J-13-74
DROIT DE L’ARBITRAGE — CONTRAT D’EXCLUSIVITE — DIFFUSIONS DE FILMS CASSETTES — VIDEO — REDEVANCE — ASSIGNATION EN PAIEMENT — DECISION ARBITRALE — ACTION FONDEE — PAIEMENT ET INTERETS DE DROIT (OUI) — POURVOI EN CASSATION — RECEVABILITE (OUI)
CLAUSE D’ARBITRAGE — ABSENCE DE RENVOI A LA PROCEDURE OHADA — DEFAUT D’APPLICATION — VIOLATION DE L'ARTICLE 21 ALINEA 1 TRAITE OHADA (NON)
CARACTERE CONTENTIEUX DU LITIGE — COLLEGE ARBITRAL — DECISION EN MATIERE GRACIEUSE — CONTRADICTION ENTRE LES MOTIFS ET LE DISPOSITIF — PROCEDURE — VIOLATION DES FORMES SUBSTANTIELLES (OUI)
SAISINE DU TRIBUNAL DE COMMERCE — REQUETE NON CONJOINTE — INSTITUTION D’UN COLLEGE ARBITRAL — EXCEPTION D'INCOMPETENCE — DESIGNATION DES ARBITRES — ABSENCE D’ACCORD DES PARTIES — DECISION INFRA PETITA — VIOLATION DE LA CLAUSE D'ARBITRAGE (OUI)
DIFFUSIONS DE FILMS — CONTRAT SUR UNE CHAINE — REDEVANCES DUES — BASE DE CALCUL — RECETTES BRUTES DE LA CHAINE — DEFAUT DE DETERMINATION — MAUVAISE APPLICATION DU CONTRAT (OUI)
CASSATION ET ANNULATION DE LA SENTENCE — RENVOI
Selon l'article 13 du Traité OHADA, le contentieux relatif à l'application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des États Parties. En l'espèce, il ne peut être reproché au collège arbitral d'avoir statué suivant les règles de procédure de droit commun dès lors que le contrat qui lie les parties ne renvoie pas au droit communautaire de l'OHADA.
Par ailleurs, les différentes condamnations pécuniaires prononcées par le collège arbitral confirment plutôt le caractère contentieux du litige à lui soumis. Il y a donc manifestement contradiction entre les motifs de la sentence et le dispositif qui déclare statuer en matière gracieuse.
En outre, en statuant simplement en premier ressort alors qu'il aurait dû statuer en premier et dernier ressort, le collège arbitral prive la Cour suprême de son pouvoir de contrôle qui lui est reconnu par la loi.
Aux termes d’un contrat d'exclusivité, les Établissements MIC-VIDEO mettent à la disposition de CANAL OCEAN, chaîne locale pour la diffusion des films créée par la Société LINDA-COMMUNICATIONS, des cassettes de film en vue de la diffusion pour des abonnés. En contrepartie de cette location de cassettes-vidéo, ils reçoivent une rémunération égale à 50% des recettes brutes réalisées par les abonnements de la clientèle à CANAL OCEAN.
Aux termes de l'article 9 du contrat, tous litiges ou contestations qui pourraient subvenir seront soumis à un Tribunal arbitral choisi d’accord parties.
Ainsi, le Tribunal de commerce, dès lors qu'il n'a pas été saisi par une requête conjointe des deux parties, ne pouvait statuer sans violer le principe & la loi des parties, lesquelles seules peuvent décider de déroger sur l'application de l’article 9 sus cité.
En outre, en relevant « que les autres demandes sont suspendues à l'exécution du contrat que le requérant peut bien faire poursuivre en justice » le collège arbitral a statué infra petita et a de nouveau violé la clause d’arbitrage de l’article 9 précité.
Enfin, selon l’alinéa 1 de l'article 6 du contrat, en rémunération de la location des cassettes, les Établissements MIC-VIDEO recevront des Établissements LINDA COMMUNICATIONS qui s'obligent, une redevance égale à 50% des recettes brutes réalisées par les abonnements de la clientèle au réseau CANAL OCEAN. Le contrat conclu donc entre les parties ne portait que sur une chaîne, et non sur l'exploitation ou l'exécution des contrats liant LINDA COMMUNICATIONS avec d’autres chaînes internationales.
