte sera liquidée à la somme de 20 000 000 francs par ordonnance n 117/2003 du 15/12/2003.
C’est en exécution de cette décision, que les saisies litigieuses ont été pratiquées entre les mains de la SGBCI et de la BICICI, pour avoir paiement de la somme de 23.182.484 francs.
Aussi, estimant que les sommes saisies entre les mains de la SGBCI suffisaient à payer entièrement les sommes réclamées, la CFAO a soutenu que la saisie entre les mains de la BICICI n’est pas nécessaire, et doit être en conséquence annulée.
La décision querellée, après s’être déclarée incompétente pour apprécier la régularité de la décision rendue par la cour Suprême, a donné acte à Monsieur OUEDRAOGO Boureima, de ce qu’il procède à la mainlevée volontaire de la saisie entre les mains de la BICICI.
Au soutien de son appel, la CFAO, qui reprend ses moyens développés devant le premier juge, estime que les ordonnances rendues par la Cour Suprême l’ayant été en violation des dispositions de l’article 49 de l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution, sont nulles donc inexistantes, et que de ce fait, toute exécution fondée sur celles-ci est conséquemment nulle.
Ainsi, la décision dont l’exécution est poursuivie étant fondée sur une ordonnance nulle, elle est aussi nulle et de nul effet, et ne peut donc faire l’objet d’aucune exécution forcée.
La CFAO conclut donc à l’infirmation de l’ordonnance entreprise, et à la discontinuation des poursuites entreprises.
L’intimée ne produit en cause d’appel, ni pièces ni conclusions.
DES MOTIFS
Toutes les parties ayant comparu, il convient de statuer contradictoirement.
EN LA FORME :
L’appel de la CFAO ayant été re6levé conformément aux prescriptions légales, il convient de le déclarer recevable.
AU FOND :
En l’espèce, la CFAO conteste les saisies-attributions pratiquées sur ses comptes à la SGBCI et à la BICICI, en ce que ces saisies ont été pratiquées en exécution de décisions de restitution de véhicules, sous astreinte comminatoire, et conséquemment, de liquidation d’astreinte, illégalement rendues par la Cour Suprême.
En effet, selon l’appelante, ces décisions intervenues en matière commerciale, sont de la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
Il n’est pas contesté que M. OUEDRAOGO Boureima et la CFAO étaient liés par des relations d’affaires, et que c’est à l’occasion de ces relations, qu’est né le litige qui les oppose présentement.
Or, conformément aux dispositions combinées des articles 2, 10, 14 du Traité OHADA, seule la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est compétente, pour statuer sur pourvoi en cassation, dans les matières concernées par ledit Traité.
Dès lors, toute décision rendue en cette matière par toute juridiction incompétente, fût-elle suprême, doit être considérée comme juridiquement inexistante.
C’est donc à tort, que le premier juge s’est déclaré incompétent pour apprécier la régularité des décisions dont l’exécution est entreprise, alors que, compétente, en application des dispositions de l’article 49 de l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution, la juridiction présidentielle pouvait, conformément à la jurisprudence constante de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, constater l’irrégularité de la décision de la Cour Suprême.
Il convient, dès lors, d’infirmer l’ordonnance entreprise, et statuant à nouveau, de déclarer la juridiction présidentielle compétente.
Sur les contestations soulevées, il convient de constater que la Cour Suprême n’a pu valablement prendre une décision dans une matière ne relevant pas de sa compétence;de sorte que, cette décision inexistante en droit, n’a pu produire aucun effet juridique.
Il échet, en conséquence, d’ordonner la mainlevée des saisies pratiquée en vertu de ces décisions.
L’intimé, qui succombe en cause d’appel, doit être condamné aux dépens, en application de l’article 149 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et en dernier ressort.
EN LA FORME :
Déclare recevable l’appel régulièrement relevé par la CFAO-CI, de l’ordonnance de référé n 1152/2004 rendue le 27/02/2004 par le juge des référés du Tribunal de Première Instance d’Abidjan.
AU FOND :
L’y dit bien fondée.
Infime l’ordonnance entreprise.
Statuant à nouveau.
Déclare fondée l’action de la CFAO-CI.
Ordonne la mainlevée des saisies pratiquées sur ses comptes ouverts à la SGBCI et à la BICICI, en vertu des décisions rendues par la Cour Suprême.
Condamne OUEDRAOGO Boureima aux dépens.
Président : M. KANGAH Mathurin.
Conseillers : Mme TAMINOU Honorine.
M. TOURE Aboubacar.
Greffier : Me ALLA Koffi Fulbert.
Note
L’arrêt ci-dessus publié retient l’attention, non seulement pour la question de droit soumise à la Cour d’Appel, mais surtout, pour le raisonnement suivi par cette juridiction, dont l’originalité le dispute à l’audace qui a animé les magistrats qui l’ont rendu.
Le problème se posait dans les termes suivants : la Cour Suprême avait rendu des décisions en matière de saisie-vente, sur la base desquelles des saisies-attributions ont été pratiquées.
