J-05-172
CCJA – COMPÉTENCE – AFFAIRES SOULEVANT DES QUESTIONS RELATIVES À L'APPLICATION D'UN ACTE UNIFORME – EXISTENCE D'UNE SOCIÉTÉ DE FAIT – APPLICATION DE L'ACTE UNIFORME RELATIF AU DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES ET DU GIE – INCOMPÉTENCE DE LA JURIDICTION SUPRÊME NATIONALE (OUI).
CCJA – AFFAIRES SOULEVANT DES QUESTIONS RELATIVES À L'APPLICATION D'UN ACTE UNIFORME – RECOURS EN CASSATION CONTRE LA DÉCISION DU JUGE DU FOND – CONDITIONS DE SAISINE – INOBSERVATION – RENVOI DES PARTIES.
La Cour Suprême de Côte d'Ivoire s'est déclarée compétente à tort pour examiner le pourvoi en cassation, dès lors que l'affaire soulevait des questions relatives à l'application de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au GIE. Par conséquent, est nul et non avenu l'arrêt rendu par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire.
Les parties doivent être renvoyées à se conformer aux dispositions prévues par l'article 14 du traité et aux articles 23 à 50 du Règlement de procédure, dès lors que le recours en cassation contre la décision du juge du fond ne respecte pas lesdites conditions.
Article 23 REGLEMENT DE PROCEDURE DE LA CCJA (RPCCJA) ET SUIVANTS
Article 52-4 REGLEMENT DE PROCEDURE DE LA CCJA (RPCCJA)
(CCJA, ARRET N° 31 DU 04 NOVEMBRE 2004, Ayants droit de Bamba Etigué. C/ Madame Adia Yéguo Thérèse, Le Juris-Ohada n° 4/2004, octobre-novembre 2004, p. 27, note BROU Kouakou Mathurin. Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 4, juillet-décembre 2004, p. 48.- Jurisprudence commentée de la CCJA, octobre 2005, n° 1, p. 40 note Félix Onana Etoundi).
LA COUR ,
Sur le recours enregistré au greffe de la Cour de céans le 31 juillet 2003 sous le n° 068/2003/PC et formé par Maîtres Jour-Venance SERY, Claude MENTENON et KASSI Abel, Avocats à la Cour, au nom et pour le compte des ayants droit de feu B., dans la cause opposant ceux-ci à Madame A., ayant pour conseils la SCPA DADIE-SANGARET & Associés, Avocats à la Cour, demeurant immeuble Alliance B, rue Lecoeur, 04 BP 1147 Abidjan 04, en annulation de l'arrêt n° 252/2003 rendu le 08 mai 2003 par la Chambre judiciaire de la Cour Suprême de COTE d'IVOIRE et dont le dispositif est le suivant :
"Casse et annule l'arrêt querellé;
Evoquant;
Dit qu'il a existé une société de fait entre dame A. et feu B.;
Ordonne la liquidation de ladite société;
Nomme Me 0 KOUE 0 mette, Notaire à Abidjan aux fins de procéder à l'inventaire de tous .les biens acquis par cette société de fait et, en cas d'accord des parties, de procéder à un partage amiable desdits biens entre celles-ci;
Dit qu'en cas de difficulté il en sera référé au Président de la Chambre Judiciaire; Laisse les dépens à la charge du Trésor Public;
Ordonne la transcription du présent arrêt sur les registres du greffe de la Cour d'Appel d'Abidjan en marge ou à la suite de l'arrêt cassé";
Les requérants invoquent à l'appui de leur recours le moyen unique d'annulation tel qu'il figure à la requête annexée au présent arrêt;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAIDAGI;
Vu les dispositions des articles 13 et 18 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique;
Vu le Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure que, suite au décès de B. intervenu le 15 juillet 2000, son ex-concubine, Madame A. saisissait le Tribunal de Première Instance d'Abidjan d'une action tendant à voir reconnaître l'existence d'une société de fait entre eux; que par Jugement n° 804 CIV 3 en date du 22 mai _2002, ledit Tribunal faisait droit à sa demande; que sur appel des ayants droit de B., la Cour d'Appel d'Abidjan, par arrêt n° 962 en date du 26 juillet 2002, infirmait le jugement entrepris, déboutait Madame A. dei 'ensemble des es demandes et ordonnait son expulsion de la villa qu'elle occupait aux Deux-Plateaux les Perles; que sur pourvoi en cassation formé devant la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE par Madame A. contre l'arrêt n° 962 de la Cour d'Appel, la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême rendait l'arrêt n° 252/2003 en date du 08 mai 2003, objet du présent recours en annulation;
Attendu que Madame A., défenderesse au recours, soulève in limine litis l'incompétence de la Cour de céans à connaître du recours exercé sur le fondement de l'article 864 de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique par les ayants droit de B. aux motifs que ledit article 864 ne trouve pas application dans le cas d'espèce, s'agissant d'état des personnes (physiques); qu'en effet, selon elle, "il s'agit d'une affaire matrimoniale, de la liquidation de la communauté de fait ayant existé entre les parties et que les requérants font une confusion regrettable entre la société de fait au sens du droit commercial (société commerciale) dont parle l'article 864 et la communauté de fait résultant d'une union, d'une vie commune";
Mais attendu que l'examen du recours des ayants droit B., en application de l'article 18 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique, implique nécessairement que la Cour de céans se prononce sur sa compétence; qu'il suit dès lors qu'il n'y a pas lieu de statuer spécialement sur l'exception soulevée par Madame A.;
Sur l'annulation de l'arrêt n° 252 du 08 mai 2003;
Vu l'article 18 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique; Attendu que les requérants demandent à la Cour de ~céans de déclarer nul et non avenu l'arrêt n° 252 du 08 mai 2003 de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE sur le fondement de l'article 18 du Traité susvisé au motif que, passant outre l'exception d'incompétence qu'ils ont soulevée devant elle, ladite Chambre a rendu la décision attaquée; que pour eux, le problème juridique à débattre en l'espèce étant de savoir si une société de fait avait réellement existé entre Monsieur B. et Madame A.., la Chambre Judiciaire devait se déclarer incompétente parce que la notion de société de fait est régie par les dispositions des articles 864 et suivants de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique et que par conséquent le recours en cassation est de la compétence exclusive de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage conformément à l'article 14 du Traité susvisé;
