J-09-77
CCJA – COMPETENCE – AFFAIRES SOULEVANT DES QUESTIONS RELATIVES A L’APPLICATION DES ACTES UNIFORMES – MECONNAISSANCE DE LA COUR SUPREME – VIOLATION DE L’ARTICLE 18 DU TRAITE OHADA – ARRET NUL ET NON AVENU (OUI).
L’article 14 du traité institutif de l’OHADA donnant compétence exclusive à la CCJA pour connaître du recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions d’appel nationales dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes, la Cour suprême a méconnu cette compétence alors que les poursuites ont été engagées sur la base des dispositions de l’article 38 de l’AUPSRVE.
Par conséquent, les dispositions de l’article 18 du traité ont été violés et il échet de déclarer nul et non avenu l’arrêt attaqué.
Article 18 TRAITE OHADA
Article 38 AUPSRVE
CCJA, 1ère Chambre, arrêt n 38 du 17 juillet 2008, Affaire : Société Delmas Vieljeux dite SDV-CI CI Gestion Ivoirienne de Transport Maritime et Aérienne dite GETMA-CI. Le Juris Ohada n 4/2008, p. 35. Recueil de jurisprudence n 12, juillet-décembre 2010, p. 150.
Sur le pourvoi enregistré au greffe de la Cour de céans sous le no026/2005/PC du 17 juin 2005 et formé par Maître Michel BOUAH-KAMON, Avocat à la Cour, demeurant, 3, avenue Thomasset, Résidence Thomasset, 3ème étage, porte 300, 04 B.P. 46 Abidjan 04, agissant au nom et pour le compte de la Société Delmas Vieljeux dite SDV-CI, dans une cause l’opposant à Gestion Ivoirienne de Transport Maritime et Aérienne dite GETMA-CI, ayant pour conseil Maître COMA AMINATA, Avocat à la Cour, demeurant à Abidjan- Plateau, immeuble CCIA, 7eme étage, 01 BP 8288 Abidjan 01.
En annulation de l’Arrêt n 24/05 rendu le 13 janvier 2005 par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de la République de Côte d’Ivoire et dont le dispositif est le suivant :
– « .. Rejette l’exception d’incompétence soulevée par SDV-CI; Casse et annule l’arrêt attaqué : Évoquant.
Déboute la SDV-CI de son action.
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public ».
Le requérant invoque à l’appui de son recours le moyen unique d’annulation tel qu’il figure à la requête annexée au présent arrêt.
Sur le rapport de Monsieur le Juge Biquezil NAMBAK
Vu les dispositions des articles 13, 14 et 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Vu les dispositions du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
Attendu qu’il résulte des pièces du dossier de la procédure que le 26 mai 2000, la SDV-CI pratiquait entre les mains de GETMA-CI une saisie conservatoire portant sur 2658 tonnes de sucre appartenant à la débitrice, la société RIAL TRADING, pour sûreté et avoir paiement de la somme de 408.064.760 francs CFA; qu’estimant que GETMA-CI s’était dessaisie du sucre saisi en dehors de toute décision de justice, la SDV-CI saisissait le Tribunal de première instance d’Abidjan aux fins de s’entendre condamner la GETMA-CI au paiement des causes de la saisie pratiquée entre ses mains; que par Jugement nO17 du 31 janvier 2002, le Tribunal de première instance d’Abidjan déclarait la SDV-CI mal fondée en son action et l’en déboutait; que sur appel de la SDV-CI, la Cour d’appel d’Abidjan avait, par Arrêt no394 du 04 avril 2003, infirmé le jugement entrepris et condamné GETMA-CI à payer à la SDV-CI la somme de 408.064.760 francs CFA; que sur pourvoi en cassation de GETMA-CI contre ledit arrêt, la Cour Suprême de Côte d’Ivoire rendait le 13 janvier 2005 l’Arrêt no24/05 dont pourvoi.