Le saisi a contesté ces saisies. Le juge des référés s’est déclaré incompétent pour connaître d’une telle contestation. La Cour d’Appel, dans l’arrêt qui nous intéresse, a censuré cette décision. Le raisonnement suivi par les magistrats de la Cour d’Appel a été le suivant :
– la matière en cause est une matière concernant l’OHADA.
cette matière est de la compétence exclusive de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA).
Toute décision rendue en cette matière, par toute juridiction incompétente, fût-elle suprême, doit être considérée comme juridiquement inexistante.
Le juge des référés devait se déclarer compétent, après avoir, conformément à la jurisprudence constante de la CCJA, constaté l’irrégularité.
les décisions de la Cour Suprême étant inexistantes, elles n’ont pu produire d’effets juridiques, de sorte que la mainlevée des saisies pratiquées sur leur base doit être ordonnée.
On s’aperçoit que les juges d’appel ont fait appel à la théorie de l’inexistence (I). et à la jurisprudence constante de la CCJA (II). pour fonder leur décision.
I. Le recours à la théorie de l’inexistence
A coté des nullités, la théorie de l’inexistence a fait son apparition comme une autre forme d’inefficacité des actes juridiques. Un acte, selon cette théorie, est considéré comme inexistant, quand il est dépourvu d’un élément sans lequel on ne peut concevoir qu’il y ait un acte juridique (v. TERRE, SIMLER et LEQUETTE : Droit Civil, Les obligations Dalloz p. 75 et s). Cette théorie, apparue au 19e siècle à propos des nullités du mariage, a été étendue à plusieurs domaines du droit. Ainsi, en droit administratif, elle permet aux juges judiciaires, en présence d’illégalités particulièrement graves, de sanctionner les actes administratifs.
En droit civil et en procédure civile, elle permet de priver d’efficacité, l’acte juridique et les actes de procédure auxquels il manque un élément essentiel. A la différence des nullités, l’inexistence n’a pas à être prononcée;elle se constate tout simplement.
Dans l’espèce qui nous intéresse, la Cour d’Appel a estimé que les décisions rendues par la Cour Suprême, dans une matière exclusivement dévolue à la compétence de la CCJA, étaient inexistantes, en raison précisément de la violation des règles de compétence. Signalons que la compétence se conçoit comme l’aptitude légale à accomplir un acte ou à instruire et juger un procès. A cet égard, l’article 14 du Traité instituant l’OHADA prévoit sans équivoque, la compétence de la CCJA, s’agissant de la connaissance des recours en cassation contre les décisions rendues dans les matières couvertes par les actes uniformes. Pour éviter toute intrusion des juridictions suprêmes nationales dans ces domaines, deux mesures ont été prises :
– la possibilité pour une partie, de déférer à la CCJA, un litige dans lequel une juridiction nationale a statué au mépris d’un incident de compétence (article 18 du Traité OHADA).
– l’impossibilité d’exécuter sur le territoire des Etats Parties au Traité, une décision nationale contraire à un arrêt de la CCJA, dans la même affaire (article 20 du Traité OHADA).
Ces mesures, d’un fort taux protectionniste, pose le problème du sort juridique des décisions rendues par les juridictions nationales, dans les matières de l’OHADA.
Sont-elles nulles ? Dans un cas, celui sus évoqué, concernant l’incident de compétence, elles le sont, et c’est le législateur communautaire qui le dit expressément (article 18 précité). S’agissant des autres cas, comme celui qui nous préoccupe, la question n’est pas textuellement réglée. L’arrêt annoté nous en donne la solution : ces décisions sont inexistantes, car elles sont frappées d’un vice grave, celui de l’incompétence, qui les prive de tout effet juridique. Cette décision doit. à notre sens, être approuvée. La compétence, comme déjà signalé, étant l’aptitude légale à juger une affaire, sa violation prive incontestablement d’effets juridiques, la décision qui en est le fruit.
II. Le recours à la jurisprudence constante de la CCJA
LA COUR d’Appel a fait le reproche au juge des référés, de ne pas avoir constaté, comme l’y invitait la jurisprudence constante de la CCJA, l’irrégularité de la décision de la Cour Suprême. Ce faisant, elle tempère quelque peu l’audace avec laquelle elle avait hardiment traité la décision de la Cour Suprême. Elle s’abrite derrière la jurisprudence constante de la CCJA pour justifier sa décision qui autrement, ne manquerait certainement pas de choquer les défenseurs acharnés du principe des degrés de juridiction. En définitive, ce qui a pu, dès le départ, semblé être de l’audace, n’est que l’application, en bon élève discipliné, d’une règle de conduite édictée souverainement par le Maître qu’est, en ce qui concerne les matières relevant de l’OHADA, la CCJA. Il faut seulement espérer, qu’au-delà des sensibilités que froisserait certainement la décision de la Cour d’Appel, les hauts magistrats de la Cour Suprême s’engagent eux aussi résolument dans la voie de l’intégration juridique, en s’abstenant de juger là où la loi-ici la loi communautaire-norme supranationale du reste, leur interdit de juger. Le respect de la loi s’impose à tous, y compris et peut-être surtout, au juge chargé de l’appliquer.
M. François KOMOIN.
Docteur en Droit, Magistrat.