J-08-275
ARBITRAGE – EXECUTION D’UNE SENTENCE ARBITRALE – DECISION D’EXEQUATUR – COMPETENCE JURIDICTIONNELLE – INAPPLICATION DES DISPOSITIONS DU CODE DE PROCEDURE CIVILE – APPLICATION DES DISPOSITIONS SPECIFIQUES A L’ARBITRAGE – (OUI).
La décision d’exequatur d’une sentence arbitrale rendue dans un Etat étranger – laquelle est à distinguer d’une décision judiciaire rendue dans un pays étranger – n’est pas régie par les dispositions du Code de Procédure Civile, mais par celles spécifiques à l’arbitrage.
Article 30 TRAITE OHADA
Article 28 LOI 93-671 DU 9 AOUT 1993 RELATIVE A L’ARBITRAGE
Article 35 LOI 93-671 DU 9 AOUT 1993 RELATIVE A L’ARBITRAGE
Cour Suprême, Chambre judiciaire, Arrêt n 238/06 du 04 mai 2006. Société RAIMUND COMMODITIES INC. (SCPA KONAN & FOLQUET). c/ PRODEX-CI (Me OBIN Georges). Actualités Juridiques n 56 / 2008, p. 58. Note AKO Eloi.
LA COUR
Vu les mémoires produits.
Vu les conclusions écrites du Ministère Public en date du 16 mars 2006.
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de la loi, notamment de l’article 35 de la loi sur l’arbitrage
Attendu qu’aux termes du texte susvisé, « La sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une décision d’exequatur. Le juge compétent est le Président du Tribunal de Première Instance ou le Juge de la Section de Tribunal dans le ressort duquel l’exécution doit être poursuivie. A cet effet, la minute de la sentence accompagnée d’un exemplaire de la convention d’arbitrage, est déposée par l’un des arbitres ou la partie la plus diligente, au greffe de la juridiction. Le Président ou le Juge de Section est saisi et statue comme en matière de référé ».
Vu ledit texte.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Abidjan, 20 avril 2004), que saisie par la Société Raimund CommoditIés d’une demande d’exequatur de la sentence arbitrale rendue par la Cocoa Merchants Association of America, la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance de Yopougon a, par ordonnance du 22 décembre 2003, fait droit à cette demande;que la Cour d’Appel d’Abidjan a infirmé cette décision en déclarant ladite juridiction présidentielle incompétente.
Attendu que pour décider ainsi, l’arrêt relève qu’il est de principe qu’en l’absence de convention internationale particulière, l’exequatur d’une décision de justice étrangère est prononcé par le tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur en Côte d’Ivoire.
Attendu cependant, qu’en statuant ainsi, alors que l’article 30 du Traité OHADA renvoie à l’ordre interne de chaque Etat pour la désignation de la juridiction compétente, et qu’en vertu de l’article 35 de la loi sur l’arbitrage en Côte d’Ivoire, le juge compétent est le Président du Tribunal de Première Instance dans le ressort duquel l’exécution doit être poursuivie, la Cour d’Appel a violé le texte visé au moyen, lequel est fondé;qu’il y a lieu de casser et annuler l’arrêt attaqué et d’évoquer, en application de l’article 28 de la loi n 97-243 du 25 avril 1997.
Sur l’évocation
Attendu que la société PRODEX-CI ayant son siège social dans le ressort du Tribunal de Première Instance de Yopougon, c’est à bon droit que la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance de Yopougon, statuant en référé a, par ordonnance n 214 du 22 décembre 2003, donné l’exequatur à la sentence arbitrale de Cocoa Merchants’ Association of America en date du 6 aoûtt 2003.
PAR CES MOTIFS.
Casse et annule l’arrêt attaqué.
Évoquant.
Déclare la juridiction des référés compétente.
Déboute PRODEX-CI de sa demande.
Déclare exécutoire la sentence arbitrale rendue le 6 aoûtt 2003 par la Cocoa Merchants’ Association of America sur le territoire de la République de Côte d’Ivoire.
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Président : M.BOGA TAGRO.
Conseillers : M. TIMITE SOPHIE (Rapporteur).
M. AGNIMEL MELEDJE.
Greffier : Me AHISSI N’DA Jean-François.
Note
Cet arrêt de la Cour Suprême permet de faire une distinction nette entre les règles permettant de déterminer la juridiction compétente pour ordonner l’exequatur en Côte d’Ivoire, d’une décision judiciaire étrangère et celles concernant une sentence arbitrale.
En effet, aux termes des articles 345 et 346 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative, les décisions judiciaires rendues dans un pays étranger ne peuvent donner lieu à aucune exécution forcée ou aucune publicité en Côte d’Ivoire, qu’après avoir bénéficié de l’exequatur, à l’issue d’une instance engagée par voie d’assignation, selon les règles de droit commun, devant le tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur en Côte d’Ivoire, et à défaut, celui du lieu de l’exécution.
C’est certainement en se fondant sur ces textes, que la Cour d’Appel avait décidé dans son arrêt attaqué, « qu’il est de principe qu’en l’absence de convention internationale particulière, l’exequatur d’une décision de justice étrangère est prononcée par le tribunal du domicile ou de la résidence du défendeur en Côte d’Ivoire ».
