J-04-295
CCJA – SAISINE – REQUERANTE AYANT LA QUALITE D'AVOCAT – EXIGENCE DU MINISTERE D'AVOCAT ET PRODUCTION D'UN MANDAT SPECIAL (NON).
CCJA – COMPETENCE – CONDITIONS – JURIDICTION NATIONALE N'AYANT PAS ENCORE RENDU SA DECISION – REUNION DES CONDITIONS (NON) – INCOMPETENCE.
La requérante étant avocate inscrite au barreau du Cameroun, il serait contraire à l'esprit de l'article 23 du Règlement de procédure de la CCJA de la priver de son droit d'agir par elle-même. Par conséquent, on ne saurait exiger d’elle de produire un mandat spécial qu'elle se serait donnée à elle-même.
En application de l'article 18 du traité, la CCJA n'est compétente que si deux conditions cumulatives sont réunies, à savoir que la décision qui lui est déférée soit issue d'une juridiction nationale statuant en cassation et que la matière en cause soit régie par la législation communautaire. Par conséquent elle doit se déclarer incompétente, dès lors que la juridiction nationale n'a pas encore rendu sa décision.
Article 23 du Règlement de procédure de la CCJA
Article 18 du Traité OHADA
(CCJA, ARRET N° 010 du 26 février 2004, Affaire Me TONYE C/ BICEC, Le Juris Ohada, n°2/2004, juin-août 2004, p. 12, note BROU Kouakou Mathurin. – Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 3, janvier-juin 2004, p. 23).
Sur le pourvoi enregistré le 28 août 2002 au greffe de la Cour de céans sous le n° 042/2002/PC et formé par Maître TONYE Arlette, Avocat au Barreau du CAMEROUN avec résidence à Douala, 638, avenue King Akwa, agissant par elle-même, laquelle élit domicile à la SCPA KONATE, MOISE-BAZIE et KOYO, Avocats à la Cour à Abidjan, 01 BP 3926 Abidjan 01,
en cassation de l'Ordonnance n°702 rendue le 8 juillet 2002 par le Président de la Cour Suprême du CAMEROUN et dont le dispositif est le suivant :
« Déclarons régulière et recevable en la forme la requérante dont s'agit;
Au fond : Ordonnons, jusqu'à l'issue du pourvoi, la suspension de l'exécution de l'Arrêt n°24/REF rendu le 28 janvier 2002 par la Cour d'appel du Littoral;
Disons que cette ordonnance sera exécutoire sur minute, dès notification et avant enregistrement »;
La requérante invoque à l'appui de son pourvoi le moyen unique de cassation tel qu'il figure à la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur Doumssinrinmbaye BAHDJE, Juge à la Cour;
Vu les dispositions des articles 14 et 15 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier de la procédure que sur le fondement de l'Ordonnance de taxation n° 220/PCA/DLA rendue le 07 août 2000 par le Président de la Cour d'appel de Douala, Maître TONYE Arlette, Avocat au Barreau du CAMEROUN, pratiquait une saisie-attribution de créances au préjudice de Mobil Oil Cameroun, débiteur saisi, entre les mains de la Banque Internationale du Cameroun pour l'Epargne et le Crédit (BICEC), tiers saisi, à l'effet d'obtenir le paiement de la somme de 65.014.931 francs; que Mobil Oil Cameroun et la BICEC ayant sans succès initié diverses procédures en vue de se soustraire audit paiement, Maître TONYE Arlette obtenait pour sa part, par Ordonnance de référé n° 104 rendue le 17 novembre 2000 par le juge des référés du Tribunal de première instance de Douala, la condamnation de la BICEC au paiement des causes de la saisie sous astreinte de 5.000.000 francs CFA par jour de retard; qu'à la date du 27 novembre 2000, Maître TONYE Arlette assignait la BICEC en liquidation d'astreinte et par Ordonnance de référé n° 161 rendue le 08 décembre 2000 par le Président du Tribunal de première instance de Douala, l'astreinte était provisoirement liquidée à la somme de 50.000.000 francs CFA; que la BICEC relevait appel de ladite ordonnance et par Arrêt n° 325 rendu le 07 mai 2001, la Cour d'appel du Littoral à Douala déclarait cet appel irrecevable; que la BICEC formait un pourvoi en cassation contre ledit arrêt et introduisait également une requête aux fins de suspension d'exécution du même arrêt auprès du Président de la Cour Suprême du CAMEROUN, lequel, par Ordonnance n° 702 rendue le 08 juillet 2002, faisait droit à la demande précitée; que c'est cette ordonnance présidentielle qui est l'objet du présent recours en cassation devant la Cour de céans;
Attendu que la BICEC, défenderesse au pourvoi, soulève in limine litis l'irrecevabilité du recours et l'incompétence de la Cour de céans;
Sur la recevabilité du recours
Attendu que la défenderesse fait valoir que la requérante a violé l'article 19 alinéa 2 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique ainsi que les articles 23 paragraphe 1er et 27 paragraphe 1er du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA, en ce que celle-ci n'a pas déféré à l'exigence du ministère d'avocat et n'a pas produit un mandat spécial et qu'il échet en conséquence de déclarer son recours irrecevable;
Attendu qu'aux termes de l'article 23 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, « Ie ministère d'avocat est obligatoire devant la our. Est admis à -exercer ce ministère toute personne pouvant se présenter en qualité d'avocat dans,une juridiction de l'un des Etats parties au Traité. Il appartient à toute personne se prévalant de cette qualité d'en apporter la preuve à la Cour. Elle devra en outre produire un mandat spécial de la partie qu'elle représente... »;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la requérante est avocate inscrite au Barreau du CAMEROUN et qu'à ce titre elle peut représenter tout justiciable devant la Cour de céans; qu'il serait contraire à l'esprit du texte sus-énoncé de la priver de son droit d'agir par elle-même;