En décidant que les redevances dues par LINDA COMMUNICATIONS portait sur l'ensemble des recettes brutes réalisées par toutes les chaînes qu’elle diffuse, sans séparer les recettes de CANAL OCEAN de celles de l'ensemble des autres chaînes des Établissements LINDA COMMUNICATIONS, le collège arbitral a fait mauvaise application de l'article 6 précité.
Par conséquent, la sentence arbitrale encourt cassation et annulation.
Article 100, 105, 106, 107, 108 CPCCAF
Article 100 CGI
Article 13, 21 TRAITE OHADA DU 17 OCTOBRE 1993
(Cour suprême du Congo, Chambre commerciale, Arrêt n° 07/GCS.02 du 17 mai 2002, Société LINDA COMMUNICATIONS c/ Établissements MIC-VIDEO)
LA COUR SUPREME,
Chambre commerciale, statuant en matière commerciale, en son audience publique tenue au Palais de justice de Brazzaville, le vendredi dix sept mai deux mil deux à neuf heures du matin;
Vidant son délibéré du dix-neuf avril deux mil deux;
A rendu l'arrêt suivant :
Sous la présidence de monsieur Victor ONDZIE, Président de ladite Chambre commerciale et sur les conclusions écrites n° 067/RQ.02 du 26 mars 2002 de monsieur le Procureur général Gabriel ENTCHA-EBIA auxquelles s'est rapporté monsieur l'avocat général Thaddée NDAYI dans ses observations orales à l'audience;
Assistés de maître Gaston MOYI, greffier en chef de la Chambre commerciale de la Cour Suprême;
Statuant sur le pourvoi formé le 18 janvier 2001 par la Société LINDA COMMUNICATIONS, B.P. 413, Boulevard Charles DE GAULLE, Pointe-Noire, représentée par maître Emmanuel OKO, avocat au barreau de Brazzaville, B.P. 5298, dans la cause l'opposant aux Établissements MIC-VIDEO, domicilié à Pointe-Noire, Boulevard Charles De GAULLE, B.P. 910, représentés par son directeur Serge BLASIFERA, non représenté, contre la sentence arbitrale du 26 févier 1999 rendue par le collège arbitral et dont le dispositif est le suivant :
« Statuant collégialement, en matière gracieuse en la forme arbitrale et en premier ressort;
EN LA FORME
reçoit les Établissements MIC-VIDEO en leur demande;
AU FOND
Condamne les Établissements LINDA-COMMUNICATIONS à payer aux Établissements MIC-VIDEO la somme de trente neuf millions sept cent trente mille vingt neuf F.CFA à titre de redevances, conformément à l'article sixième de la Convention du 10 avril 1997 liant les parties;
Dit que ces sommes produiront les intérêts de droit au taux de 6% à compter du 27 août 1998 date du dépôt de la requête;
Déboute les Établissements MIC-VIDEO des autres chefs de demandes;
Fixe, la somme de six millions (6.000.000) F.CFA le reliquat de frais honoraires dus aux arbitres à payer solidairement par les parties;
Condamne les Établissements LINDA-COMMUNICATIONS aux dépens lesquels ont été liquidés à la somme de F.CFA cinq millions cent quatre-vingt-huit mille sept cent »;
RECEVABILITE DU POURVOI
EN LA FORME
Attendu que la sentence arbitrale attaquée a fait l'objet d'un pourvoi en cassation dans les délais de l'article 100 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière en raison des irrégularités que comporte l'acte d'huissier du 16 avril 1999 en ce qu'il ne comporte pas des éléments sur le délai et en ce qu'il n'a pas été enregistré aux domaines et timbres en violation de l'article 100 du code général des impôts;
Attendu que la requête du pourvoi respecte les conditions prescrites aux articles 105, 106 et 107 du code susvisé en ce que tout en étant signée par un conseil, elle contient les noms et prénoms et domiciles des parties; qu'elle contient les moyens de cassation; qu'elle expose sommairement les faits et est accompagnée d'une copie de la décision attaquée; qu'enfin elle a été déposée en autant de copies qu'il y a des parties en cause;
Attendu par ailleurs que la somme de 10.000 francs CFA a été consignée au greffe de la Cour suprême en application de l'article 108 du code susvisé;
Attendu que le pourvoi a été notifié aux Établissements MIC-VIDEO, lesquels n'ont pas daigné répondre;
Attendu qu'au total le pourvoi est régulier et recevable en la forme;
AU FOND
FAITS ET PROCEDURE
Attendu que la Société LINDA-COMMUNICATIONS a conclu le 10 avril 1997 un contrat d'exclusivité avec les Établissements MIC-VIDEO aux termes duquel ces Établissements mettent à la disposition de CANAL OCEAN, chaîne locale pour la diffusion des films VIDEO créée par la Société susdite, des cassettes de film en vue de la diffusion pour des abonnés; qu'en contrepartie de quoi ils reçoivent une rémunération égale à 50% des recettes brutes réalisées par les abonnements de la clientèle à CANAL OCEAN; que c'est en exécution de ce contrat notamment la réclamation par les Établissements MIC-VIDEO de la redevance qui leur est due qu'est né le litige objet de la saisine du Tribunal de commerce de Pointe-Noire, qui a institué un collège arbitral composé de :
– Remy MFOUNA
– Thomas EVANS
– Jean Serge BAMOUANGANA.