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure que, bien que l'arrêt n° 252 du 08 mai 2003 n'ait pas fait état de l'exception d'incompétence soulevée par les ayants droit de B., ces derniers avaient, par mémoire en date du 02 mai 2003 reçu le même jour au Secrétariat de la Chambre Judiciaire, soulevé l'incompétence de la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE à connaître du pourvoi exercé devant elle par Madame A.;
Attendu qu'aux termes de l'article 18 du Traité susvisé, "toute partie qui, après avoir soulevé l'incompétence d'une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a, dans un litige la concernant, méconnu la compétence dei a Cour Commune de Justice et d'Arbitrage peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. La Cour se prononce sur sa compétence par arrêt qu'elle notifie tant aux parties qu'à la juridiction en cause. Si la Cour décide que cette juridiction s'est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue";
Attendu qu'il ressort des pièces du dossier de la procédure et notamment de l'exploit introductif d'instance intitulé «assignation en liquidation de la Société de fait" que Madame A. demandait bien au Tribunal de Première Instance d'Abidjan de constater qu'il a existé une société de fait entre Monsieur B. et elle, par conséquent ordonner la liquidation de la société de fait, nommer pour y procéder un expert et condamner les défendeurs aux dépens dont distraction au profit du Cabinet DADIE-SANGARET & Associés sur son affirmation de droit; que Madame A. a introduit son action sur le fondement de l'article 866 de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique aux termes duquel, "quiconque y ayant un intérêt peut demander à la juridiction compétente du lieu principal de l'activité d'une société de fait, la reconnaissance de la société de fait entre deux ou plusieurs personnes dont il lui appartient d'apporter l'identité ou la dénomination sociale»; qu'au soutien de son action, elle expose que pendant sa vie commune avec feu B., ils s'étaient comportés comme des associés et dans le cadre de cette association, ils avaient créé une entreprise en bâtiment qui leur avait permis d'acquérir un important patrimoine immobilier, des comptes bancaires et de souscrire à plusieurs contrats d'assurances; qu'en sa qualité d'épouse élevée dans la tradition et surtout dans la religion musulmane, elle avait laissé la gestion de ce patrimoine immobilier à feu B. qui agissait pour leur compte; que dans le cadre de cette gestion, tous les biens immobiliers acquis par le couple ont été mis au nom de feu B. avec son accord;
Attendu qu'aussi bien le Tribunal de Première Instance d'Abidjan que la Cour d'Appel d'Abidjan se sont prononcés sur l'existence entre les susnommés d'une société de fait, la Cour d'Appel d'Abidjan ayant d'ailleurs fondé sa décision sur les dispositions des articles 864 et 867 de l'Acte uniforme précité;
Attendu qu'il ressort de tout ce qui précède que l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt n° 252 en date du 08 mai 2003 soulève bien des questions relatives à l'application d'un Acte uniforme; que la chambre judiciaire de la Cour Suprême de COTE d'IVOIRE s'étant par conséquent déclarée compétente à tort pour connaître du pourvoi en cassation exercé par Madame A. contre l'arrêt n° 962 du 26 juillet 2004 de la Cour d'Appel d'Abidjan, sa décision est réputée nulle et non avenue en application des dispositions sus-énoncées du Traité susvisé;
Attendu que les ayants droit de B. demandent à la Cour, après annulation de l'arrêt n° 252 du 08 mai 2003 de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE, d'évoquer et de rejeter le pourvoi formé par Madame A.;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 52.4 du Règlement de procédure susvisé, "si la Cour décide que la juridiction nationale s'est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue. Toute partie devant ladite juridiction peut dans les deux mois de la signification du jugement de la Cour saisir cette dernière d'un recours-en cassation contre la décision du juge du fond dans les conditions prévues à l'article 14 du Traité et aux articles 23 à 50 du présent Règlement"; qu'il échet en conséquence de renvoyer les parties à se conformer aux dispositions sus-énoncées;
Attendu qu'il y a lieu de condamner Madame A. aux dépens;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, après en avoir délibéré;
– Dit que la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE s'est déclarée compétente à tort pour examiner le pourvoi en cassation formé par Madame A.;
– Déclare en conséquence nul et non avenu l'arrêt n° 252 du 08 mai 2003 par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême de COTE D'IVOIRE;
– Dit qu'il n'y a pas lieu à évocation et renvoie les parties à se conformer aux dispositions de l'article 52.4 du Règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA.
Président : M. Seydou BA
Note
Il s'agit là de l'application de l'article 18 du traité par la CCJA, qui permet à une partie, qui après avoir soutenu en vain l'incompétence d'une juridiction nationale statuant en cassation, de saisir la CCJA, lorsqu'elle estime que cette juridiction a méconnu la compétence de la CCJA.
Il en résulte que la décision querellée doit soulever des questions relatives à l'application d'un Acte uniforme ayant intégré l'ordonnancement juridique de l'Etat partie.
(Voir dans ce sens, CCJA, n° 4 du 27 mars 2003, in juris OHADA n° 2/2003, p 11; Ohadata J-04-190).
BROU Kouakou Mathurin