En statuant comme elle l’a fait, la Cour d’Appel a méconnu les dispositions spécifiques à l’arbitrage, en assimilant les sentences arbitrales rendues dans un Etat étranger1, à des « décisions judiciaires rendues dans un Etat étranger », tel que spécifié à l’article 345 du Code de Procédure Civile.
C’est donc à juste titre que la Cour Suprême a rappelé les textes applicables quant à la procédure d’exequatur, s’agissant des sentences arbitrales.
En effet, en Côte d’Ivoire, deux textes régissent la procédure d’exequatur des sentences arbitrales : il s’agit, d’une part, de l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au droit de l’arbitrage du 11 mars 1999 et la loi n 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage.
Aux termes de l’article 34 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, « les sentences arbitrales rendues sur le fondement de règles différentes de celles prévues par le présent Acte uniforme2 sont reconnues dans les Etats Parties, dans les conditions prévues par les conventions internationales éventuellement applicables, et à défaut, dans les mêmes conditions que celles prévues aux dispositions du présent Acte uniforme ».
Ces dispositions dont il s’agit sont contenues dans l’article 30 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage3, qui dispose que « la sentence arbitrale n’est susceptible d’exécution forcée qu’en vertu d’une décision d’exequatur rendue par le juge compétent dans l’Etat Partie ».
L’Acte uniforme laisse (comme tous les Actes uniformes sur bien d’autres points d’ailleurs, où entre en jeu la détermination de la juridiction nationale compétente), à chaque Etat, le soin de la détermination de ce juge4.
C’est donc, la question de la détermination du juge compétent en Côte d’Ivoire, pour rendre la décision d’exequatur d’une sentence arbitrale, qui est tranchée par la juridiction suprême.
Selon la Cour Suprême, le juge compétent en Côte d’Ivoire est le Président du Tribunal de Première Instance dans le ressort duquel l’exécution de la sentence arbitrale doit être poursuivie, et ce, en vertu de l’article 35 de la loi sur l’arbitrage, c’est-à-dire, la loi n 93-671 du 9 août 19935.
En statuant ainsi qu’elle l’a fait, la Cour Suprême rejoint sur ce point, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). qui, dans l’espèce, Époux DELPECH contre la société SOTACI6 avait, s’agissant de l’application de l’article 25 alinéa 2 de l’Acte uniforme sur le droit d’arbitrage, soutenu « que l’Acte uniforme sus indiqué ne précisant pas ledit juge compétent, il y a lieu de se reporter à la loi nationale de l’Etat Partie concerné, pour déterminer le juge compétent devant lequel le recours en annulation doit être porté;qu’aux termes de l’article 44 de la loi ivoirienne n 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage, l’appel et le recours en annulation sont portés devant la Cour d’Appel dans le ressort de laquelle la sentence arbitrale a été rendue;qu’en l’espèce, la sentence arbitrale ayant été rendue à Abidjan, c’est bien la Cour d’Appel qui était compétente pour connaître du recours en annulation ».
Cette convergence de vue entre la Cour Suprême et la CCJA est la preuve que les dispositions nationales et les Actes uniformes peuvent continuer de faire bon ménage dans les matières qu’ils régissent en commun, à condition de ne pas être contraires.
Si cette position de la Cour Suprême est à saluer sur les points sus indiqués, il faut toutefois regretter que la juridiction suprême n’ait pas saisi cette opportunité pour rappeler la règle prévue à l’article 32 alinéa 2 de l’Acte uniforme, qui dispose que « la décision qui accorde l’exequatur n’est susceptible d’aucun recours ».
Quel contenu réel peut revêtir, en effet, cette disposition, s’il est permis de recevoir une quelconque action contre la décision accordant l’exequatur d’une sentence arbitrale, quand bien même, il s’agit de discuter de la question de la juridiction compétente ?.
N’est-ce pas là, une porte ouverte à toute action dilatoire qui ferait perdre à l’article 32 alinéa 2 de l’Acte uniforme, tout son sens, et partant, nuirait à toutes les garanties offertes par la loi à la procédure d’arbitrage ?.
AKO Eloi.
Magistrat, DEA de droit privé fondamental.

1 En l’espèce, il s’agit d’une sentence arbitrale de la Cocoa Merchants’ Association of America, un organisme d’arbitrage étranger.

2 Aux termes de l’article 1er de cet Acte uniforme, ce texte a vocation à s’appliquer à tout arbitrage, lorsque le siège du tribunal se trouve dans l’un des Etats Parties.

3 Article 30 rappelé par la Cour Suprême, mais non du Traité OHADA, qui est à distinguer des Actes uniformes.

4 En effet, le législateur OHADA s’est interdit de s’immiscer dans l’ordre interne des Etats, chaque fois que le sujet touche à l’organisation judiciaire.

5 Aux termes de l’article 35 de ladite loi, la sentence n’est susceptible d’exécution forcée, qu’en vertu d’une décision d’exequatur. Le juge compétent est le Président du Tribunal de Première Instance ou le juge de la section de tribunal dans le ressort duquel l’exécution doit être poursuivie.

6 Recueil des jurisprudences de la CCJA n 1 janvier / juin 2003, page 49.