Attendu que l'on ne saurait lui exiger de produire un mandat spécial qu'elle se serait donnée à elle-même; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter cette fin de non-recevoir;
Sur la compétence de la Cour Vu l'article 18 du Traité susvisé;
Attendu que la Banque Internationale pour l'Epargne et le Crédit (BICEC) demande à la Cour de céans de se déclarer incompétente pour connaître du présent recours sur le fondement de l'article 18 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique au motif que pour qu'elle soit compétente conformément audit article 18 il faut que deux conditions soient cumulativement réunies, à savoir que la décision qui lui est déférée soit issue d'une juridiction nationale statuant en cassation et que la matière en cause soit régie par la législation communautaire (Actes uniformes);
Attendu qu'aux termes de l'article 18 du Traité, « toute partie qui, après avoir soulevé l'incompétence d'une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée;
La Cour se prononce sur sa compétence par arrêt qu'elle notifie tant aux parties qu'à la juridiction en cause »;
Attendu que Maître TONYE Ariette s'est pourvue en cassation devant la Cour de céans contre « l'Ordonnance n° 702 rendue le 08 juillet 2002 par le Président de la Cour Suprême du CAMEROUN ainsi que la procédure connexe de pourvoi en cassation pour voir déclarer nulle et non avenue l'Ordonnance n° 702 susvisée avec toutes les conséquences de droit »;
Attendu que l'Ordonnance n° 702 en date du 8 juillet 2002 du Président de la Cour Suprême du CAMEROUN a été rendue sur requête aux fins de sursis à exécution en application de la loi camerounaise n° 92/008 du 14 août 1992 fixant certaines dispositions relatives à l'exécution des décisions de Justice, modifiée par la loi n° 97/08 du 7 août 1997; que cette procédure est ouverte en cas de pourvoi formé devant la Cour Suprême du CAMEROUN;
Attendu que la Cour Suprême du CAMEROUN n'a pas encore rendu sa décision sur le pourvoi de la BICEC; que dès lors la requérante ne peut, compte tenu de ce qui est indiqué plus haut, saisir la Cour de céans de cette procédure encore pendante devant la Cour Suprême du CAMEROUN, ni de la mesure provisoire prise dans le cadre de ladite procédure; qu'il s'ensuit que la Cour de céans doit se déclarer incompétente pour statuer sur le recours introduit par Maître TONYE Arlette;
Attendu que Maître TONYE Arlette ayant succombé, doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré,
Rejette l'exception d'irrecevabilité;
Se déclare incompétente;
Président : Mr Seydou BA
Note
Deux questions étaient soumises à la CCJA
1 - La première est relative à la représentation des justiciables devant la CCJA et peut être formulée comme suit
Un avocat, qui agit par lui même devant la haute Cour doit-il déférer à l'exigence du ministère d'avocat et produire un mandat spécial ?
Il faut rappeler qu'aux termes de l'article 23 du Règlement de procédure de la Cour, le ministère d'avocat est obligatoire. Il est donc instituer devant la CCJA un ministère obligatoire d'avocat (Dans ce sens, voy. Jacqueline Lohoues Oble, OHADA, traité et Actes uniformes commentés et annotés, éd 2002, p 79), de sorte que seules les personnes pouvant se présenter en qualité d'avocat, sont habilitées à exercer ce ministère.
Qu'en est-il lorsque le justiciable qui se pourvoit en cassation est un avocat ? Doit-il se faire représenter par un autre avocat ?
La CCJA répond par la négative, dès lors que la qualité d'avocat du requérant n'est pas contestée. En effet, si cet avocat peut lui même, en cette qualité, représenter tout justiciable, en application de l'article 23 du Règlement de procédure, on ne peut pas le priver de son droit d'agir par lui même devant la Cour, c'est dire que l'avocat qui se pourvoit en cassation devant la CCJA n'a pas à déférer à l'exigence du ministère d'avocat.
De même, s'étant donné lui même mandat, en agissant par lui-même, on ne peut exiger de lui un mandat spécial, lorsqu'il se pourvoit en cassation.
2 - La seconde question est relative aux conditions du recours devant la CCJA, lorsque ledit recours est fondé sur l'article 18 du traité OHADA.
Il s'agit de la saisine, a posteriori, de la CCJA après qu'une juridiction suprême nationale ait été statué au mépris d'un incident de compétence (Cf. Jacqueline Lohoues Oble. Op. cit. p 46; OHADA Harmonisation du droit des Affaires éd. 2002p 189)
A quelles conditions la CCJA peut elle statuer sur un tel recours ?
11 faut d'abord qu'il s'agisse, à la lecture de l'article 18 d'une décision d'une juridiction nationale statuant en cassation, en l'espèce la Cour suprême du Cameroun.
Or, fait constater la Cour, la juridiction suprême nationale saisi du pourvoi, n'a pas encore rendue sa décision. La procédure étant donc encore pendante devant la Cour suprême du Cameroun, la première condition n'est pas réunie et la CCJA doit se déclarer incompétente.
La seconde condition est que le demandeur doit avoir soulevé l'incompétence de la juridiction nationale dans l'instance qui a donné lieu à la décision déférée à la censure de la CCJA.
Mais la première condition n'étant pas satisfaite, la CCJA ne pouvait pas statuer sur le recours. D'où son incompétence.
BROU Kouakou Mathurin