Attendu que GETMA-CI, défenderesse au recours, soulève in limine litis l’incompétence de la Cour de céans à connaître du recours exercé sur le fondement de l’article 18 du Traité OHADA par la SDV-CI aux motifs que « devant la Juridiction Suprême Nationale, la question débattue exclusivement était celle de savoir si la SDV CI avait qualité et intérêt à agir; [que] les Actes uniformes ne visent pas cette législation dont l’application revient et relève exclusivement de la compétence des juridictions nationales ».
Mais attendu que l’examen du recours de la SDV-CI, en application de l’article 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, implique nécessairement que la Cour de céans se prononce sur sa compétence; qu’il suit dès lors qu’il n’y a pas lieu de statuer spécialement sur l’exception soulevée par la société GETMA-CI.
Sur l’annulation de l’Arrêt n 24/05 rendu le 13 janvier 2005 par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire
Vu l’article 18 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Attendu que la requérante demande à la Cour de céans de déclarer nul et non avenu l’Arrêt n 24/05 du 13 janvier 2005 de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire sur le fondement de l’article 18 du Traité susvisé au motif qu’en dépit de l’exception d’incompétence soulevée devant elle, ladite Chambre a rendu ledit arrêt attaqué; que la procédure initiée par la SDV-CI suite au comportement fautif de la GETMA-CI ès qualité de tiers saisi, relève des dispositions de l’article 38 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution dont l’interprétation et l’application sont de la compétence exclusive de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
Attendu qu’aux termes de l’article 18 du Traité susvisé, « toute partie qui, après avoir soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. La Cour se prononce sur sa compétence par arrêt qu’elle notifie tant aux parties qu’à la juridiction en cause.
Si la Cour décide que cette juridiction s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue ».
Attendu qu’il ressort de l’examen de l’arrêt attaqué que pour rejeter l’exception d’incompétence soulevée devant elle, la Cour Suprême de Côte d’Ivoire relève que « si l’article 14 alinéa 1er du Traité OHADA dispose que la CCJA assure dans les Etats parties l’interprétation et l’application dudit Traité, des Règlements pris pour son application et des Actes uniformes, il en est autrement lorsque la juridiction nationale de cassation est saisie d’un pourvoi soulevant à la fois des questions relatives à l’application d’un Acte uniforme et d’un texte de droit interne; qu’en l’espèce, le demandeur au pourvoi ayant invoqué la violation de l’article 49 alinéa 1er de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution et de l’article 3 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Administrative Ivoirien comme moyens de cassation, la Chambre Judiciaire doit retenir sa compétence ».
Mais attendu que l’article 14 du Traité institutif de l’OHADA pose le principe de la compétence exclusive de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pour connaître du recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions d’appel nationales « dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes »; qu’il s’ensuit qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que les poursuites engagées contre la SDV-CI, tiers saisi, l’ont été sur la base des dispositions de l’article 38 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution, la Cour Suprême de Côte d’Ivoire a méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, violant ainsi les dispositions de l’article 18 du Traité précité; qu’il échet de déclarer nul et non avenu son Arrêt n 24/05 rendu le 13 janvier 2005.
Attendu que la société GETMA-CI ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré.
Dit que la Cour Suprême de Côte d’Ivoire s’est déclarée compétente à tort pour examiner le pourvoi en cassation formé par GETMA-CI.
Déclare en conséquence nul et non avenu son Arrêt no24/05 rendu le 13 janvier 2005; Condamne GETMA-CI aux dépens.
PRESIDENT : M. JACQUES M’BOSSO.
Observations de Joseph ISSA-SAYEGH, Professeur
Nous avons déjà mis en lumière les conflits feutrés entre la CCJA et les Cours suprêmes nationales sur leurs compétences respectives. Feutré du côté de la CCJA qui tranche des questions de droit national préalables à l’examen ou à la solution des difficultés d’application ou d’interprétation du droit OHADA; plus avoué du côté des cours suprêmes qui, pour justifier leurs incursions en droit Ohada, assurent que la solution des questions du droit supranational dépendent d’abord de celles du droit national.
Dans cet arrêt, la CCJA semble trancher abruptement (définitivement ? ce serait prématuré de le prétendre) en disant que dès lors qu’une question de droit Ohada se pose, la Cour suprême nationale n’est pas compétente ?