EXAMEN DES MOYENS DE CASSATION
Six moyens ont été soulevés dont un moyen d'office;
Sur le premier moyen de cassation, tiré de la violation de l'article 21 alinéa 1 du traité de l'OHADA du 17 octobre 1993;
Attendu que le demandeur au pourvoi reproche à la sentence arbitrale d'avoir statué suivant les règles de procédure de droit commun alors qu'elle aurait dû appliquer les règles de la procédure du droit communautaire de l'OHADA;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 13 du Traité de l'OHADA le contentieux relatif à l'application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des États Parties;
Attendu qu'en l'espèce, l'examen du contrat liant les parties qui ne renvoie pas au droit communautaire de l'OHADA ne suscite aucune préoccupation particulière à ce sujet;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
Sur le second moyen de cassation, tiré de la contradiction entre les motifs et le dispositif
Attendu qu'il est fait grief à la sentence arbitrale d'avoir statué au dispositif en matière gracieuse alors que dans les motifs énoncés aux pages 1 et 2, la sentence querellée mentionne les demandes et les prétentions des parties, exposant ainsi le caractère contradictoire des débats survenus entre elles;
Attendu qu'il résulte, en effet, de la lecture des pages 1 et 2 de la sentence arbitrale que chacune des parties y a exposé ses prétentions avec notamment ses demandes, ce qui exclut le caractère gracieux de la matière rapportée au dispositif;
Attendu par ailleurs que les différentes condamnations pécuniaires prononcées par le collège arbitral confirme plutôt le caractère contentieux du litige à lui soumis; qu'il y a donc manifestement contradiction entre les motifs exposés en pages 1 et 2 de la sentence et le dispositif qui déclare statuer en matière gracieuse, que cette contradiction expose la sentence querellée à la censure de la Cour suprême;
D'où il suit que le moyen est fondé;
Sur le troisième moyen de cassation, tiré de la violation des formes substantielles de la procédure
Attendu qu'il fait grief à la sentence arbitrale d'avoir statué en premier ressort alors qu'elle aurait dû statuer en premier et dernier ressort;
Attendu qu'en effet, en statuant simplement en premier ressort, le collège arbitral prive la Cour suprême de son pouvoir de contrôle qui lui est reconnu par la loi;
D'où il suit que le moyen est fondé;
Sur le quatrième moyen de cassation, tiré de l'incompétence du collège arbitral désigné par le Tribunal de commerce de Pointe-Noire
Attendu que le demandeur au pourvoi expose que la loi n° 17-99 du 15 avril 1999 sur l'organisation et fonctionnement de la Cour suprême prévoit entre autre, comme cas d'ouverture le moyen tiré de l'incompétence ou de la coutume;
Attendu qu'il est fait grief à la sentence querellée d'avoir statué sur le différend opposant les parties; alors que, selon l'article 9 du contrat liant les parties, tous litiges ou contestations qui pourraient subvenir seront soumis à un Tribunal arbitral choisi d’accord parties;
Attendu que par requête en date à Pointe-Noire du 11 juin 1998, les Établissements MIC-VIDEO ont fait citer à comparaître par devant le Tribunal de commerce de Pointe-Noire les Établissements LINDA-COMMUNICATIONS à l'effet de voir constituer un collège arbitral; que le Tribunal a désigné NKOUTA Daniel, EVANS Thomas, MFOUNA Rémy en qualité d'arbitre pour statuer sur le litige qui oppose les parties aux motifs que la constitution du collège arbitral s'est heurtée à une difficulté du fait de l'une des parties dans la mise en œuvre des modalités de désignation;
Attendu que la juridiction de commerce, dès lors qu'elle n'a pas été saisie par une requête conjointe signée par les deux parties, ne pouvait statuer sans violer le principe & la loi des parties, lesquelles seules peuvent décider de déroger sur l'application de l’article 9 du contrat;
D'où il suit que le moyen est fondé;
Sur le cinquième moyen de cassation, tiré de la dénaturation du contrat et violation de la loi
Attendu que selon l'article 6 alinéa 1 de la Convention du 10 avril 1997, en rémunération de la location des cassettes, les Établissements MIC-VIDEO recevront des Établissements LINDA COMMUNICATIONS qui s'obligent, une redevance égale à cinquante pour cent (50%) des recettes brutes réalisées par les abonnements de la clientèle au réseau CANAL OCEAN;
Attendu qu'il résulte des pièces versées au dossier que MIC-VIDEO a attrait LINDA COMMUNICATIONS devant le collège arbitral institué par le Tribunal de commerce de Pointe-Noire en date du 31 juillet 1998 en paiement de la somme de 60.000.000 F.CFA représentant les redevances dues au titre des bénéfices réalisés en exécution de l'abonnement au réseau CANAL OCEAN sur un certain nombre de diffusions de films cassettes-vidéo;
Attendu qu'il est reproché à la sentence arbitrale d'avoir décidé que les redevances dues par LINDA COMMUNICATIONS porte sur l'ensemble des recettes brutes réalisées par toutes les chaînes diffusées par cette Société à savoir CFI, TV5, MCM, MANGAS, EURONEWS, PLANETE, SUPER SPORT;
Attendu que selon les arguments en demande, le contrat conclu entre les parties ne portait que sur la chaîne dite CANAL OCEAN et non sur l'exploitation ou l'exécution des contrats liant LINDA COMMUNICATIONS avec les sept autres chaînes internationales;
Attendu qu'il n'apparaît nulle part dans les motifs de la sentence, des éléments sur l’ensemble des informations relatives à l'activité économique des Établissements LINDA COMMUNICATIONS, notamment les éléments comptables du passif social de CANAL OCEAN, à déduire des recettes pour un raisonnement fondé sur la base des bénéfices réels;
Or attendu que la sentence arbitrale a relevé que pour déterminer les recettes brutes réalisées par CANAL OCEAN, il y a lieu de déterminer le nombre de chaînes exploitées par les Établissements LINDA COMMUNICATIONS ainsi que le nombre des clients et leur évolution.
Attendu qu'en se déterminant ainsi sans séparer les recettes de CANAL OCEAN de celles de l'ensemble des Établissements LINDA COMMUNICATIONS et sans en déduire les charges comptables inhérentes aux Sociétés y compris les impôts, le collège arbitral a fait mauvaise application de l'article 6 de la Convention;
D'où il suit que le moyen est fondé;
Sur le sixième moyen soulevé d'office, tiré de la contrariété des motifs, et violation de l'article 9 de la Convention
Attendu que selon ce texte tous litiges ou contestations qui pourraient subvenir dans l'exécution ou l'interprétation des présentes ou de leurs suites seront soumis à un collège arbitral choisi d'accord parties;
Attendu qu'il est fait grief à la sentence d'avoir relevé « que les autres demandes sont suspendues à l'exécution du contrat que le requérant peut bien faire poursuivre en justice »; alors que dans les motifs, la sentence s'est déterminée à fixer le montant des sommes redevables aux Établissements MIC-VIDEO à 39.730.029 F.CFA;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, le collège arbitral qui, non seulement rejette en partie la mission qui lui a été confiée par les parties, mais aussi démontre que la saisine n'a pas été vidée et qu'il reste quelque chose à juger, a en conséquence statué infra petita;
D'où il suit que la sentence arbitrale encourt cassation une fois de plus;
PAR CES MOTIFS
En la forme
Déclare recevable le pourvoi en cassation formé par les Établissements LINDA COMMUNICATIONS le 18 janvier 2001 contre la sentence arbitrale du 26 février 1999.
Au fond
Casse et annule ladite sentence;
Renvoie la cause et les parties devant un autre collège arbitral composé selon leur libre choix ou par la juridiction de commerce conjointement saisi pour être à nouveau statué;
Ordonne la restitution de la somme de 10.000 francs CFA consignée au greffe de la Cour suprême;
Condamne les Établissements MIC-VIDEO aux dépens.